Aho Ssan nous avait mis une sacrée poutrasse dans la tête avec son Simulacrum en 2020, au sound design destructeur et sacrément cathartique sur fond d’étude de la notion d’identité. Ses épées de lumière ont découpé les tympans de très près, et ce n’est pas son successeur du jour qui va prouver le contraire. Il va même repousser plus loin ce que je voyais déjà comme un accomplissement en soi en terme de composition.
Les brûlots power ambientesques de Simulacrum se conjuguent dans Rhizomes à deux évolutions dans les trames sonores maximalistes de Niamké Désiré, à savoir l’apparition de voix et des structures percussives et rythmiques bien plus présentes. Au cœur de ce travail se trouvent des collaborations toutes mieux senties les unes que les autres, ajoutant une épaisseur humaine aux saillies bruitistes de l’artiste : l’oraison funèbre de 9T Antiope, les prophéties ténébreuses de Moor Mother ou encore le hip-hop infecté et toujours aussi efficace de Clipping., ça déverse un flow de tueur sur des compositions évoquant la pluie de métal en fusion pendant un soudure à l’arc sur un alliage inconnu. Toujours cette lumière extraterrestre aux milles reflets irisés qui s’impriment au fond des rétines, avec cette fois-ci une part plus vivante et réelle laissée aux collaborateurs en tous genres constellant l’album.
L’exemple qui prouve encore une fois, si c’est nécessaire, qu’une œuvre commune vaut souvent plus que la somme de ses parties ; pas évident quand les participants proviennent d’horizons artistiques si différents, mais ça fonctionne ici à merveille. À l’image des fameuses plantes rhizomatiques, les rejetons d’une même pousse peuvent voyager loin de leur origine en surface, mais bien garder des racines communes à l’abri des regards superficiels. Et c’est là toute la beauté de cet album : Daveed Diggs n’est pas noyé sous les strates saturées d’Aho Ssan mais se fait sublimer par elles, les lamentations de Blackhaine y gagnent en intensité, les cris d’Exzald S sont submergés par leur propre douleur. Ce que touche Niamké Désiré est transcendé, comme un exhausteur de goût sauce capsaïcine. L’osmose globale est proche de la perfection, et laisse d’ailleurs une place en solo à l’artiste dans Tetsuo II, réminiscente au plus près de Simulacrum, clin d’œil aux origines de l’objet chroniqué ici.
Aho Ssan nous place tels des fakirs sur un lit de jeunes pousses de bambou, poussant les potards au maximum sans trébucher sur la facilité de l’excès. Enfin, tout est relatif selon les oreilles qui s’autoriseront Rhizomes, mais à mon goût, la potentielle douleur d’un disque aussi massif est effacée par toutes ses qualités citées plus haut. Pari réussi pour le parisien donc, qui continue de surprendre avec son univers singulier diablement séduisant.
Vous pouvez vous procurer le digital ou carrément un livre avec des versions étendues de certains morceaux sur le Bandcamp du label. Le choix est votre.
Dotflac
