Aho Ssan – Simulacrum | Identitovigilance

Ce n’est pas la première fois qu’un inconnu au bataillon rejoint les rangs d’exception de Subtext Recordings. Eric Holm ou Joshua Sabin ont déjà prouvé que les têtes chercheuses des bristoliens ont le nez creux, et l’arrivée de Désiré Niamké dans cette écurie conforte la pertinence des choix du label encore aujourd’hui. Bien que ses inspirations initiales ne m’ont que modérément touché, j’ai magistralement redécouvert Simulacrum des mois après sa sortie, suite à une convergence des aléas de la vie et des coïncidences calendaires et existentielles, amplifiées dans le quotidien par un truc qui commence par corona- et finit par -virus. Et j’ai intégré cette œuvre avec des visions nouvelles de ces concepts de simulacre et simulation, de ces notions de réalité variable et de dissimulation involontaire, car elles avaient acquis une résonance tout à fait personnelle.

Un concours de circonstances donc qui m’a amené, durant de longs moments de solitude forcée par le sacro-saint plan sanitaire, à me réévaluer profondément, dans une émulation réussie de crise de la trentaine stéréotypée. Alimentée par une incompréhension et une absence de réponse nées d’une rupture inédite de dialogue entre mes deux cerveaux, cette détresse a pris forme dans les sept mouvements de Simulacrum, a exprimé des sentiments qui m’étaient étrangers et a illustré des pensées qui ne se laissaient jusque là pas modeler. Des doutes catalysés par les sons maximalistes de ce travail, évoquant des questions soudainement primordiales sur la vie par procuration et les marques qu’elle laisse sur l’identité, sur l’injustice de cette mise en scène invisible d’un simulacre d’existence, et la colère qui en résulte lorsqu’on le réalise. Ai-je véritablement vécu jusqu’à maintenant ? Qui suis-je si je n’y ai jamais réfléchi ? Qu’ai-je à offrir si je ne me connais pas moi-même? De quoi m’a-t-on privé, mais surtout, que dois-je accomplir et m’approprier pour enfin naître et m’incarner ? Des tumultes internes bouclent alors dans l’esprit, et les doutes évoluent lentement en obsession, l’obsession en obnubilation, l’obnubilation inévitablement en implosion. Même bâties en béton armé, les fondations de l’âme s’effondrent si elles sont construites sur des sols érodables, et le trou noir qui en surgit empêche lui aussi la lumière d’échapper à sa force d’attraction.

Puis des lignes de vie apparaissent sur les bords du puits dans lequel on s’enfonce. On ne nous hissera pas jusqu’à en sortir, car il n’y a aucun mérite ni aucun intérêt à se faire sauver de ce genre de péril. Elles sont cependant fermement accrochées en dehors de notre prison de pierre, et il ne tient qu’à nous de nous échapper grâce à notre force et notre volonté, mais à travers leur aide. Simulacrum est un de ces lignes apparues au bon moment, tel un phare séraphique posté au bout du tunnel. L’intensité lumineuse d’une supernova, la chaleur des bourrasques intermittentes de plasma, une chorégraphie électromagnétique de tous les superlatifs pour tirer des visions d’espoir et d’optimisme de la torpeur spirituelle. Je crois que la dernière fois que j’ai entendu une telle puissance et une telle présence dans le son, c’est dans la musique de Shapednoise, débauche expiatoire des sens s’il en est. Les déflagrations de particules chargées dans les éruptions d’un soleil mourant traversent une cascade de prismes en mouvements complexes. La trajectoire imprévisible et l’énergie décuplée des faisceaux incendiaires les font se télescoper en phases abrasives et explosives, ou en opposition de phases aux silences abyssaux et mélodies balbutiantes. S’ensuivent une alternance de souffles coupés et de mouvements de lame dans la chair, cherchant à atteindre la substance intime sous ses artifices. La saturation absolue des sens permet de tous les réétalonner dans une expérience synesthésique hors du commun. Les fragments d’âme se détachent, sont éjectés, puis orbitent autour de notre cœur avant de se réagglomérer au rythme de la pulsation tellurique de Simulacrum. Métamorphique. Stroboscopique. Kaléidoscopique. La création du nouveau soi. Ou la découverte de celui qu’on a toujours été. Puis des sons qui nous guident vers la lumière, celle à laquelle on ne croyait plus. Un simulacre qui s’autorise enfin à vivre plutôt qu’une simulation de survie.

Pas de mensonge sur la suite du voyage pourtant, on ne s’apprête pas à pénétrer un monde parfait à notre renaissance, mais c’est cette honnêteté sur la dualité de l’existence et le pouvoir incroyable de l’univers d’Aho Ssan de soulever les montagnes que l’on a soi-même érigées sur notre route qui rayonnent là de mille feux. Extraordinaire.

Pas de vinyle. Pas encore. Dommage, mais que ça ne vous empêche pas de laisser quelques deniers ici.

Dotflac

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