Hania Rani – Ghosts | Après le voile

Découverte par hasard sur les zéros sociaux il y a deux ans avec le morceau Con Moto, en duo avec sa compatriote Dobrawa Czocher, j’ai très rapidement potassé la jeune discographie de Hania Rani. Inner Symphonies et Biała Flaga donc, mais surtout Esja et Home en solo, le premier posant les bases mélodiques fugaces et touchantes qui accompagnent toujours la compositrice aujourd’hui, le deuxième invitant sa voix sibylline allant si bien à l’ensemble. Il y a entre temps eu l’hommage à Giacometti, courtes peintures pointillistes influencées par la vie du suisse, et qui ne faisait pas attendre un autre album de la polonaise en octobre, On Giacometti étant pourtant source d’inspiration majeure de l’objet du jour.

Ghosts sonne pour moi comme l’album de la maturité, où piano et voix entrent en harmonie pour créer des atmosphères diaphanes en volutes fractales qui s’effilochent au-dessus de nos têtes. L’invitation de fantômes bienveillants dans des chorégraphies aériennes pour leur rendre un dernier hommage avant de les laisser s’envoler vers un autre monde qui nous est inaccessible. Un lien fait entre la réalité et l’au-delà au bout des doigts de la pianiste, qui se fait vaisseau de l’invisible en se penchant au bord de l’ultime abysse. La voix ensorcelante de Hania Rani, à travers de nombreux jeux d’échos appliqués, semble provenir de derrière le voile, rapportant des visions d’une certaine forme de fin, mais loin d’être tristes ou effrayantes. J’y perçois plus le constat d’un lieu mystérieux et relativement heureux, où l’on apprend à faire face à l’énigme de l’inconnu pour mieux la résoudre. Même remarque à propos des mélodies faussement répétitives au piano et au Prophet, se réverbérant comme pour se répondre à elles-mêmes dans des endroits habités par des esprits errants. La relative mélancolie qui émane de ces mélopées dessinent toujours en filigranes une trame positive, voire pleine d’espoir.

Ces aquarelles se conjuguent à quelques collaborations éphémères, effaçant un peu plus la frontière entre le concret et l’impalpable. Je retiendrai particulièrement la voix habitée de Patrick Watson durant Dancing With Ghosts, aux intonations transpirant le vécu et se manifestant une ultime fois pour réaliser un duo aérien avec Rani. Mais la flamme reste entre les mains de la polonaise, envoûtante de nostalgie dans Don’t Break My Heart, magistralement retenue sur les notes fugaces de The Boat, ou particulièrement touchante à travers la berceuse nocturne Utrata. On vogue en territoires incertains sans interruption durant Ghosts, et c’est cet entre-deux dans lequel on trouve un confort improbable, assis calmement à l’écoute de ce manifeste provenant de plus loin que la réalité. Une césure sensible faite d’apaisement et d’inconnu, nous contant des histoires de fantômes et d’amour oubliées, refoulées, détachées de nous. Et l’artiste se fait messagère de ces non-dits en équilibre entre les deux continents de la vie et de l’après, à l’écoute des murmures qui nous seraient autrement inaudibles.

Un très beau travail de Hania Rani, qui a su transmettre des morceaux pleins d’émotions sans sombrer dans le pathos, composés simplement mais certainement pas en cédant à la simplicité. Less is more il paraît, et on touche dans Ghosts et ses sujets à l’exquis.

Double vinyle, CD ou digital, choisissez ce qui vous plaît mais prenez cet album.

Dotflac

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