Ne cherchez pas un brin d’humanité dans ce P.conv. Tout y est entièrement aseptisé, millimétré, sans aucun sentiments. Pour autant, n’y cherchez pas non plus les nimbes électroniques, les glitchs à contre-temps, bref les marqueurs d’une soi-disant musique futuriste, à coups et à sons de machines, et adulée parce que la déstructuration et les erreurs qu’elle contient nous rassurent. Non, Techdiff nous livre encore autre chose… une musique breakée certes, mais qui ne souffre d’aucune erreur, d’aucune de ces traces d’une humanité résiduelle que l’on cherche à tout prix dans les musiques volontairement froides et non organiques. P.conv. est métallique, certes, mais surtout sans aucune aspérité. C’est la vision extrême d’un monde futuriste, propre, parfait, ou tout est clean sans que rien ni personne ne nettoie les couloirs, où les humains – ou ce qu’il en reste – ne se bourrent pas la gueule, se rasent les sourcils et parlent comme la meuf de la RATP qui nous annonce qu’on a loupé le dernier métro. Et ils portent des combi blanches. Vous voyez le genre.
Musique inorganique
P.conv., c’est un peu comme une belle sphère en métal froid, parfaitement lisse, qu’on ne peut pas arrêter de tripoter et de regarder, tellement on y cherche le moindre signe distinctif. Cela dit, un bon coup de marteau, et la sphère elle fait moins la maligne (c’est comme ça qu’on règle les problèmes, chez moi). Alors tu la secoues, tu la grattes un peu, et là il apparaît quand même, dans cet album d’une cohérence monolithique, quelques petites nuances. « Gofair », par exemple, (bon, je passe sur son côté dubstep un poil facile), et ses trente dernières secondes de cordes étonnement organiques. « Sentience », cet espèce d’ovni qui rappelle les voyages visuels dans la ville de Ghost in the Shell (oui, oui, et pourquoi pas ?). Cela dit, l’œuvre reste d’une unité hallucinante, comme écrit d’une traite, fait pour être enchaîné, et c’est bien ce qu’il se passe. On ne peut considérer p.conv. que dans son intégralité et différencier les morceaux les uns des autres relève plus d’une nécessité technique que d’une identité qui leur est propre.
Mais attention, attention, je ne dis pas que c’est chiant, au contraire. Et là même est toute la prouesse : que cette musique intelligente, maitrisée, millimétrée soit aussi pertinente et aussi impertinente à la fois. Les beats aiguisés sautillent sans relâche, vont et viennent de façon presque enfantine (« Thirteen Acres », « Decommission Procession »). C’est léger et entraînant, et pourtant c’est cru et froid. Comment ?
Sortir du lot
Techdiff a su dénuder sa musique, la ralentir un peu, aller piocher par-ci par-là dans les styles autour, et se créer une identité nouvelle. Il n’est plus inféodé aux rythmes breakcore abrutissants. Il prend plaisir à triturer et à répéter sans cesse ses thèmes, sans se perdre dans une démonstration technique chiante pour l’auditeur. Certains critiqueront les dubstep un peu faciles que sont « Gofair » et « Xkiysa Icwq Olrxgln » (putain), mais il n’empêche qu’à côté de ces tracks qu’on peut penser un peu faibles se trouvent des pépites réellement novatrices.
Techdiff aurait pu se contenter de faire du Techdiff, tel qu’on le connait. Breakcore survitaminé, MCs distordus, gros kicks, snares vadrouilleuses. Mash up the dancefloor, tout ça tout ça. Et rester dans la moyenne des artistes de breakcore, c’est-à-dire globalement indiscernable de la masse. Mais il a décidé d’aller explorer d’autres contrées, et on peut dire que c’est une réussite. Que l’on aime ou que l’on aime pas, ce p.conv. est tout lisse, tout en courbures, métallique et beau comme un mac. Que l’on aime ou que l’on aime pas, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir avancé, d’avoir évolué, et d’avoir livré un album d’une cohérence presque flippante.
P.conv. est un jouet intriguant. On le trimbale quelques jours. On le tripote, on le balance par-ci par-là, on reste bloqué dessus quelques temps, et puis il nous gave, alors on l’oublie dans un coin. Et puis on y revient, un peu plus tard.
Ehoarn
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Bizarrement ce n’est pas du tout ce que me fait ressentir cet album….. j’en suis très heureux…
Lorsque l’émotion se cache dans la maîtrise, comme un rutger hauer réplicant qui jouerait à « where is bryan? »… J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie… Il est temps de mourir