Hidden Orchestra, quartet embrumé

trucd261C’est à n’y rien comprendre. Comment peut-on écouter cet album, encore et encore, quand on devrait déjà en être gavé ? Comment ces rythmes entêtants et ces mélodies simples ne nous ont pas tout simplement fait gerber, à force ? Elle saute à la figure, cette rythmique vaguement et désespérément empruntée à un hip-hop que l’on aurait accéléré, de toute son évidence et de toute sa cohérence. Elle est là, omniprésente, tout le long de l’album, fidèle à elle-même, ne variant que peu. Qu’elle soit en retrait, prête à bondir, ou martelée, exposée aux embruns, elle ne nous lâche pas. C’est à peine si elle sait se taire, parfois.

Et justement, elle sait le faire. C’est par la porte de ces silences que l’on se rend compte de la richesse de ce qu’on a dans les oreilles. Car derrière ces mélodies répétées, simples, derrière cette rythmique binaire, il y a les nimbes, les nuages, les atmosphères, toute une brume construite par une orchestration d’une grande richesse. Et ça, on a été bien prétentieux de croire que c’était aussi accessible que la structure des morceaux. Car au-delà d’une architecture élémentaire, la véritable richesse de cet Archipelago, ce sont les petites nuances de gris, les gouttelettes de cordes, les bulles de la clarinette, les souffles cuivrés étouffés, le marteau synthétique de Poppy Ackroyd, la claviériste, et bien entendu, le field recording.

N’est pas marin qui veut

Dix histoires. Dix dessins de mer, d’une mer changeante, à l’image de ces morceaux qui placent rapidement le décor, souvent identiques, mais qui, dépassant les cinq minutes, laissent le temps à l’auditeur d’en fouiller les recoins. La mer, vu depuis la falaise, c’est chiant, c’est plat, au mieux c’est bleu, au pire c’est gris, c’est toujours pareil, mais n’empêche, avouez, à moins de s’appeler De Kersauzon, c’est un peu flippant. Et puis c’est grand. Voilà. Et bien Archipelago, c’est comme une bonne vieille mer celte (donc verdâtre) qui ne luit pas au soleil et qui, des fois, s’emporte. Et ce que les écossais de Hidden Orchestra nous proposent avec leur second album – et il serait facile de s’en tenir là – ce n’est pas vraiment un voyage, mais c’est simplement d’y regarder d’un peu plus près. De poser son cul sur cette falaise et de regarder les vagues. Voire même de monter sur une coque de noix et de se laisser dériver le long de la côte. Alors on se laisse aller au rythme lancinant de la houle, comme cette satanée rythmique qui nous lâche jamais, et lorsque l’on s’abandonne à accepter les remous, alors on peut déceler les infimes nuances d’écumes qui vont et viennent furtivement, le creux des vagues, les tourbillons, enfin tout ce bazar hydrolique, là.

En fait, à y regarder de plus près, Archipelago est plus un voyage de l’esprit que du corps, car tout y est suggéré, rien n’y est imposé. Les cuivres succèdent aux cordes qui succèdent aux claviers, mais le tout se fait en douceur et en harmonie, et c’est enveloppé par les clochettes de l’ambianceur et magicien Joe Acheson qu’on se laisse dériver gentiment. On se calme quand les batteries se taisent et que les scintillements pointent, on profite du rayon de soleil qui vient se réfléchir sur l’eau verte et frapper doucement nos visages, et on se réveille au passage d’un nuage, lorsqu’une petite bourrasque vient frapper l’édifice et que les basses et batteries reprennent le contrôle. Le quartet aime le changement incessant, le mouvement vital, et bien que lent, celui-ci n’est pas dépourvu d’instants de grâce, de déploiements qui, sans perdre leur humilité, n’en sont pas moins grandioses.

Des nuances qui se cachent

La magie de la suggestion, donc, tient à ce savant mélange, cette orchestration sans failles qui sert un ensemble d’une évidence rare. Le pouvoir de nous suggérer, c’est juste ce qu’il faut de mouettes et de bruits de vagues. La bonne dose d’instruments anciens et inattendus. Des mélodies simples et accessibles mais pas imposées sauvagement à l’oreille. Un rythme qui fait office de clé de voûte, mais des batteries qui savent se faire attendre, qui savent reprendre les choses en main ou encore s’effacer devant les ornements numériques. En bref, c’est d’une finesse exemplaire et d’une humilité rarement aussi tangible pour une musique aussi orchestrale.

Alors même si Flight ressemble à une vieille comptine celte surannée  même si Seven Hunters nous fait penser à du Bonobo moyen, il reste toujours cet envoûtement, et la prolifération de petites touches organiques, qui chassent immédiatement toute idée de facilité. Finalement, on comprends pourquoi nous n’en sommes toujours pas repus. On découvre à chaque écoute, encore et encore, certaines de ces petites nuances, bien cachées, là, dans le creux du nuage, ou quelque part sous l’écume.

Ehoarn & Colin

Disponible chez Tru Thoughts et Denovali.

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