Dès les cuivres symphoniques de l’intro profonde, ça rigole pas. Aucune légèreté, dès les premières mesures grandioses et épaisses, qui nous font plonger dans quelque chose de dramatique et d’inquiétant. Puis ça couine, ça barrit et ça siffle, ça grince et ça pince les tympans. Les arrangements électro tirent vers le haut les morceaux du trio punk de plus en plus travaillés.
Pourtant les trois allemands de 100blumen paraissent bien avoir un solide sens de l’humour. Il leur vient de Düsseldorf précisément. « 100blumen… Sur la photo, deux hommes armés sans aucun sens de l’humour. Ils prévoient de buter tous les allergiques aux fleurs à coup de beats enflammés de rythmiques bruyantes, parfumés aux synthés punks, à la drum’n’bass, et d’autres choses encore. Puis après, ils iront s’en jeter un petit. » Voilà grosso modo la traduction de leur bio sur leur page web. Sur leur page Soundcloud, les trois gugusses précisent qu’ils travaillent tous trois dans le même hôpital. Va savoir dans quel service.
Les mecs de 100blumen ont été un, puis deux, et désormais trois sur cet album. Sur Distrust Authority, en plus des grosses guitares saturées, des voix rauques énervées et des beats très noisy, il y a un donc un vrai monsieur à la batterie. Et ça s’entend. Sans rien enlever aux arrangements électros. Peut-être est-ce le glitch utilisé à bon escient, ni étouffant, ni en décoration. La guitare électrique emporte, les trouées électros laissent respirer.
Distrust Authority révèle leur talent de la mise en scène. L’album ferait une bonne bande originale de polar cinématographique. Les morceaux racontent, parfois sans finesse, une histoire en métal avec un début, un milieu et une fin. Ils racontent la fin du beau monde, un final enragé pour les démocrates du dimanche qui pensent plus haut que le Smic, mordant la poussière sur une bordure de nationale. Ils jouent d’un glitch inassouvi. Ils suggèrent des villes fantômes, des déserteurs et des vagabonds qui arpentent les routes en meute, avec des flingues récupérés sur les cadavres des bourgeois après les cataclysmes. Bref, c’est vraiment punk, et ça m’a rappelé Spinoza encule Hegel, le polar de Daenincks.
Gueules ouvertes
Ça m’a sauté au nez en écoutant «All Cats are Beautiful». J’ai vu tout de suite une course poursuite entre des véhicules blindés. Sans pitié. Sans respirer. Quand la guitare mélodique commence à monter, la berline noire des valets de l’oppresseur tombe d’un pont au ralenti. Les vitres teintées éclatent, les mecs se cramponnent à leurs uzis. Ils gobent le vide qui se rapproche. Les gueules ouvertes dans un cri aigu. Ce morceau, on ne s’en lasse pas. Même après l’avoir écouté vingt fois. De même pour «The Hunt Drum Version». Clairement dubstep, on entre dedans sans problèmes. Le beat est travaillé d’une joie colérique bien sourde, bien enfouie, mais prête à sortir. Une réussite.
Quelques perles inattendues ponctuent l’ensemble plutôt à cran. «Bloodshed» m’a fait dresser l’oreille, entre autre. J’ai mis du temps à reconnaître le «Dictator’s speech» de Charlie Chaplin, mixé à merveille. Peut-être parce que je l’avais déjà entendu dans le morceau du trio marseillais des Troublemakers, «The Big Sea». C’était perdu au beau milieu d’une compilation électro des Inrocks à la rentrée 2002.
Chez les Troublemakers les mots de l’ersatz hippie d’Adolf Hitler étaient mélancoliques et pluvieux. Même si la version de 100blumen est plus corsée, et rend bien la rupture d’un pseudo-dictateur rejetant tous les avatars du pouvoir et de la domination, j’y sens une pointe de tristesse. Ce morceau est le plus calme de l’album énervé. C’est le plus fort aussi. Les cordes caressantes et le piano apparaissent enfin sous les riffs de guitare électrique. Ce morceau-là, on n’a pas envie qu’il s’arrête. Ça me donne envie de chialer, presque.
Clochettes
Les perles ne sont pas toutes en pure nacre. Il y a aussi quelques ratés. «2 Minutes Fields Recording» par exemple. Juste après un morceau à la limite de la transe, deux minutes de bruissements de campagne. Mais rien pour s’accrocher l’oreille. J’aime le bizarre, mais là je m’interroge. Il y a aussi des moments où ça se traîne, où ça s’écoute mixer. Un exemple ? «Bunny Song». Cinq notes de clochettes, et on voudrait que ça parte en électro-punk hystérique arrangée à l’orgue électronique. Mais non, on a droit qu’à une rythmique un peu lourde et molle, voire binaire. Moby, sors de ce corps.
En fait l’album aurait pu s’arrêter à «Bloodshed» que ça aurait pas été plus mal. Si le film est bon, la fin est franchement molle du genou. «Stinkepinke», dernier morceau de l’album, n’est pas au niveau du reste et déçoit. La rythmique en quatre temps ne décolle pas. Il ne se passe rien que quelques beats, certes pas désagréables, mais sans profondeur, sans couleur, sans saveur. Comme s’ils ne savaient pas trop comment finir le film après toutes les gutturalités et l’excitation furieuse qui les a portés.
Violette
Excellent album et je suis d’accord avec toi violette, l’album aurait gagné en cohérence en s’arrêtant à Bloodshead…. On peut également regretter l’absence d’édition Vinyle vu que j’achète jamais de CD je me contenterais donc de l’édition digitale !