James Holden est loin d’être un petit jeunot sorti de nulle part. Responsable d’au moins 12 000 remixes, de quelques singles et surtout d’un premier album (The Idiots are Winning, sorti de sa boite Border Community), Holden était attendu (très attendu, apparemment) depuis 2006. Je vais pas vous imposturer plus longtemps : je ne connais pas son travail, je n’ai jamais écouté sa musique, je n’étais pas au courant de son existence jusqu’à ce que The Inheritors tombe entre mes oreilles. Et à vrai dire, j’m’en fous. Je ne vais donc pas vous dire « c’était mieux avant », ou « c’est mieux maintenant ».
Aux premières écoutes, si la démarche peut paraître fainéante, l’accomplissement ne l’est en aucun cas. Holden est exigeant, et il sait qu’il a tout son temps (et aussi qu’il n’a plus grand-chose à prouver), alors il le prend, ce temps, pour arriver à ses fins. Puisque la structure est d’un classicisme qui frise le rédhibitoire, il va l’utiliser et l’user à fond, jusqu’au bout, presque jusqu’à la nausée. Création d’émotions par la répétition, il y a avait bien longtemps qu’une bonne galette de techno n’avait pas provoqué ça, et tant mieux, parce que ça n’en est pas vraiment. Pourquoi sa musique fonctionne-t-elle aussi bien ? Pourquoi son schéma basé sur la répétition est-il plus adhésif que celui des autres ? Parce qu’il est impertinent. Dans ses ingrédients, dans sa progression, dans ses directions, de par sa naïveté.
Parce que cette progression a quelque chose d’enfantine, de spontanée. Parce qu’on dirait un gamin qui s’amuse à faire des milliers de traits pas droits sur des centaines de feuilles de papiers, inlassablement, avec les yeux exorbités. Parce qu’Holden nous emmène là où ne nous y attendons pas. Pourquoi le saxophone sur The Caterpillar’s Intervention ? Lui nous dit : pourquoi pas, hein ? Et qu’avons-nous à en redire ? ça fonctionne, c’est tout.
Les Impromptus de Holden
Holden pioche ses instrus presque au hasard dans ses myriades de boites à jouets avec une aisance, une confiance et une spontanéité désarmantes. Il assemble tout ça avec des bouts de scotchs de traviole, et peu importe si ce grand bricolage n’est pas diététique. Peu importe s’il n’est pas parfaitement léché, peu importe s’il n’a pas la finesse d’une production contrôlée, maîtrisée. Holden est impulsif, et les textures le disent. C’est un jeu plus qu’une expérimentation, car comme tous les jeux, ça finit mal, souvent dans l’excès, souvent de façon bancale, ou alors tout simplement, ça ne finit pas comme on l’attend. Mais après tout, on s’en fout ? Ce qui importe, dans le jeu, ça n’est pas comment ça se termine, mais plutôt comment ça se déroule. Alors Holden bazarde ses morceaux lorsqu’il en est gavé, comme un gamin bazarde son hochet ou son marteau quand ça le soule.
Les entrées de morceaux sont des pièces intéressantes, car contrairement à ce qu’on pourrait attendre, elles ne disent en fait que très peu sur la suite des évènements. Holden part dans toutes les directions, et si possibles les plus impromptues. Les couches s’ajoutent au fur et à mesure que le musicien trouve de nouveaux jouets, elles se superposent alors qu’on a la très forte impression qu’il oublie instantanément ce qu’il a mis avant de rajouter autre chose. Tiens j’vais mettre ce clavier, et puis distordre un peu tout l’bordel, oh, tiens, ça fonctionne, c’est marrant. C’en est presque énervant. Plusieurs fois on passe pas loin de la casse, lorsque l’on se rend compte que chaque élément pris à part peut être en fait totalement risible, mais Holden est un touilleur-maître. Le genre de gars à nous faire apprécier du xylophone glitché avec des castagnettes et une paire de violons fantômes.
Âme naïve
Bien que possédant une architecture serinée et surannée, la musique d’Holden est vivante et fugace, elle sautille et bondit comme un insupportable mioche qui a bu trop de red bull, simplement parce qu’elle sort d’un esprit qui prend un soin incroyable à se faire plaisir, et à prendre sa liberté vis-à-vis de la construction qu’il s’impose. Pourtant, même s’il tombe des fois dans le n’importe quoi (Some Respite), d’autres morceaux sont là pour nous rappeler qu’il est pas né du dernier orage et qu’il est pas non plus là pour faire que du nawak, comme Renata (cette espèce de carrure de tube), Gone Feral, Inter-City 125. En quelque sorte, ce genre d’exercice un peu limite comme Some Respite devient du coup totalement acceptable et justifié, simplement une autre facette du produit fini. D’ailleurs, cet enfoiré choisit délibérément de nous servir coup sur coup deux facettes totalement opposées de son esprit tordu, d’abord cette espèce de 8-bits agrémenté de voix très AphexTwiniennes, et puis, comme une fleur, Blackpool Late Eighties, le morceau de l’album qui se rapproche le plus du carcan technoïdal. Ethéré, atmosphérique à souhait, drums sans aucune surprise possible, le clavier plus répétitif que jamais, montées prévues 4 minutes à l’avance. C’est limite du foutage de gueule. Si c’était pas la fin de l’album je m’insurgerais. Mais non, là, ça passe simplement pour de la rigolade.
Je sais que cet article ne ressemble à rien. Mais je ne vais pas lui donner plus de contenu. D’abord parce que cet album mérite qu’on en parle comme il est écrit (de façon spontanée), et ensuite parce que s’engager dans le décorticage de cette musique, ce serait un peu comme de la spéléologie sans frontale, et je suis aussi bon dans l’un que dans l’autre (id est pas beaucoup). Je laisse à chacun le soin d’écouter cet album 12-13 fois avant de pouvoir y saisir tous les instruments et leurs moindres nuances. Ce n’est pas forcément le bordel, non, c’est même parfois très nu et froid, un peu triste, un peu on sait pas quoi. C’est même très ordonné, mais malgré cet ordre qui peut être entendu comme un carcan, c’est contre-intuitif, ça va à l’opposé de tout ce qu’on pourrait en attendre. Et c’est tant mieux, parce que c’est finalement là-dedans que cet album trouve toute son âme naïve et toute sa force. Et lorsqu’on l’a écouté assez de fois pour outrepasser les arrangements qui ont faussement l’air d’être faits à la truelle, apparaît alors la spontanéité, la réelle finesse des variations, et avec elles le talent du mec. Bref, toutes ces petites choses qui font que The Inheritors est un grand, un très grand album.
Ehoarn
Holden – The Inheritors, chez Border Community, peut être acheté (non ? si ! sisi !) ici ou là. Par exemple. Ou ailleurs aussi. Enfin vous voyez.