Monolog – mâchez danois

En plus l'artwork déchireIl est difficile de parler de Monolog : à l’écoute du premier morceau de Lift and hold for stolen, Probuddy II, on a d’abord l’impression d’entendre une bass music déstructurée, un peu accélérée, foisonnante, mais dès Could not work at the airport, les repères valsent. On ne sait plus vraiment ce que c’est, et on comprend qu’il va sérieusement falloir abandonner toute idée de catalogage ou de gros mots tentant le regroupement.

Monolog est structurellement et radicalement à part, et, à hauteur de mes maigres connaissances dans le milieu, relativement unique. Parmi la myriade de détails techniques qui me semblent bizarres et contre-intuitifs, celui qui m’interpelle le plus est la durée des morceaux : deux seulement dépassent les 4 minutes. On dirait que Lift and hold for stolen est conçu comme un exercice de style, et il semble exactement comme tel, nous prenant toujours à contre-courant, si ce n’est rythmiquement, instrumentalement. Ces pistes courtes sonnent comme autant de petites expériences lâchées avec dédain sur une galette.

Ces percus te rendront fou

Mais non, enfin, c’est beaucoup trop léché pour être de l’expérimentation pure et simple. C’est trop parfaitement millimétré et foisonnant pour être le fruit d’un premier jet. Si les kicks métalliques et industriels sont froids et enveloppants comme il faut, le reste l’est beaucoup moins. Et encore, on est loin d’une dichotomie pure entre des rythmiques froides et des instrus chaudes comme Oyaarss peut très bien le faire. Non. Il y a un leitmotiv à l’album, ces espèces de percus totalement dingues, hachées, brinquebalantes, à contre-temps, oppressantes, on dirait un lave-linge rempli de briques (encore que je doute qu’un simple lave-linge possède intrinsèquement le panel de sons monumental qu’utilise Mads Lindgren – le danois qui se cache derrière Monolog). Mais ce qu’il s’en dégage n’est pas un sentiment d’être largué par une volonté de perdre l’auditeur dans des expérimentations autistes, mais bien un ensemble cohérent et constructif.

Au-delà de ce leitmotiv, disons, ce repère, c’est le foisonnement total. Monolog emprunte à tout va, guitares mélodiques sur Raincamouflage, voix éthérées sur Sekktortjek, grattes saturées, cordes sèches dissonantes, pianos sur Smoke N Sand. Ça sonne parfois jazzy, ça sonne parfois flamenco (!), ça sonne souvent bizarre. Mais la plupart du temps, ça tient la route, on sait pas trop comment. Le côté séduisant de cet album étant que l’expérimentation et le soin sont portés à toutes les couches, à tous les niveaux. Chaque élément y a sa place et ne fait pas de figuration. Il faut écouter les instrus, car ils ont quelque chose à dire, autant que la basse, autant que les distorsions, autant que les glitchs, autant que les percus. Mads Lindgren fait ce qu’il veut : il prend une base bass music, l’accélère, l’essore, contredit dès qu’il peut la progression lente et régulière. Lâche cette base en route, oublie les percus pour laisser le champ libre à une mélodie (pas trop souvent quand même). Retourne à une IDM surbreakée et crade vernie de guitares rageuses. Le résultat est totalement monstrueux : une partouze d’instruments accouche d’une chimère dans l’antre de l’IDM sous le regard de l’Indus et du Jazz barré. On ne sait plus où on est, et tant mieux.

ça m’perturbe tout ça

Appréhender Lift and hold for stolen n’est pas une partie de plaisir, tellement cet album est perturbant, mais il suffit d’une écoute pour susciter la curiosité : on y revient pour quelques passages fédérateurs, tout en courbant l’échine quand on ne suit plus. Rien n’est facile dans cette oeuvre, et elle mettra vos nerfs à vif, mais si l’on accepte d’être largué, alors on y retourne toujours, car il y a des idées sublimes. Et à force d’y revenir, on devient moins réfractaire au contre-intuitif. C’est probablement là la qualité et la force de Monolog : nous servir une musique indéniablement cheloue, superbement perturbante, mais pas assez autiste pour qu’on n’y voit plus la qualité et la nouveauté.

Donc pas de lyrisme envolé pour Monolog. Pas de métaphores filées ou tressées ni d’images foireuses pour parler de musique sans en parler. Monolog ne dégage pas une atmosphère définie et connue qu’on décrit avec des adjectifs convenus, il construit une identité propre, une cohérence en cherchant des associations nouvelles. La musique de Mads Lindgren est résolument nouvelle et expérimentatrice, mais son intérêt est qu’elle est compréhensible et accessible, même si difficile et perturbante.

Ehoarn

Lift and hold for stolen est sorti et disponible chez Plasma Torus. En attendant le prochain album à sortir chez – devinez qui…

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