Nous avons beau être fascinés par la transfiguration des genres et la recherche perpétuelle d’une abolition – même sommaire – des barrières qui tendent au cloisonnement simpliste des styles musicaux, le respect d’un certaine ligne éditoriale qui, ne nous le cachons pas, ne respecte rien de plus que les aléas de nos divagations au sein d’une plage audio auto-imposée, il y a des styles musicaux auxquels nous ne nous sommes tout simplement jamais attaqué sur Tartine de Contrebasse. Malgré cela, nous assumons tout à fait notre schizophrénie (ou disons plutôt notre ambivalence) et nous nous permettons aujourd’hui de goûter au plaisir que peut offrir la « musique folk », tant à son écoute qu’à l’écriture des mots qui s’ensuivent (parce que oui, nous aimons écrire, surtout quand ça nous plait). Alors soit, il ne s’agit pas de musique folklorique dans son sens le plus folklo-traditionnel-country mais bien de folk expérimentale, dont les plus pointilleux d’entre nous rangeront dans le sous-sous-sous-genre « slowcore ».
Bah oui, si on vous introduit une ode à la mixité musicale, c’est pas pour rien.
Il sera donc question aujourd’hui de celui qui répond au doux surnom de Squanto, j’ai nommé le newyorkais Ben Lovell, et plus particulièrement de son dernier album : Every Night Draws the Same Crowd. Je passerai donc outre une quelconque tentative d’explication concernant l’éventuel hommage (ou image) propre à Squanto, l’ayant poussé à porter le même nom que l’un des plus célèbres amérindiens d’Amérique du Nord, dont la générosité envers les colons britanniques a conduit 1/ à se faire gentiment décimer en guise de remerciement, et 2/ à une vague annuelle de génocides de gallinacées géantes sur quasiment un continent entier, et vais donc me restreindre à la tache qui m’incombe en tant que simple petit rédacteur musical : la musique.
L’expérience débute de façon contradictoire avec Part 3 & 4, pièce à la fois introductive et majeure de l’album, car ce morceau suffit à lui seul pour cerner tout l’univers de Squanto. Tout y est, tout est bon et ces neuf premières minutes justifient à elles seules de verser une oreille attentive à ce terreau fertile. Une douce mélodie acoustique, une harmonie de cordes sèches finement pincées, lentement ralliée par quelques subtiles percussions organiques. Les plages augmentent et s’augmentent entre elles, jusqu’à l’arrivée de vocalises discrètes ne venant ici que mieux servir le mouvement ambiant qui n’en finit plus de grimper. On s’enfonce dans ce que Squanto a de plus sylvestre à nous offrir. Les basses martèlent doucement l’air, tandis que la pluie semble envahir l’âme de cette musique. Puis c’est au tour du penchant électronique de l’artiste de venir délicatement s’immiscer dans la danse. Tout gronde autours de nous, la logique et la raison explosent pour ne laisser place qu’à l’émotion. Un dernier frisson et le vortex vous lâche, ramassant au passage ces pionnières plages acoustiques que nous avions déjà oublié en chemin. José González à la guitare, Justin Vernon au chant et Eskmo au synthé. Sacré trio n’est-ce pas ? Sauf que non, il est tout seul Ben.
Dans ses premiers frémissements, Like the Cold semble construit sur la même trame que la piste précédente, mais en fait non, pas tout à fait. Là où Part 3 & 4 nous berçait, Like the Cold attaque de manière plus brutale, sans toutefois quitter le champ des conforts acquis jusqu’ici. Ça tonne sec, les basses ne rythment plus la musique et l’ambiance se durcit.
On attend que la tempête se calme, tandis que la douceur abyssale refait surface et nous mène tranquillement jusque Heave, dont la traduction littérale ne saurait réellement retranscrire le sentiment dominant à ce stade de l’écoute. Plus de voix ici, plus de cordes pincées non plus. Plus de folk en somme ? Et bien non, en effet on s’en éloigne dangereusement. Tout reste très organique tandis que l’orgue semble décrire une procession lente et rassurante. Ça grimpe très haut, mais l’on ne se rend compte de la hauteur que lorsque l’on chute, et en l’occurrence elle est rude…
Pour vous remettre de vos émotions, Grace Avenue at Dusk, Leaves Burning Somewhere Nearby vous offre 1 minute 48 de guitare sèche sans prétentions ni moindre gâchis. Vous avez à peine le temps de lire le titre de la piste et d’essayer de comprendre ce à quoi il peut bien faire référence que la mélodie vous quitte, laissant place au titre éponyme (Every Night Draws the Same Crowd, pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi).
Vous aviez aimé Like the Cold ? Every Night Draws the Same Crowd reprend la même formule, et semble vouloir la pousser à son paroxysme, jusqu’à cette frontière que l’on outrepasse qu’une fois que l’on quitte le champ musical. Ça crie, ça gronde, tout se déchire, tout s’effondre autours de nous, la vie entière semble saturée, mais non : Squanto ne tombe jamais dans l’inaudible, et sans la moindre impression d’une quelconque prémisse de maîtrise la débâcle reste harmonieuse du début à la fin, tandis qu’impassible la fidèle guitare clôt le cortège.
On ne l’attendait plus réellement, mais To the Grid surprend par sa simplicité. Faisant appel aux éléments les plus élémentaires de son genre de prédilection, Squanto nous joue ici un morceau de folk tout ce qu’il y a de plus classique : guitare, voix, et Sean Kelly pour l’accompagner à la batterie sur la seconde partie du morceau. Quelques claviers et arrangements viennent ponctuer le tout, justifiant à la fois les comparaisons citées précédemment et la concentration de formulations dithyrambiques au sein d’un seul et même article. Le tout nous mène doucement jusqu’à …and Back qui ferme la marche de cet Every Night Draws the Same Crowd, fragment complémentaire s’il en est du précédent, tant par sa composition que par sa structure.
Donc pour être clair, oui j’ai aimé Every Night Draws the Same Crowd, je l’ai même littéralement adoré. Et puisque la vie est belle et que les oiseaux gazouillent à tue-tête, sachez que ce petit bijou est en téléchargement libre ici, ainsi qu’une bonne partie de la discographie de Squanto sur sa page Bandcamp. Pour plus d’infos sur l’artiste, consultez donc son tumblr, son Soundcloud, ou même son Facebook.
Adrien
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