Je ne vais pas vous faire une biographie commentée complète de Pan Sonic, prétendant connaître l’œuvre de Mika Vainio et d’Ilpo Väisänen. Non, je ne les connais pas. J’ai, comme tous ceux qui ont eu la chance et le bonheur de tomber sur Kilo, le dernier long de Mika Vainio, pris ma claque, évidemment. Mais au-delà, je suis un jeune chiot à l’oreille encore fraîche.
M’enfin j’ai cru comprendre que Pan Sonic n’étaient pas… comment dire… des sales petits hipsters nés en 1992 prétendant révolutionner la musique avec deux accords de guitares agrémentés d’une petite distorsion pauvrement infligée. Non, les deux routards finlandais sont actifs et productifs depuis l’époque où vous découvriez avec jouissance Noir Désir ou Rage Against the Machine, avant même d’avoir des rouflaquettes et votre premier t-shirt No-FX arrivant aux genoux. Ne mentez pas, j’étais là, je sais tout. Bref, le début des années 90. Voilà, ça fait juste 20 ans que les deux vikings peaufinent leur torture et leur nappes à vous glacer plus surement qu’un putain d’hiver à Sodankylä.
Foin de fioritures qui n’intéressent personne. Pour vous parler d’Oksastus, qui apparaît être un live enregistré en 2009 en Ukraine, on pourrait évidemment avoir recours au champ lexical du froid mordant, du nordique rude et viril, du viking barbare qui s’égaie et festoie en tricudant tympans et pavillons sur son passage. Mais non. Oksastus est plutôt une sale transe. Je ne vois pas d’autre image que celle du corps et de l’esprit qui s’écroulent et implosent sous le poids d’une névrose acerbe. Alors oui, Pan Sonic prend sa source dans les rythmes carrés et brutaux de la techno indus, ça a donc quelque chose de presque rassurant. On adhère sans problèmes aux dodelinages que provoquent les structures rythmiques somme toute assez consensuelles du premier morceau (« 7’06 », quels noms de chiotte), et des autres d’ailleurs. Beats lourds et efficaces, petits métronomes aigus pour ajouter une petite touche de bad-ass (c’est presque groovy sur le troisième morceau, bordel), Pan Sonic sait incontestablement nous faire onduler sans peine. Si les nappes et autres ornements nous cherchent, testent notre résistance, tant que le rythme est là, ce n’est pas très difficile. Le son est lourd, râpeux, fondamentalement méchant, mais reste « acceptable ». Les expérimentations se bornent aux intros et aux outros, sur les premier, deuxième et troisième morceaux. Et c’est la là beauté de la chose, car ce qu’on pourrait prendre pour une finalité n’est en fait qu’un joli repère que les deux finlandais vont sans cesse chercher à détruire, de la pire façon qui soit.
Délicieuse épilepsie
Puis vient le quatrième morceau, et là, Pan Sonic va salement jouir de faire exploser le repère crade mais confortable dans lequel ils nous avaient tranquillement installés. Ça débute comme on commence à en avoir l’habitude, métronome de cocaïnomane, basse de bad-ass, rythme alléchant. Pan Sonic nous titille, les distorsions se font de plus en plus pressantes. Mais elles ne s’arrêtent plus, et le rythme ne peut que s’effacer. C’est la rupture. Le corps et l’esprit s’effondrent dans une douloureuse épilepsie. Les connexions ne se font plus, plus rien ne répond. Cette transe ne vous lâchera plus, s’imposera à vous et vous retiendra prisonnier jusqu’à la fin du morceau. Mais au fur et à mesure que les nappes ondules, on se prend à s’y laisser glisser, l’épilepsie devient délicieuse, et plus rien d’autre n’a d’importance. On prie pour que ça s’arrête mais on ne peut pas se résoudre à l’arrêter. A ce moment précis, on comprends qu’Oksastus n’est plus seulement un environnement propice au lâcher prise, à l’expression de nos pulsions les plus viles et les plus noires, mais que cet objet devient aussi un catalyseur, un déclencheur.
Ce morceau est un pont vers un état second, une porte que notre esprit doit franchir pour pouvoir regarder la musique de Pan Sonic avec une oreille nouvelle. Sans transition, le cinquième morceau nous remet dans le bain confortable des beats connus et rassurant. Mais après être passé par le morceau précédent, le regard est différent. Le corps se relève, se force et se meut encore, vide d’énergie mais porté par le rythme. On reprend confiance, l’esprit retrouve ses repères. Après ce qu’on vient de vivre, c’est presque un doux repos. Et c’est là qu’Oksastus nous achève. Dix-sept minutes et vingt-huit secondes, c’est le temps qu’il faut au 6e morceau pour réduire vos derniers neurones encore valables à néant.
Névrose, sacrifice, résurrection
Tout est brutalité. Minimaliste, pure, froide, insupportable brutalité. Mais Pan Sonic a pris bien soin de nous préparer, et c’est par je ne sais quel masochisme que nous sommes encore là. Pan Sonic fait de nous des morceaux de chair sans vie, on a sciemment offert nos carcasses vides à leur merci. Ce sixième morceau est une torture, mais pour ceux qui ne sont pas morts en route et qui ont encore le courage d’être debout, c’est la plus belle des tortures. Ce sixième morceau est un processus de sélection drastique, mais pour les 3% de furieux qui n’ont pas encore jeté leur ampli par la fenêtre, la récompense arrive à la 10e minute. Retour à une techno indus efficace, le corps que l’on croyait réduit à l’état de lambeaux de chair se voit soudain transcendé d’une énergie insoupçonnée et se déhanche avec violence et une névrose arrivée à son apogée. Tout est clair à nouveau. Alors les gars, vous pouvez distordre comme bon vous semble et mettre autant de scies sauteuses que vous voulez, tout ceci n’est plus que mignardise. Et je m’arrêterai là, car les deux derniers morceaux, après la blitzkrieg qu’on vient de se manger, font office de deux petits carrés de chocolat accompagnant le café.
Concluons, s’il en était besoin : Oksastus est un monstre de minimalisme froid. Oksastus est une violence intrinsèque. Oksastus est un sale produit que vous n’auriez pas dû prendre, mais dont vous vous souviendrez toute votre vie. Vous ne savez pas si Oksastus est une bonne chose ou pas. Il est clair que cet album n’est pas pour toutes les oreilles, et je ne doute pas qu’une large partie de nos rares lecteurs soient, au mieux, allés relire la tartine de Squanto pour purifier leurs oreilles souillées, ou, au pire, aient maudits la Tartine jusqu’à sa 33e génération. Mais pour les rares qui sont restés, avouez, que dans cette sale transe, vous vous êtes sentis, quelque part, plus vivants que jamais.
Oksastus est disponible sur le label ukrainien Kvitnu, et c’est ici que ça se passe. Profitez-en, c’est, en plus, un bel objet.
Ehoarn
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