Hey Colossus : In Black & Gold. Oh et puis merde.

Hey Colossus In Black And GoldBon. Puisque personne ne se donne la peine de le faire pour nous, je vais le faire moi-même. Je vais donc – une fois n’est pas coutume (mais faudrait faire gaffe à ce que ça ne le devienne pas) – délaisser les musiques ordinateurisées et les autres laissés pour compte musicaux de la sanité mentale rythmée par une partoche de batterie, et m’arracher mes vêtements afin de courir le zguègue au vent et un crâne tatoué sur l’épaule, me jeter dans les bras que m’ouvrent les musiques électrisées. En d’autres termes, je vais vous parler du dernier Hey Colossus.

Les malheureux qui ont eu la mauvaise idée de signer un bail locatif avec mon blaze dessus depuis quelques mois ne le savent que trop bien, j’aime Hey Colossus comme on aime s’enquiller des cornichons à 3 du mat’ par bocal de 2 litres tout en sachant qu’on se réveillera le lendemain midi à 16h avec un trou dans le bide digne du vide intersidéral que laissent au fond de ton cerveau certaines choses un peu dures à faire passer, comme une écoute intégrale d’un album de Hey Colossus, justement.

Car ne nous voilons pas la face, on aime Hey Colossus pour la même raison qu’on aime les cornichons : c’est autant pour le goût que ça a, que pour le vide douloureux que ça laisse après ingestion.

Pour rappel, Hey Colossus, il n’y a pas si longtemps, c’était ça :

De la testostérone surdosée à 200 mg par comprimé, en somme. Plus gras et débile qu’une foule d’hargneux écossais compensant leur frustration de ne pouvoir pratiquer l’ovalie par l’absorption de quantités olympiques d’alcool bulleux. Plus efficace et sobre, et infiniment plus bandant que n’importe quel groupe de minables pseudo-punks antifas cons comme leurs clebs que la Mécanique Ondulatoire voudra bien programmer (coucou).

Et puis, portés par un 78e album (au moins) à l’artwork et au titre non dénués d’un certain sens de l’humour, il s’est passé un glissement translationnel comme on ne l’attendait pas vraiment, enfin moi je sais pas, avant je connaissais pas. Enfin toujours est-il que HC s’est mué en ça :

Bon, en partie seulement, puisque l’album faisait sévèrement la bascule entre rock psyché (puisqu’étiquettes il faut bien coller) et vieux bourres-pif bien crades en 4 temps, bien répétitifs, avec ce petit grain de saleté et cette voix complètement hallucinée qui nous viennent des tréfonds des albums Happy Birthday et Eurogrumble. Mais je vais pas vous refaire la chronique de Cuckoo Live Life Like Cuckoo, d’autres s’en sont déjà chargés, et depuis, In Black & Gold est venu pointer le bout de son vinyle dans les chaumières.

« Oh putain »

…est probablement la première chose que diront les aficionados, sans être capable de dire si la surprise prend le pas sur le dégoût. Bah ouais coco, après t’être injecté English Flesh avant le café tous les matins depuis un an, quand tu passes à Hold On, ya comme un petit doute. Les autres te demanderont avec un vague dédain si c’est eux ou toi qui se foutent de leur gueule. Qu’on se rassure, ça ne dure pas longtemps.
Oh et puis merde, je ne vais pas vous la faire « morceau par morceau ». D’abord parce que c’est le degré zéro de la chronique (vous méprenez pas, il vaudra toujours mieux bien écrire de la merde que prétendre écrire quelque chose d’intéressant), ensuite parce que ce In Black & Gold s’inflige de bout en bout, ou devra rester coi. Plus encore que pour Cuckoo…, et même si c’était déjà bien lisible pour celui-ci, cet album prend tout son sens qu’une fois toutes les facettes étudiées. Parce que Hey Colossus n’est pas un groupe de noise, ni de rock, ni de hard, ni de psyché, ni de stoner, c’est simplement un groupe de mec approchant la quarantaine qui se disent : « té, marcel, j’ai bien envie de faire un morceau qui commencerait par quatre ou cinq soupirs grave de Jean-Louis, tsé, comme s’il allait tous nous violer, pis après il ferait des cris chelous avec la voix nasillarde de Benoît XVI en rut » (Wired_Brainless) « ah mais ouais, tiens, d’ailleurs avant ça on pourrait faire nawak à partir d’un seul accord pendant 3 minutes pendant que l’autre gueule faux ? » (Hey, Dead Eyes, Up !). Enfin vous saisissez l’idée. Les Hey Colossus ont tellement hurlé, tellement niqué des kilomètres de cordes de guitare qu’ils ont peut-être légitimement décidé que certains petits jeunes pouvaient désormais le faire mieux qu’eux, enfin si ce n’est mieux, en tous cas sur la durée. Et franchement, peut-on vraiment leur en vouloir ?

Au fur et à mesure des albums, donc, les masses de magma électriques saturent moins l’espace sonore. Alors libérée du bruit constant et abrutissant (mais qu’on subissait avec le plaisir coupable de l’amateur de cire fondue lors des séances de galipettes), l’oreille découvre la structuration inhérente aux compositions de HC. Là où avant, les accords, les voix, les finesses s’effaçaient pour ne laisser apparaître qu’un torrent d’onde hurlant un mélange de faim, d’énergie pure et probablement d’une haine contre on sait pas trop quoi (ou bien juste le plaisir de se bousiller la gorge, c’est possible aussi), aujourd’hui émerge une réelle possibilité de lecture du son des ex-furieux, et donc une accessibilité certaine.

Oui, HC s’est indéniablement calmé. Doit-on s’en émouvoir ? Oui m’sieur, d’autant plus qu’ils ont passablement remplacé la violence à tout crin par la potacherie d’un boucher-charcutier tourangeaux, et que loin de perdre toute substance et tout intérêt, désormais leurs compétences indéniables se développent dans d’autres cadres. S’ils aiment toujours autant la basse grasse et la voix qui s’emballent le temps d’un kick court et classiquement efficace, et donc y reviennent toujours fatalement (Hey, Dead Eyes, Up !), ils excellent aussi, et avec le plus grand sérieux, dans la langueur psychotique des nuées lentement développées et usées jusqu’à la lie, s’imprimant douloureusement dans tes synapses jusqu’à la nausée. Morceaux éreintants car étirés et abrutissants, la violence change de forme. How to tell time with Jesus faisait son office sur Cuckoo…, aujourd’hui c’est Lagos Atom qui prend le relais, pièce maîtresse, élément essentiel de l’abum, qui justifie à elle seule tout le reste.

S’il est tout à fait légitime de questionner la bonne foi et le sérieux de ces tarés, quand on connait un peu leur passif, il est bien un morceau pour lequel aucun doute n’est possible. Hé oui. Non content de t’en mettre plein la tronche, non content de se foutre allègrement de ta gueule, non content de se jouer de ce qu’on pourrait avoir la prétention d’attendre d’eux, avec ce Lagos Atom, les Hey Colossus te prennent par la main et te jettent sans ménagement dans un délire vaudou (ou tout ce que tu voudras bien y voir) de 10 minutes, et avec le sourire jusqu’aux oreilles s’il te plait. Ce serait anecdotique si ce n’était pas orchestré d’une main de maître, ce serait suranné si c’était l’exacte correspondance de ce qu’on attend d’un morceau qualifié de « psychédélique », mais range ton acide ou ta salvia, tu n’es pas au royaume du lotus avec Ravi Shankar, t’es avec tes démons dans un bayou sudiste hybridé avec un sous-sol poisseux et charbonné d’une anonyme ville industriellement sinistrée en Angleterre. Ça va être long et douloureux, d’autant plus qu’une certaine excellence de la complainte explose à la 7e minute, déjà fortement supputée depuis Pit And Hope sur Cuckoo, alors même que tu te pensais libéré. Mais t’en fais pas, pour la suite et fin de l’album, tu pourras te reposer à nouveau sur un ton beaucoup plus léger.

Si chroniquer un album, c’est essayer de tirer un propos cohérent, porté par une ligne directrice et des pirouettes sémantiques qui vont bien là où il faut pour prouver qu’on a une plus grosse métaphore que son voisin, l’exercice est vain pour certains objets musicaux qui sortent de l’ordinaire (sans pour autant que ça puisse être lié à un ou plusieurs styles de musique). Car certaines personnes aiment l’auto-sabordage et la dérision au point d’en sortir des albums, et que ces albums sont généralement des ramassis de conneries auxquels on ne peut néanmoins jamais s’empêcher de revenir. Parce que certains adeptes de la dérision élèvent leur pratique au rang d’art, et que les Hey Colossus ont troqué leur habitude de saturer l’espace sonore par une sale propension à nous fournir l’inverse de ce qu’on attend. Et qu’ils le font avec le talent des maîtres : ils savent, avant même que nous le sachions nous-même, ce dont on avait besoin. Longue vie à Hey Colossus.

In Black & Gold s’achète chez Rocket Recordings. Digital, CD, vinyle. Si vous hésitez, arrêtez tout de suite, ils en sortent généralement peu d’exemplaires, et ne re-pressent jamais leurs anciennes sorties.

Ehoarn

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