Encore et toujours lors de cette désormais mythique première édition du Transient Festival, nous avions plus ou moins convenu de causer quelques minutes avec les deux patrons de Vox’xoV Records, sur le pouce, comme on s’enfile une part de quiche, voyez, entre la poire et le Fennesz. Mais de petite causette non préparée, ça s’est mué en une discussion enflammée de trois quarts d’heure, lors de laquelle Mourad, Vincent, et le discret Maxime qui s’était incrusté comme si on l’avait pas vu, ont longuement disserté, sans qu’on ait vraiment eu besoin de les relancer, sur les palindromes, les sandwichs grecs, le féminisme musical et les frais de port d’un vinyle double gatefold sérigraphié. « Créer son label d’ambient pour les nuls », en somme.
Bonsoir Vox’xoV, ça va ?
Bonsoir Tartine. Ça va bien.
Même Max y va bien ?
Maxime : Ça va oui.
Vincent : Il fait de la musique pour des gens qui vont pas bien mais lui il va bien, oui.
Est-ce que vous pourriez commencer par vous présenter un petit peu, parce qu’on ne vous connait pas ?
Mourad : Alors moi je suis Mourad, je suis le co-manager de VoxxoV Records. Je n’ai pas eu de formation musicale à proprement parler, même si j’ai grandi dedans. Dans la vie je suis ingénieur éclairagiste et acoustique. Vox’xoV Records a maintenant deux ans, et on a commencé comme ça, sans formation préalable.
Vincent : Je suis Vincent. Voilà. Co-manager de Vox’xoV Records avec Mourad. Je n’ai pas de background, rien du tout. J’ai la gueule dans le son depuis, on va dire, 15 ans, je me suis dit que ça pouvait justifier le fait de faire un label. Avant, je travaillais, je gagnais mon pain dans un métier qui n’a absolument rien à voir avec la musique.
Maxime : Moi je suis plus le graphiste du label, et puis on partage les sons la plupart du temps, j’écoute ce qu’ils m’envoient…
Vincent : Mais il est pas que le graphiste, il a un avis plus que consultatif.
A côté de ça tu es aussi Paskine… comment en es-tu arrivé là ?
Maxime : J’ai pas de formation non plus. Comment j’en suis venu là, je ne sais pas, ça a plus un rapport avec les beaux-arts. Je pense que c’était plus de l’expérimentation sonore, soit dans un côté très narratif, ou dans quelque chose de plus physique, sur la texture, des choses comme ça.
Paskine à l’oeuvre aux Mains-d’Oeuvres
Tu as fait partie de l’aventure Vox’xoV dès le départ, en tant que graphiste ?
Vincent : En fait ce qui s’est passé… ça t’ennuie pas que je réponde ?
Maxime : Nan, vas-y, en fait je pense que la réponse sera la même.
Vincent : En fait ce qui s’est passé, si tu veux, à l’époque, Max avait sorti ce qu’on peut appeler un EP, sur un netlabel qui s’appelle Abstrakt Reflections. A l’époque, je trouvais qu’artistiquement parlant, il y avait quelque chose du travail de Paskine qui était de l’ordre du diamant brut, mais qui demandait à être poli. J’avais pas aimé son disque mais j’étais sûr qu’il pouvait faire quelque chose de bien. Donc à l’époque, j’avais proposé à Mourad de se rapprocher de Paskine pour discuter de travaux en aval. A partir de là, il a été associé très rapidement à l’esthétique et à l’aspect graphique du label, qui était encore en gestation.
Mourad : Nos premières sorties étaient des compilations réunissant plusieurs artistes, il y en avait une qui était axée plutôt IDM, et puis une deuxième qui était plutôt axée drone-ambient. Donc Max, dans un premier temps, on l’a sollicité pour un titre pour cette compilation, et après avoir vraiment discuté avec lui et qu’il nous ait montré ses talents de graphiste, on s’est dit que ce serait vraiment top s’il pouvait faire quelque chose pour les pochettes, et puis pouvoir travailler par la suite pour créer l’identité visuelle de Vox‘xoV.
Vincent : Et aujourd’hui même si on peine à dégager une identité sonore, qui, au bout de cinq sorties, reste assez intraçable, je pense qu’il y a une charte graphique, créée par Max, qui devrait de toutes façons être pérennisée sur les futures sorties. Aujourd’hui Max fait partie intégrante du label, même si à la base l’idée d’un label c’est Mourad et moi, on voit pas trop comment ça pourrait se poursuivre sans Max.
Mais attention, les covers, les artworks des sorties sont quand même faits avec l’aval des artistes. On arrive pas comme ça en déboulant « ouais on a un graphiste tu vas voir il va te faire quelque chose et ce sera comme ça ».
Maxime : Oui et puis il y a des collaborations avec les photographes…
Vincent : Oui, la plupart du temps, c’est Aurélie Scouarnec, qui a fait la photographie pour le Nebulous Sequence d’Hakobune, et qui vient de faire la photo pour le Map165, The Fatigue of Sunlight and Wine. Il y a aussi Amélie Petit-Moreau, qui expose ici au Transient, qui a fait l’artwork du TRDLX.
Ci-gît un échantillon gratuit de l’oeuvre d’Amélie Petit-Moreau. Pour avoir la totalité va falloir craquer sa thunes pour l’album de TRDLX.
Pourquoi un label ?
Vincent : Mourad ?
Mourad : …euh… pourquoi on a créé ce label ?
Vincent : En fait ce qui s’est passé c’est qu’à la base, ce qui nous a réunis Mourad et moi, c’est la même fréquentation d’un site internet de l’époque, qu’il n’est pas nécessaire de citer…
Mourad : Boah si j’pense qu’on peut le citer…
Vincent : Nan c’est pas nécessaire. Rapidement, on a eu des échanges, parce que Mourad a été un des premiers lecteurs de ce site, et lors de ces échanges réguliers et rapides, est venue l’idée de monter un label. Même si ça a germé dans nos têtes avec d’autres personnes, notamment le graphiste Shift, qui a fait les visuels du site internet à l’époque, certains ont, par la suite, choisi de déserter parce que la liberté avait trop de charmes. Ça s’est finalement fait en effectif resserré, pour des raisons… de vie, quoi, de choix. Donc c’est surtout notre passion pour ces musiques-là qui nous a réunis autour d’un label. A l’époque, on était plus dans les musiques électroniques, beaucoup moins l’ambient, ce qui est aujourd’hui quand même beaucoup plus représentatif de l’esthétique de Vox’xoV. Avant, c’était beaucoup plus l’IDM, l’electronica, des choses comme ça. D’ailleurs on ne vous citera pas le nom que devait avoir Vox’xoV au départ, c’est un peu honteux.
Boarf, on s’appelle bien Tartine de Contrebasse…
Vincent : Ouais bon disons qu’à la base Vox’xoV devait s’appeler Synaptic Rachitis. Quand même.
Maxime : Oh bordel. Je crois que j’aurais pas signé.
Vincent : On avait voulu faire un logo avec une synapse qui avait des problèmes chromosomiques…
Mourad : En fait ce qui est intéressant, c’est qu’on a aussi évolué dans les mêmes directions. On aurait pu aussi partir dans des directions différentes, on aurait eu quelques problèmes de cohérence.
Vincent : C’est pour ça qu’aujourd’hui la volonté de Vox’xoV c’est d’avoir une identité ambient, sans pour autant être niché. C’est-à-dire qu’on va pouvoir sortir un album de drone, un album d’electronica, un album d’IDM, un album de Paskine – parce qu’il y a pas de genre encore qui référence ce que fait Paskine – etc. Donc voilà, on est un label ambient un peu nébuleux, un peu intraçable. La preuve, encore une fois, sur les 5 sorties qu’on a faites, au-delà de la charte graphique, il est difficile de faire une filiation artistique et musicale. Même si la thématique globale et la couleur majoritaire restent l’ambient.
Et pourquoi le nom Vox’xoV ?
Vincent : Le label devait s’appeler Synaptic Rachitis. On devait être trois, on a été deux, donc on s’est dit que le nom devait changer, vu que le projet changeait. On savait vraiment pas quoi choisir. On était dans un sandwich grec avec Mourad, et en fait, ce qui s’est passé, c’est que le grec qu’on avait bouffé était pas frais, on est partis dans un délire un peu psyché. Je voulais un truc palindromique ou symétrique, et je lui ai dit « Vox’xoV » parce que j’aimais bien le côté « vox », vocal, voix, machin, le côté symétrie improbable, on va pas rentrer dans des schizophrénies qu’on maîtrise pas, mais voilà…
Mourad : On voulait quelque chose de graphique, de symétrique. On voulait vraiment que ce soit simple. Synaptic Rachitis c’était… trop.
On était en interview hier avec Kangding Ray, j’ai lutté pour prononcer « Stroboscopic Artefacts »…
Maxime : Ah ouais putain.
Vincent : Qui reste un très très bon label malgré tout. Après, le parti pris colle assez bien à leur identité musicale et graphique, je trouve que pour Vox’xoV, jusqu’ici, on a réussi à en faire quelque chose qui colle avec le nom qu’on a voulu donner, malgré tout.
Et l’effectif resserré ça vous convient ?
Mourad : Oui, ça fonctionne, ça nous convient. Au début c’était un peu compliqué, parce qu’on découvrait le métier, donc on se disait que ça aurait pu être plus sympa d’avoir une troisième personne. Mais au final, dans le choix, la direction artistique, c’est plus simple d’être à deux, dans le sens où soit on est d’accord, soit on est pas d’accord. Et puis on s’est toujours dit qu’on ferait pas de compromis du genre « moi j’aime pas, mais on le sort quand même », on est tous les deux ok là-dessus, s’il y en a un d’entre nous qui a des doutes, on passe à autre chose. Donc effectivement, l’avantage, il est réellement là. Plus on sera nombreux, plus ce sera difficile de prendre des décisions.
Vincent : Déjà, tu réduis les risques de compromissions. Quand t’es à trois ou quatre, ou que tu as des avis consultatifs qui se multiplient, c’est difficile de réunir ça autour d’une seule et même parole. Avec Mourad, même si on a pas les mêmes personnalités et les mêmes goûts, on arrive très vite à un consensus. Ce qui aurait été très compliqué dans la version Vox’xoV de l’époque. C’est pour ça que c’est très satisfaisant aujourd’hui, il n’y a jamais eu de débat en fait. Il n’y a jamais quoi que ce soit qui nous a été proposé pour lequel Mourad ait eu une volonté de le sortir et moi non, ou l’inverse. Pourtant on a pas des personnalités très consensuelles ou aptes au compromis.
Mourad : Maintenant, ya aussi Maxime, à qui on demande systématiquement son avis, et là c’est pareil, c’est plutôt simple.
Vincent : C’est plutôt simple, mais c’est le plus aigri de la bande.
C’est ce que j’allais te demander, Maxime, dans tes avis, est-ce qu’il t’arrive d’être en désaccord avec tes deux comparses ?
Maxime : Non, mais quand il y a quelque chose qui ne va pas me plaire, je vais le dire clairement.
Mourad : On est très à l’écoute de son avis de musicien.
Maxime : Mais après, je ne fais que confirmer ce qu’ils pensaient à la base.
Vincent : Dans la première version de Vox’xoV, Synaptic Rachitis, il y avait un côté presque romantique et adolescent dans la représentation de ce qu’est un label de musique, de ce vers quoi on va, de ce qu’on sort, de quel budget on y met. Toutes ces représentations-là étaient complètement biaisées par notre vision romantico-adolescente de ce qu’était la musique qu’on aimait. Il a fallu aussi qu’il y ait des choses qui mûrissent dans nos têtes pour qu’on s’aperçoive des réalités de la chose, de ce qu’on pouvait sortir ou ne pas sortir, des réalités économiques, des réalités artistiques, des réseaux de diffusion, ça c’est des choses qu’on a apprises vraiment sur le tas.
Mourad : On avait un point de vue d’auditeurs, de personnes de l’autre côté de la barrière, donc on pensait que c’était aussi très simple de sortir un CD, on ne connaissait pas les contraintes.
Vincent : On connaissait pas les chiffres des albums qu’on aimait… je me rappelle d’une époque où j’étais persuadé que les artistes que j’aimais vendaient plein de disques ! Ensuite on est passé de l’autre côté, et on s’est rendu compte que même des labels qui étaient inscrits dans une pérennité sévère, c’était des gens qui avaient de grosses difficultés à rembourser leurs productions, à être dans une santé financière viable, donc voilà, à propos de toutes ces réalités-là, la version Vox’xoV 2.0 a été beaucoup plus adulte, consciente de ce qui peut se faire et ne pas se faire.
Est-ce beaucoup mieux qu’une synapse avec des problèmes chromosomiques ? Forts de notre neutralité journalistique, nous soulevons ici une question cruciale dont la responsabilité de la réponse appartient entièrement au lecteur.
Et justement, c’est quoi les contraintes inhérentes à la création d’un label, puis à sa pérennisation ? Vous avez quel statut juridique, déjà ?
Mourad : Association loi 1901. Pour l’instant, et je pense que ça va durer un petit moment, on ne se rémunère absolument pas. On gagne notre vie tous les deux à côté. Ensuite, sortir des CDs comme ça, on ne peut pas. On a besoin d’autorisations, de choses comme ça… et ça on en était pas conscients au début, donc on a appris à le faire.
Vincent : Même en termes de production, on s’est aperçu, au fur et à mesure des choses, qu’il fallait des ingénieurs du son confirmés, qui pouvaient souligner les dynamiques qui nous plaisent, et un ingénieur son pour un master, tu prends pas n’importe qui, si t’as envie que les choses collent avec l’esthétique que tu veux dégager, avec le grain que tu veux rendre sur l’ensemble de tes sorties. Les impératifs de mix aussi, n’importe qui peut faire un disque dans sa chambre et le balancer sur soundcloud, sur bandcamp, ou sur un netlabel sans mixer quoi que ce soit… nous, notre parti pris c’était de rendre des versions professionnelles de ce qu’on sortait. C’est pour ça qu’on a été intraitables avec les artistes sur le mix, sur le master, et aussi sur toute la dimension objet. On voulait pas être un label qui fait uniquement du digital ou du mp3, ou même sortir des boitiers CD en plastique. On voulait vraiment qu’il y ait une esthétique Vox’xoV qui soit graphique, de qualité professionnelle sur le rendu et sur la production.
Pourquoi ne pas avoir fait le choix d’un netlabel avec un travail de mastering ?
Mourad : Parce qu’on est fan de l’objet avant tout.
Vincent : En fait ça dépasse largement le cadre de l’objet. Sans être des esthètes de la musique ou quoi que ce soit, on pense, sans pour autant dénigrer le travail des netlabels, que c’est pas du tout ce qu’on voulait faire. Sortir un disque tel que nous on a envie de le sortir ça a un coût, et il est substantiel. Les netlabels ont cette liberté de sortir à peu près ce qu’ils veulent et d’y mettre peu de moyens parce qu’il y a peu de coûts.
Mourad : Et peu de risques de perdre de l’argent.
Vincent : Même si aujourd’hui l’industrie du disque n’est pas du tout florissante, et pas seulement dans l’ambient et les musiques indépendantes, la volonté malgré tout c’était de rester sur de l’objet, et sur de la musique bien produite et bien faite. Il est pas exclu qu’à l’avenir on sorte aussi des vinyles, même si c’est pas à l’ordre du jour, mais en tous cas l’objet ne disparaîtra pas. Si l’objet disparaît, Vox’xoV disparaît. Il est hors de question de faire de la musique uniquement digitale. Si les conditions économiques le permettent, il y aura vinyles.
Mourad : Mais cassettes je pense que non.
Vincent : Cassettes jamais de la vie.
Mourad : Je pense qu’on va totalement oublier les cassettes.
Vincent : A moins qu’il y ait un concept artistique qui justifie l’utilisation de la cassette, mais je pense trahir personne au sein de Vox’xoV en disant que le format cassette est quand même fait pour plaire aux hipsters, et pour se foutre un peu de la gueule du monde. On va pas la jouer audiophile pour autant, mais c’est quand même un format assez sale, assez cradingue.
Mourad : Je pense que c’est surtout une position marketing, qui dit qu’à un moment il faut savoir faire autre chose, pas rester dans la niche, sortir des disques pour sortir des disques, du coup, sortir une cassette, c’est une façon de se démarquer.
Vincent : Après, on respecte les gens qui sortent des cassettes pour des questions de coûts, mais je pense qu’il y a des labels qui sont très bien établis en France et ailleurs, qui ne sortent que des cassettes, et qui pourraient très bien sortir des vinyles et faire un véritable effort de production d’objets. On respecte, mais c’est pas notre truc.
Soyez rassurés, chers lecteurs, le BAV (Bras Armé de Vox’xoV) patrouille dans les rues de France et de Navarre.
En quoi c’est différent du vinyle ? Il y a aussi une petite crasse dans le son, un bruit, un son pas aussi clair que sur un cd…
Vincent : Oui, tout à fait, après on rentre dans des positions audiophiles… Je pense qu’il y a des musiques qui justifient un format cd, parce que le microsillon va nuire au rendu sonore. J’ai beaucoup de mal à envisager l’album de Paskine sur microsillons par exemple, vu la place qu’il laisse aux silences et à toutes ces choses-là, je pense que le format vinyle nuirait à ça. Si demain on fait un truc avec des violoncelles, des oscillateurs, et qu’on déclare un hymne aux subs ou aux graves, ce serait bien qu’on sorte ça sur vinyle. Par exemple l’album de Damian Valles, si on en avait eu les moyens, je pense qu’une sortie vinyle aurait été tout à fait justifiée.
Et c’est quoi les contraintes inhérentes aux sorties vinyles ?
Mourad : L’argent, clairement. Déjà à la production, mais surtout en frais de port. Aujourd’hui c’est très compliqué de gérer le port de vinyle. On essaie de faire des envois très propres aussi de notre côté pour les CDs, mais pour le vinyle c’est encore plus compliqué. Faire payer 15 euros de frais de port à un client en Australie, on trouve ça un peu indécent.
Vincent : …et du coup vu qu’on est un label assez jeune, qui se lance, on a pas encore les reins assez solides pour pouvoir se permettre de prendre une partie des frais de port à nos frais. Et il y a aussi une autre contrainte liée au vinyle. Pour les musiques qu’on propose, la durée idéale d’un vinyle ce serait 19 minutes par face, donc on va être entre 38 et 42 minutes max pour un vinyle, alors qu’aujourd’hui on sort des albums qui font à peu près 70 minutes. Donc ça voudrait dire double vinyle, si on veut faire un bel objet ça veut dire imprimerie, sérigraphie, double gatefold. On est sur des budgets qui sont trois fois ceux qui sont les nôtres. Aujourd’hui la situation financière de Vox’xoV est saine, stable, la majeure partie des albums qu’on a sorti sont rentables, si ça continue comme ça, il y a de fortes chances qu’un jour on sorte des vinyles, effectivement.
Donc pour l’instant ça fonctionne ?
Vincent : On fait des éditions limitées, on est sur des trucs entre 250 et 500 exemplaires, et on en vend.
Mourad : Suffisamment.
Vincent : Sur la première sortie qu’on a faite, il doit nous en rester une petite dizaine. [NDLR : fans d’Hakobune, cherchez pas, il est maintenant sold out]
Mourad : Le seul objectif qu’on s’était fixé, c’était rentrer dans nos frais. Rembourser les coûts. On est pas là pour gagner de l’argent à proprement parler, dès qu’on a assez d’argent pour presser l’album d’après, on le fait.
Vincent : Et on sait aussi très bien qu’on aura des sorties qui vont très bien marcher et qui vont du coup pouvoir permettre le financement de sorties sur lesquelles on va pouvoir prendre beaucoup plus de risques, où là on va pouvoir se taper des fours économiques. Ça a été le cas avec une de nos sorties qui a financé les trois suivantes.
Mourad : On est pas dans le compromis quant à nos sorties. Quand un album nous plaît, on fait en sorte de le sortir. On sait pertinemment que tel album va se vendre beaucoup moins que tel autre, mais d’autres feront tampon sur une ou deux sorties après.
Vincent : D’ailleurs le parti pris assez risqué qui a été le nôtre ça a été de sortir l’album de Paskine, de TRDLX et de Map165 qui ne sont que des premiers albums. Ce sont des gens dont personne n’a entendu parler avant.
C’est important pour vous de sortir des artistes qui n’ont jamais sorti ailleurs ?
Vincent : C’est aussi le but. Après je ne te cache pas que des gens comme TRDLX ou Paskine, Mourad et moi on est pas dupes, on sait très bien que c’est des gens qui vont aussi sortir des choses sur des gros labels, et c’est tout à fait louable. Pour nous, à un moment, c’est aussi notre fierté de dire que c’est nous qui les avons découverts, même si ça leur permet d’aller signer, je sais pas moi, pour TRDLX, s’ils allaient vers Detroit Underground, je serais tout à fait satisfait, si Maxime allait sortir chez Sub Rosa, chez Editions Mego ou chez Pan, on serait les plus fiers du monde. Même si après, notre volonté, à un moment, ce serait d’être sur un accompagnement d’artiste au long court.
Mourad : On est conscients que d’autres labels ont une plus grande visibilité que ce qu’on peut leur apporter nous. Ensuite, retravailler ensemble après tout ça, on vit de ça. On est pas là non plus pour faire grandir des artistes, et puis les perdre…
Vincent : Après, les artistes n’ont aucune obligation contractuelle qui les lie à Vox’xoV. Absolument aucune. On fait quelque chose avec eux, nous effectivement, notre souhait c’est de les accompagner sur la durée. S’ils souhaitent le faire avec nous c’est tant mieux, s’ils souhaitent évoluer vers d’autres sphères et rejoindre des labels qui leur apportent gloire, argent, putes et coke et tout ça, ya pas de soucis.
Si vous êtes dans ce principe de découverte des artistes, quelque part vous êtes un peu dans le rôle de pouponnière, de pépinière de jeunes talents, et en fait vous préparez le terrain pour les gros labels…
Maxime : Moi je pense qu’on peut tout à fait signer sur un gros label et revenir après. C’est une certaine sympathie qui fait qu’on restera.
Vincent : Au-delà de l’aspect artistique, on essaie d’être dans des relations humaines qui ne sont pas qu’artistiques et intéressées.
Mourad : C’est clairement amical.
Après, si les artistes sortent ailleurs, ça vous fait aussi de la pub, indirectement.
Vincent : Oui tout à fait, et on sait aussi très bien que si on est sur la volonté de durer plus de deux-trois ans, il y a des disques qui n’auront pas forcément le succès escompté dès leur sortie, si on s’installe dans la durée, on compte aussi avoir un public… « expansionniste », sans volonté capitaliste, clairement, mais à un moment il y aura aussi des gens qui nous découvriront peut-être dans deux-trois ans, qui auront envie de découvrir les albums sortis bien avant, et je trouve satisfaisant qu’il nous en reste et qu’on puisse les proposer à ce moment-là.
Mourad : L’idée, c’est d’avoir un réel catalogue. De ne pas attendre qu’un album soit sold-out pour en presser un autre. Quitte à engager nos fonds personnels. Mais qu’à terme, au bout de cinq ans, on puisse encore réécouter les choses qu’on a faites dès le début. Donc on essaie de régler nos quantités de presses en fonction de ça.
En parlant de catalogue, vous avez des choses à venir ?
Mourad : On a des choses en court de négociation, mais rien d’arrêté pour le moment. On peut pas vous dire tel artiste sortira tel album à tel moment. On est en contact avec pas mal de monde, mais c’est en gestation.
Vincent : On sait que de toutes façons, en 2015 il y aura un nombre de sorties similaires à 2014. A peu près 5 albums par an. C’est ce qu’il faut pour que les gens se souviennent de toi, qu’ils sachent que t’existes. Il y a des labels comme Editions Mego qui sortent 50 albums par an…
Maxime : Ouais mais c’était cette année, l’année dernière c’était pas comme ça.
Est-ce que vous imaginez que Vox’xoV puisse devenir un gros label ?
Vincent : On se pose pas trop la question en fait. On fait les choses telles qu’on les ressent, et si un jour, pour un artiste majeur, ça signifie quelque chose de signer chez Vox’xoV et que nous on se sent de faire la proposition, on se posera pas la question, on le fera. Après, étant données les conditions économiques de la musique mondiale, quelle qu’elle soit, mainstream ou pas, le terme « gros label » ne veut plus dire grand-chose. Je pense qu’aujourd’hui les gros labels mondiaux, sans les distributeurs, sont confrontés aux mêmes problèmes que nous. C’est la distribution qui permet aujourd’hui de dire si un label est rentable ou pas. Certains labels indépendants ont accès à des gros distributeurs, ce qui n’est pas notre cas aujourd’hui, même si on a un réseau qui fonctionne. En tous cas le terme « gros label » est, je pense, complètement obsolète.
Mourad : On cherche pas spécifiquement à nous dédouaner des distributeurs. On a besoin d’eux, et surtout, par rapport à l’accessibilité de la musique, les distributeurs ont un réel intérêt.
Vincent : Et puis notre travail, ce n’est pas notre label. On a des métiers, tous, on attend pas de la musique pour vivre. Ce n’est pas quelque chose qui nous obsède. Si ça se passait comme ça on cracherait pas dessus, mais sans verser dans le pessimisme, je pense pas que ça arrivera.
Il y a des labels auxquels vous voudriez ressembler ?
Mourad : Il y a des labels dont le fonctionnement nous plait, sans dire qu’on voudrait leur ressembler.
On veut des noms.
Vincent : Ouais, en fait, j’avais compris. Après, sur le principe, ce serait sur la durée, la pérennisation, la diversité de l’offre, parce qu’il est très compliqué aujourd’hui de faire survivre un label sans s’enfermer dans une niche, alors que nous, c’est pas du tout notre volonté, même si on veut faire de l’ambient, pour nous ça a suffisamment de composantes pour pas qu’on s’enferme dans quelque chose… aujourd’hui on pourrait citer Home Normal, au Japon, qui nous séduit tous…
Maxime : Je pense aussi à Touch Radio.
Vincent : Sur des choses beaucoup plus expérimentales, oui.
Mourad : Editions Mego.
Vincent : Oui, là, pour nous c’est au-delà de labels, ce sont des institutions.
Mourad : Tout comme Sub Rosa, en Belgique.
Vincent : Et puis peut-être Hibernate en Angleterre, 12K aux Etats-Unis. Pour des labels Ambient. Qui se permettent aussi de temps en temps des ouvertures vers des choses plus expérimentales. Après sur des sphères beaucoup plus IDM ou Electronica, honnêtement, j’ai tendance à dire que les labels qu’on a beaucoup aimé les années précédentes ont choisi des directions qui ne sont pas celles que nous nous apprécions, donc du coup ça va être compliqué de faire des rapprochements avec ces labels-là. Même si pour le coup le parcours d’Ad Noiseam est admirable.
Va falloir que cette interview se termine, parce que je suis à court de photos là.
Est-ce que vous avez envie de produire du handmade ?
Maxime : Si un artiste veut le faire et qu’il a quelqu’un pour le faire, c’est ok, mais moi je me vois difficilement faire du handmade. Ça nécessite un temps fou, vraiment, et un prix assez important.
Vincent : C’est quelque chose qui fonctionne vachement, actuellement, surtout dans les sphères Ambient. C’est très demandé, il y a une réelle valeur ajoutée, probablement il y a des succès qui sont multipliés par trois sur du handmade. Après nous, c’est pas forcément notre volonté actuelle.
Maxime : Il faudrait bosser avec quelqu’un d’autre, en collaboration.
Vincent : Le public est très très en demande de ces objets-là. C’est dans l’air du temps, ça passera aussi, comme la cassette, comme le reste.
Mourad : Il y a un certain travail effectué dessus, c’est pas juste un CD envoyé à la presse, et fait en milliers d’exemplaires.
Vincent : Le côté intimiste et confidentiel est séducteur pour beaucoup de gens.
Maxime : Toutes les petites erreurs, le fait que ce soit pas un objet industriel.
Vincent : On a aussi une volonté de se rapprocher d’artistes français, sans pour autant tomber dans le chauvinisme ou pire, dans le nationalisme musical. Il y a quand même une volonté de simplifier aussi les rapports, parce qu’on s’aperçoit que les artistes français, on peut les rencontrer beaucoup plus facilement. Vu qu’on veut donner une dimension humaine à ce label, c’est beaucoup plus facile de rencontrer quelqu’un qui habite en France plutôt que quelqu’un qui est au Canada, à Tokyo ou ailleurs. Donc il y a une volonté de sortir plus d’artistes français, et aussi une volonté de sortir des albums faits par des femmes. Ya un peu trop de testostérone là-dedans, il y a beaucoup de femmes extrêmement talentueuses dans les milieux électroacoustiques, ambient et musiques expérimentales, il y a énormément de femmes avec qui on aimerait travailler.
Pourquoi elles ne sont pas représentées ?
Mourad : Elles le sont ! Elles sont très bien représentées, sur d’autres labels, mais pas sur Vox’xoV.
Vincent : Ce qui serait bien c’est qu’elles sachent qu’on existe aussi et qu’on est tout à fait ouverts et prêts à sortir leurs albums. Sans pour autant parler de femmes avec qui on va travailler, on pourrait t’en citer quelques-unes : France Jobin, Bérangère Maximin, Helena Gough, Hildur Guðnadottir, Julia Kent, Katie English… ce sont des femmes qui font de la musique brillante.
Mourad : Ou Strië aussi. Avec qui on a travaillé sur la compilation. Sur les compilations on a bossé avec des femmes, mais c’est vrai qu’on a pas encore signé pour un album. Strië c’est quelqu’un dont l’univers musical nous touche tout particulièrement. Mais comme toutes celles qu’on a cité avant, j’en connais pas une à qui on refuserait de signer un album.
Vote avis sur cette première édition du Transient ?
Mourad : Ben déjà le public, sur les deux premiers soirs, était clairement différent. Le premier soir le public était beaucoup plus adulte, hier, à la soirée techno, la moyenne d’âge était clairement plus jeune.
Vincent : Et puis même en termes de convivialité, on va pas briser un sceau en disant que quand tu vas sur des festivals de musique qui sont spécialisés, un festival de metal, d’ambient, de jazz, de musique classique, les gens sont quand même beaucoup moins cons que dans les soirées techno. Les soirées techno ça réunit quand même un gros paquet de connards, faut être clair. Après, pour revenir sur le festival, c’est une première édition, la volonté c’était de faire un festival autour des musiques et des arts numériques, je pense que la volonté de faire un jour electronica, un jour techno, un jour musiques expérimentales, est une très bonne idée. Au-delà de ça, les organisateurs du festival ne sont pas responsables des sets qui ont été faits, même si pour moi, mon goût tout à fait personnel dirait que j’ai été plus séduit par le premier et le troisième jour que par le second. Mais bon, c’est une première édition, il y aura des choses critiquables, des choses très positives, un festival comme celui-ci se juge dans cinq ans, s’il arrive à se pérenniser, et c’est tout le mal qu’on leur souhaite. Après, nous, pour les musiques qu’on propose, le fait que Vox’xoV puisse être présent avec deux artistes, on ne peut que s’en satisfaire, et se féliciter de faire partie, à notre petit niveau, de cette aventure.
Mourad : On a TRDLX qui joue le même jour que Richard Devine, et Paskine qui joue juste avant Fennesz, si on nous avait dit ça il y a deux ans, on l’aurait pas cru. Aujourd’hui, pour nous et nos artistes, c’est une fierté de faire partie de ce projet-là.
Vincent : On est très contents qu’un festival comme ça existe en France, ya une frilosité de la part des salles, des banques, des tourneurs, à permettre que des festivals qui ont des propositions alternatives comme celui-ci soit faits, donc on ne peut que se féliciter. Je pense que les admirateurs de ces musiques-là, au-delà des critiques, se doivent d’être dans le positivisme, parce qu’il y a trop peu de choses qui sont offertes actuellement en France pour qu’on puisse se permettre d’être dans le trashage et le bashing de gens qui sont des indépendants, qui investissent leurs fonds personnels et qui permettent à des artistes indépendants de jouer en face de grosses pointures du sérail. Un gros merci donc aux gens du Transient, qui ont pris des risques, financiers, artistiques… de santé aussi, parce qu’organiser un festival, au niveau de la santé mentale et physique, je pense que c’est quelque chose d’assez usant.
Mourad : Et on continuera de les soutenir pour les prochaines éditions.
Voilà, cette interview fleuve clôt de la façon la plus mammouthesque qui soit notre série d’interviews réalisées lors de cette première édition du Transient. On remercie encore une fois les gens qui ont bien voulu se soumettre à la question, Violette Voldoire pour avoir tenu le micro jusqu’à la thrombose et pour les enrobés, et évidemment le collectif Sin Chromatic pour nous avoir prêté leur Star Strek, un amphi à l’acoustique indigne de notre niveau journalistique. Des bisous, et à l’année prochaine. D’ici là, vous retrouverez très bientôt sur Tartine des chroniques beaucoup plus classiques, à un rythme de gastéropode en rut.
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