J’ai pris la mauvaise habitude de chroniquer les EPs par deux. En général j’en suis pas bien fier, mais on va dire que deux EPs ça fait comme un long format ? Bon, sinon, je vais pas vous présenter Monolog et Swarm Intelligence, parce que soit vous savez déjà de qui il s’agit, soit vous vous en cognez. Passons directement à la chose.
C’est paradoxalement avec cet EP, Eversleep, que Monolog atteint une cohérence souvent mise à l’écart de ses albums, afin d’en dégager une impression brouillonne de foisonnement. Dans Eversleep, la progression est mathématique, et l’amateur des sautillements typiquement monologuiens en est réduit à prendre son mal en patience. Comme un court-métrage, l’EP déroule sa machinerie d’abord tout éthérée et sans aucune percussion (Fallen Ones), dans une intro inquiétante qui pose le décor. Ce paysage froid et presque immobile vient s’agiter doucement et se réveiller de sa torpeur avec Feather Weights, douloureux éveil des muscles engourdis par la chape froide que la track d’avant impose. La chose se meut difficilement, lentement, en un downtempo acerbe, lent mais déjà grouillant de ces frottements et rebondissements de basse étouffés. Le tout est coiffé de ces ambiances cryptiques qu’on ne saurait assimiler à un vent humide perçant les os, ou à des complaintes d’oiseaux de malheur. On s’en cogne. Dans ce décor, quelque chose bouge et s’amorce.
Flowers wither in the season of the wasp est sans conteste le morceau le plus intéressant de ce court-métrage. L’avènement des truchements et gargouillis y est en marche, et si le rythme est lent, très lent, le fourmillement peuple les espaces libres d’une vivacité truculente. Le danois y mélange allègrement et avec malice les perceuses habituelles et les tympanons égorgés. Les cordes pincées doucement électrisées s’y taillent une part non négligeable, apportant à l’ensemble une touche presque confortable, avant que le tout ne s’énerve juste un peu comme il faut, puis s’estompe tranquillement dans les masses synthétiques en mouvement et les derniers glitchs de tableau électrique.
La suite se fait plus lourde, le magma de Sharpen knives vient coiffer toute velléité de légèreté. C’est plus qu’une chape, c’est un carcan qui vient peser sur l’auditeur. La brume électrique s’intensifie et prépare le terrain, le beat lourd et éreintant vient asséner ses coups massifs. Et puis au détour du morceau, en te prenant de revers et avec ce qui commence à ressembler à une jolie petite habitude espiègle, le rythme s’accélère, et on retrouve ce pour quoi on était venu : la drum grouillante et sautillante de Monolog. Si la fraîcheur et l’entrain réel qu’elle provoque est toujours là, elle sait désormais se faire désirer, et prendre son temps avant de pointer le bout de son nez.
On est à peine rassasié que le morceau s’éteint. C’est donner un susucre à un clebs en lui montrant la boîte avec un sourire vicelard.
Mais rassure-toi, ô amateur de gros kicks dans ta face, car Dean Rodell est en planque juste derrière, et sautille d’impatience comme un gamin avant d’entrer en scène. Squareroots est un de ces morceaux peu innovant dans son fond et dans son architecture, très classique de par son déroulement intro/développement/coupure/drop/conclusion, on est assez peu surpris. Néanmoins, le génie de Dean Rodell n’étant pas de malmener les règles mais plutôt de produire très efficacement un son solide et violent, l’alliance avec les grouillements et l’espièglerie de Monolog tutoie à nouveau les sommets du style qu’on définira ici-même comme « grosse bertha ». C’est simple, répétitif, peu innovant, mais diablement efficace, terriblement bien produit, léché comme un gros scud, bref, c’est jouissif. On s’en voudrait presque.
Eversleep se conclut de la plus belle façon qui soit, d’une démonstration magistrale de l’art et de la technique Monologuiens. Comme à son habitude, le danois nous inflige sa leçon, et avec le sourire s’il vous plaît, nous balance de droite à gauche et de haut en bas. Mais comme le hamster sous crack dans sa cage, qu’on secoue avec la connerie d’un chromosome surnuméraire, on adore ça, et on en est quitte pour quelques hématomes.
Le deuxième EP fait appel à un champ lexical plus lourd et un peu moins drôle. Swarm Intelligence quitte les masses organiques rampantes de son Faction pour aller tâter du minéral, et plus précisément du métallique. Contrairement à l’Eversleep de Monolog, ici pas de progression savamment orchestrée, pas de cheminement, pas d’histoire. L’EP est constant du début à la fin, dans un même rythme lent et percussif sans aucun repos ni aucune concession. C’est évidemment le rythme des machines obèses qui s’animent douloureusement dans une orgie métallique peuplée de grincements. Pas d’autres interprétations possibles, et elle est d’ailleurs livrée sur un plateau, dans les titres comme dans la forme. Swarm Intelligence, comme un peintre, propose sa vision, son interprétation de la fascination qu’il éprouve pour ce ballet immonde et implacable du métal qui frappe en rythme, et dans lequel l’être humain n’a finalement plus aucun rôle, si ce n’est nourrir le mouvement perpétuel et d’une monotonie presque fasciste, s’effaçant au profit de la grosse machinerie, se laissant engloutir dans son ventre jamais rassasié. Le rythme, qu’il faut alimenter de façon perpétuelle, élément essentiel de l’EP comme du bon déroulement de la vie propre de son sujet, le port de Hamburg. Par une étrange analogie, il est donc la condition sine qua non du maintien de cette vie toute minérale, comme le rythme cardiaque l’est pour notre vie organique. Si le mouvement, c’est la vie, alors Swarm Intelligence se fait le naturaliste descripteur de cette forme de vie si particulière, chimère créée de toute pièce par nos activités humaines, et qui semble, si ce n’est nous échapper, au moins nous fasciner.
Cet EP s’étire donc tout au long de ce rythme lancinant et fatiguant, et qui ne s’estompe que rarement. L’irlandais peuple son downtempo d’une myriade d’animaux musicaux plus évocateurs les uns que les autres, glitchs ou nappes, wobbles et autres oscillations, qu’on devine parfois être les manifestations sonores des aléas de l’électricité omniprésente, parfois d’une simple fuite de gaz pas très net. Le tout s’accorde autour et pour servir un seul maître, ce rythme, comme un roi obèse autour duquel toutes les petites mains s’activent. En ressort une impression de lourdeur d’un rendu hallucinant, un travail sur les textures et les truchements qui rivalise de qualité avec celui de Monolog, et ce n’est probablement pas un hasard si ces deux-là savent si bien officier ensemble sous le nom de Diasiva.
Si les trois remixs sont chacun d’une qualité tout à fait honnête et d’un intérêt certain, la récupération du propos à l’avantage stylistique de chacun des trois producteurs se fait au détriment de l’identité réelle de cet EP, et dessert la puissance frontale et la place centrale de ce rythme autoritaire. Donc c’est cool mais on pourrait presque s’en passer. En fait.
Ces deux EPs sortis quasiment au même moment prouvent, s’il en était encore besoin, du dynamisme et du mouvement perpétuel de deux producteurs réellement novateurs, dans des styles, ou à la croisée de styles dont on n’avait pas entendu beaucoup de bien depuis un moment. Swarm Intelligence, depuis Faction et avec ce Hamburg Harbour, remet sur la table l’idée d’un downtempo acerbe, violent, dérangeant, et fondamentalement noir. Monolog, de façon récurrente depuis ses dernières sorties, s’en saisit et tisse le lien avec ses gaudrioles foisonnantes. Le faire avec talent, avec une telle fraîcheur, et avec même la naïveté du débutant presque encore conservée, est une initiative qu’il faut évidemment saluer, et à laquelle il ne manque qu’une seule chose : un support physique (bordel). Messieurs-dames de chez Subtrakt et Acroplane, tirez-en donc des CDs, vous serez plus que remerciés.
Ehoarn
Eversleep, de Monolog, est disponible (et écoutable intégralement) chez Subtrakt (ou Subsistenz, j’ai jamais vraiment compris la différence). Hamburg Harbour est, quant à lui, tout aussi écoutable chez Acroplane.