Juchés au sommet de leur étonnante et déjà conséquente discographie, les italiens de Heroin In Tahiti reviennent ce mois-ci avec, pour la première fois, un « vrai » album. Parmi les perlouzes que nous avons usé jusqu’à l’os ces derniers mois, on errait d’EP en EP, de pistes perdues aux quatre coins d’un harem 2.0 qui fleure bon le libertinage labelistique, de cassettes en vinyles, en passant (lorsque c’était disponible) par le digitale. Bref, il était grand temps qu’une pièce maîtresse vienne taper du poing sur la table et affirmer c’est qui papa.
Tu aimes le grand air ? Passe derrière le comptoir, et prend donc un verre. Il était une fois l’histoire d’un hot spot de biodiversité musicale qu’on appelait la Méditerranée. Je ne sais plus trop comment cette foutue histoire a commencé mais bref, c’est dans ce beau merdier plein d’huile d’olive que naquit Ennio Morricone. De là c’est simple, tu tournes à gauche, tu continues toujours tout droit et au bout tu es perdu. Si tu veux retrouver ton chemin, lis ces quelques lignes. Sinon reprend depuis le début.
On peut globalement rencontrer quatre grands types de morceaux chez Heroin In Tahiti. Les premières font honneur au nom du groupe, ça plane entre le tropical humide et le tropical flou, surf mortel. Une seconde catégorie serait celle des bandes originales de publicités télévisuelles pour les pneumatiques Dunlop à la Peplum : c’est puissant, virile, et avec une tenue de route à toute épreuve, même sur piste mouillée. Une troisième catégorie partirait d’avantage dans le folklorisme néoréaliste westerno-spaghettiesque débordant de cigales, de pas de danses saccadés et de vaguelettes (field-recording en mode « c’est les vacances les petits ») à la Granaglia, quand une quatrième et dernière catégorie nous propose quant à elle de littéralement oider ce foutu classement que je tentais en vain d’établir et qui se mord donc la queue : je veux parler du très abouti Black Vacation, démonstration concentrée de l’étendue des dégâts et accessoirement pièce incontournable dans le processus de compréhension de ce qu’est Heroin In Tahiti.
Par chance, Sun And Violence joue bien son rôle, et catégorisation maniacodépressive des styles et des genres ou pas, il y a un peu de tout dedans, et – cerise sur le gâteau – ce pot-pourri pouvait malgré tout difficilement être plus homogène et pertinent sans tomber dans le monotone et le déjà-vu. Bref, après des passages plus ou moins – mais parfois plus moins que plus, il faut bien le dire – remarqués chez Boring Machines, No=Fi Recordings et Yerevan Tapes, c’est de nouveau chez Boring Machines qu’ils sont revenus pondre le petit cadet. 12 pistes, 67 minutes, soit presque autant que Death Surf et Canicola réunis, de quoi rétrograder les groupies que nous étions en véritables réceptacles à hosties.
Les deux premières pistes forment une introduction parfaite si l’en est, et en un petit quart d’heure à peine Sun And Violence parvient avec brio à attiser la lichette de curiosité, certes minime mais nécessaire, pour passer le cap fatidique du « tiens, c’est peut-être pas si mal ce truc-là, en fait ». Salting Carthago plante le décor, doucement, lentement l’ambiance mi-sable chaud mi-WTF gonfle et arbore petit à petit les teintes bariolées du psychédélisme matinal. Les percussions s’emballent sans jamais péter, puis redescendent, presque frustrées, pour laisser place à 500 Cells, le morceau qui aura pour mission d’introduire le premier craquage de slip du voyage auditif. Le coup de pression est proche, et c’est sans sommation qu’une déflagration aussi simple qu’efficace te provoque soudainement un balancement de la boîte crânienne d’avant en arrière, avec des images mentales de gens heureux qui dansent la tarentelle autour de la fontaine de la place d’un village piémontais. Et même que parmi ces gens, il y a toi.
Au rayon « poussées fiévreuses » on ira également jeter une oreille attentive aux amplis à lampes et pédales wah wah de Arena 2, ou au rugissant Superdavoli.
Mais l’avantage avec Heroin In Tahiti c’est qu’ils n’ont pas nécessairement besoin de taper fort pour taper juste, et à ce titre Black Market est on ne peut plus significative. Un simple petit riff, accommodé de tout le toutime avec lequel vous commencez désormais à vous familiariser. Le décor était déjà planté, il ne reste donc plus qu’à se laisser glisser… et en l’occurrence, ça glisse crème.
Pour le reste on passe du coq au baudet, sans transitions – même si parfois avec – mais sans réelles ruptures pour autant. Le style passe du tout au tout mais l’ambiance générale est d’un niveau tellement abyssal que les différents chapitres se succèdent sans laisser une once d’impression de quoi que ce soit d’autre que d’appréciation globale de l’ouvrage. De phases de frappes chirurgicales en nappes planantes, on traverse de belles épopées ethniques, Zatlath Aithas en porte-drapeau. On navigue de crique en crique, parfois entrecoupées de failles spatiotemporelles dont la science-fiction nous laisse songeur, avant d’aller s’échouer sur les rivages de la Toscane tel un paquebot obèse.
Parsemé d’enregistrements de chants traditionnels datant des années 50, la musique d’Heroin In Tahiti est un voyage à travers les racines de la culture italienne, alliant majestueusement musiques instrumentale et électronique (tant est que le terme « musique électronique » puisse encore vouloir dire quelque chose aujourd’hui). Et comme tout bon album qui se respecte, c’est en l’écoutant d’un bout à l’autre que Sun And Violence s’apprécie le mieux. Et c’est ainsi que, comme ces prédécesseurs, nous l’userons jusqu’à l’os, à défaut d’en avoir une démonstration live lors d’une prochaine date dans notre morne pays. L’espoir fait vivre.
Adrien
Excellent article…bonne continuation dans ton travail de rédaction
Merci, j’y travaille dur.
Excellent, merci pour la découverte
Tout le plaisir est pour moi cher confrère, et merci pour le partage