Difficile de maintenir une assiduité sans faille en terme de veille musicale et de chronique en cette fin d’année, tant les fils d’actualités de chacun commencent déjà à se remplir des best of 2015, des tops albums, tops singles, tops DJs et autres classements Forbes des artistes ayant perçu l’équivalent du Produit Intérieur Brut des Îles Kiribati pour produire les pires musiques de ces 11 derniers mois. Au beau milieu de cette effervescence subsiste pourtant quelques artistes qui osent et tentent à corps perdus de sortir un album à une période à laquelle bon nombre d’entre nous seront d’avantage affairés à compter les quelques deniers qu’il leur reste de côté pour réaliser leurs achats de Noël, à choisir où et comment ils vont tourner la page de cette somptueuse année 2015, ou encore à se réjouir de la montée populaire d’un parti d’extrême droite dans la nation lumière qui a vu naître les Droits de l’Homme, les Ondes Martenot, ou encore Jean-Michel Jarre.
C’est donc par le biais de cette modeste chronique que je tente de rendre hommage à l’un de ces artistes rebelles, j’ai nommé Bank Of Forever. Si vous n’avez jamais entendu parler de Bank Of Forever, c’est normal, car non content de sortir son album au pire moment de l’année, il s’agit de surcroît de son premier album. Back To Yout Mother, The Abyss paraît ce 20 décembre chez les italiens de Concrete Records (rien à voir avec une quelconque barge parisienne donc) et c’est en soit un peu déjà une sorte de best of à lui seul. Joli pied de nez donc, et gros risque en perspective puisque parmi les neuf pistes qui peuplent cet album, il n’y en a pas deux qui se ressemblent.
Ça part dans tous les sens, des loops vocaux répétitifs et entêtants sur Voices Bring On Visions, rappelant un peu l’époque Replica de Oneohtrix Point Never, du downtempo progressif totalement planant, du trip-hop quintescentiel de la grande époque 90s, des sursauts indus par ci, de l’ambient féerique et ornithologique par là, ou encore des synthés modulaires tropicaux qui rappellent un peu We Know Each Other Somehow, la récente collaboration entre Ariel Kalma et Robert Aiki Aubrey Lowe. Bref, beaucoup trop de choses pour pouvoir à la fois vous les éplucher de manière exhaustive et en même temps vous peindre de ce disque un portrait un tant soit peu cohérent… et pourtant.
Malgré cette outrageuse hétérogénéité, ce manque de cohérence, il y a une très nette et très appréciable personnalité qui se dégage de cet album. On sent que la priorité n’est pas à l’expérimentation, mais d’avantage en une certaine recherche de la perfection. On se ballade au milieu de plein de styles différents tous assez bien définis, rien de très innovant, mais à chaque fois exécutés à la perfection. Dès le premier morceaux, Human Suit, l’ambience est posée. On pénètre dans un univer sci-fi à la Boards Of Canada pour n’en ressortir que 40 minutes plus tard. Un album qui recèle un réel pouvoir immersif et dont on ne se lasse pas, en particulier le titre éponyme Back To Your Mother, The Abyss, qui est clairement ce que vous entendrez de plus beau de la journée, voire de votre vie. J’espère qu’après ça on va réussir à faire péter le compteur à likes de ce cher Bank Of Forever qui avoisine à ce jour la cinquantaine de likes. Ça restera toujours infinitésimal à côté de ce trou du cul de Calvin Harris, mais bordel, faites donc un geste pour l’humanité : un bon casque, un canap, un whisky, et l’honneur est sauf.
Adrien
Chronique à réécouter sur le podcast de l’émission Amplitudes (Radio Campus Paris 93.9FM) du 12 décembre.