Ce coup-ci, on y est. Espace Pierre Cardin, 8ème arrondissement, coincés quelque part entre la Place de la Concorde, l’Ambassade des États-Unis, les Champs-Élysées et l’Élysée tout court. Autant vous dire qu’on a pas spécialement l’habitude de traîner dans le quartier. Petite transhumance semi-touristique donc, avant de pénétrer dans l’antre semi-labyrinthique, pour l’heure semi-remplie mais pas tout à fait semi-guindée.
Les hostilités furent ouvertes par 9th Cloud et Cyril Meroni avec leur live Prism, et Trdlx + Early Holography + Soul Archive. Deux heures de live auxquelles nous assisterons depuis notre loge en sous-sol pour cause d’Amplitudes (petit podcast). Aux quelques basses, infrabasses et autres grondements qui nous parvinrent épisodiquement, nous conclurons la chose suivante : ça avait l’air pas mal. D’ailleurs on me susurre à l’oreille une rumeur qui est comme du miel dans mes tympans, les Trdlx devraient jouer à nouveau sur Paris en Janvier. L’endroit est encore confidentiel, mais on parie sur le Palais de Tokyo ou l’Auditorium de la Maison de la Radio. A ceux qui comme nous auraient loupé les deux compères : stay tuned.
C’est en descente de stress que nous avons entamé le set de Mira Calix, et un peu en retard. Mus par la curiosité, et aussi par la nécessité de mettre un son et une image scénique sur l’être ovniesque qui a bien voulu jouer le jeu d’une interview radiophonique dans un cagibi surpeuplé. N’ayant aucune connaissance de ladite Mira quelques heures avant le concert (intolérable lacune, on sait, on sait, ça va, restez tranquilles), c’était l’esprit vierge de toute attente que nous avons entamé notre premier live de la soirée. Debout et d’un calme olympien, on imagine la pression d’autant plus forte que la scène est fortement éclairée par des carrés de couleurs chatoyantes, et que la musique de Mira Calix ne se prête pas vraiment à des élucubrations scéniques de DJ de Boiler Room. Mais que dalle, la dame en impose. On pense furtivement à la place des femmes dans la musique électronique, et puis on se laisse vite aller à suivre les rebondissements d’une musique dont on peine à analyser les différentes nuances de finesse. Plus que d’une maîtrise totale, on a surtout l’impression d’un jugé extraordinaire, d’un équilibre parfait dans les quantités. Faisant fi des schémas classiques d’accumulation de couches, Mira ajoute, retire, s’attarde sur certains éléments, laisse traîner, puis jette et remplace, laisse une place assez exceptionnelle aux silences, allégeant ce qui pourrait si facilement tomber dans de la simple démonstration technique. Alternant les passages plus rapides faisant appel à nos souvenirs des bonnes années Warp et les flottements beatless mi-confortables, Mira Calix nous a livré une performance exigeante, toujours estimable, jamais reposante, à la recherche constante du pied sur lequel il fallait danser, mais aussi d’un naturel et d’une accessibilité étonnante.
Hébétés nous étions à la fin de la fessée Mira Calix, mais tout émoustillés à l’idée de voir Murcof, le gros pari de la soirée. Le gros pari car de nombreux avis nous étaient parvenus, toujours très argumentés, mais aussi très différents les uns des autres. C’est donc définitivement vautré dans un de ces merveilleux fauteuils rouges qu’on a lutté pendant trois quarts d’heure pour ne pas fermer les yeux et s’endormir comme des grosses larves devant des visuels somme toute assez fantastiques. Loin de la croix épurée du Vigroux, loin aussi du cubisme warpien de Mira Calix, le visuel est ici élevé au même rang que le sonore, et Murcof lui-même ne devient plus que la moitié de sa prestation. Et c’est finalement probablement ce qui sauve la performance. On serait bien en peine de juger de la qualité intrinsèque de la partie musicale, mais ce qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’en dehors de ce cadre bien précis, elle perdrait une grande partie si ce n’est la totalité de son intérêt. Murcof est donc passé au stade d’artiste de performance pure, s’affranchissant des supports autres que l’immersion directe. Alors oui, sur place, ça a de la gueule, et si tant est qu’on soit un peu sensible à ce genre de trip colorimétrique-ambientesque, c’est le gros kiff assuré. Et effectivement, ambiance feutrée, musique douce, gros fauteuil et petit hot dog, manque plus qu’une cheminée et un whisky et c’est l’état-providence cette histoire. Mais sorti de là et après s’être rétamé la tronche sur la moquette rêche de l’espace Pierre Cardin en quête du live suivant, on se rend compte que tout ce petit monde est aussi prenant et enveloppant qu’il est limité : en dehors de la performance en direct, rien n’est possible, et réécouter le live en podcast que Radio Campus Paris vous a gracieusement offert ne fait que souligner la vacuité de l’écoute au casque hors contexte. On est bien passé à un nouveau stade dans l’appréhension de la musique, celle de la performance exclusive. Est-ce une bonne chose ? J’en sais rien. Mais en tous cas, réécouter du Murcof en dehors de ses concerts, ça me fait plus trop envie.
C’est en petite forme que nous attaquâmes le live de celui qui avait mis une raclée aux spectateurs du Transient 2014, j’ai nommé Richard Devine. Un mélange de peur viscérale et d’impatience chronique s’empare de la salle. Parqué derrière son bordel modulaire, Richard Devine entame son live 2015. On divague au milieu de la foule, on se cherche une place. Bordel, ça s’est bien rempli. Comme il nous l’expliquait au micro d’Amplitudes quelques heures plus tôt, chaque live est une improvisation. Autant dire donc qu’il n’était pas plus fixé que nous sur la tournure de la soirée. Et effectivement, surpris nous fûmes. D’une texture étrangement dansante, ce live sent la techno, l’acid, et – pour la première fois du festival – la sueur. Les petits petons s’activent dans tous les sens, ça prend des selfies, la performance s’étire, n’en finit plus, ça crie… Un live à l’opposé géométrique de l’an dernier, où les sections rythmées laissaient de temps en temps la place à des portions over-breakées WTF, portions qui étaient bien majoritaires l’an dernier, tant c’était parfois rude. Un live plus consensuel donc, car plus progressif, de part sa nature aléatoire. Le modulaire a ses contraintes, et la vitesse d’éxecution qui caractérisait son live 2014 et qui nous avait fait lâcher tant de « pouaaah baletriiiingue » de jalousie, laisse ici la place à un son plus chaleureux et plus humain, car plus interactif avec le public. Plus qu’une démonstration technique destinée à nous rétamer la gueule, on assiste ici réellement à la construction en direct d’une oeuvre dont ni l’auditeur ni l’artiste ne connaît la conclusion. Meilleur ou moins bon que l’an dernier ? Chacun en jugera, mais il a en tous cas fait assez peu de mécontents. Chapeau Richard.
Fin du live, la salle – que dis-je, le festival – se vide, littéralement. On dirait que 75% des gens étaient venus voir Richard Devine, sans même oser penser laisser une once de chance à ce qui suivait, ce qui parait tout de même étonnant quand on sait que c’est Emptyset qui est censé clôturer la soirée, mais admettons. Bande d’ingrats.
On ne tient plus debout depuis belle lurette, mais on insiste encore un peu, histoire de ne pas avoir totalement loupé la soirée du vendredi, surtout que Julien Bayle prenait la suite de la programmation, et on était un peu curieux de voir ce que ça pouvait donner. Nous avions un peu fouiné son travail en amont et lui avions posé quelques questions un peu plus tôt, ç’eut donc été dommage de ne pas concrétiser. Début de son live Alpha, synchronisation de musique technologique minimaliste et de visuels tout aussi minimaux, ça commence bien, et puis ça s’arrête. Problème technique. Quelques minutes plus tard le live reprend, on se replonge dedans, avant que ça ne craque à nouveau. La salle est plongée dans le noir, ça s’active sur la scène pour relancer la machine, et la motivation embryonnaire qu’il nous reste à ce stade d’incubation bactérienne en prend un sacré coup. Puis c’est bon, le live reprend, et ce coup-ci ne s’arrête pas. La performance fonctionne, tout est extrêmement minimal en effet, même parfois très brut, et on sent en arrière-plan le background contenmporain de celui qui ne produit pas d’albums, mais uniquement des installations audiovisuelles ou des lives (A/V également). Le live fonctionne donc, mais force est de constater qu’on est au bout de nos forces. Merci Julien, mais désolé, pour nous ce sera une autre fois.
15 minutes de bombardements géométriques plus tard nous quittâmes donc les lieux. Même plus la foi d’attendre Emptyset, c’est dire. Une journée de mammouth nous attend demain, va falloir se remettre sur pied si on veut en tirer quelque chose.