Pour cette deuxième édition, le Transient 2015 commençait donc dès le jeudi, avec une soirée équivalente à celle du dimanche de l’année dernière. Délocalisée hors du périph’ pour des motifs que nous ignorons encore mais dont finalement on se fout pas mal, c’est dans la petite mais néanmoins fort agréable salle des Instants Chavirés à Montreuil que nous nous rendîmes, mi-figue (on avait tous la crève, du simple rhume au parasite africain non identifié) mi-raisin (il faisait quand même bien meilleur que l’année dernière à la même époque, on allait pouvoir fumer des clopes et discuter le bout de réverb’ sans faire des amen breaks avec les dents).
Après avoir siroté une bonne bière, et j’insiste sur la qualificatif « bonne », car trop rares sont les salles où le pékin moyen a le luxe de pouvoir choisir entre Westmalle, Chimay et autres bulles monastiques, pour une somme franchement agréable, nous étions donc tout à fait prêts pour se manger une heure de Paskine, le revenant d’Aix de 27 kilos (avec la barbe) que nous avions aperçu, déambulant son squelette à travers la salle.
Même ambiance et même installation visuelle hautement hypnotique que l’année dernière pour le jeune Paskine, c’est à dire absolument rien, aucun éclairage et aucun visuel, à part son visage creusé et marabouteux éclairé par l’écran de son ordinateur. Et heureusement qu’ordinateur il y avait, car l’effet était total. Dans la pénombre complète se découpe la silhouette courbée et le visage blême de Paskine, le chanceux qui se sera placé devant aura peut-être pu apercevoir les tremblements et tensions de ses membres tétanisés sur les potards. Toute l’énergie d’un être au service de la production continue d’un mur de son dense, âpre, gras, dont l’auditeur ne sait plus s’il le percute ou s’il est momifié à l’intérieur. La tension est aussi palpable que sur les muscles antérieurs de l’artiste, la violence est totale, omniprésente. Alors que l’année dernière c’étaient de véritables vagues de magma en fusion qui nous assaillaient, cette fois le son se fait beaucoup plus clair, mais aussi beaucoup plus incisif.
Tout se délite, tout tombe et vient racler les parois des esprits et des corps assis, voire allongés. Eprouvant pour l’oreille, tuant toute possibilité d’équilibre et donc de station debout, le son écrase tout, il ne nous reste plus qu’à courber l’échine, nous laisser envelopper, en espérant ne pas être réduit en charpie. Les minutes passent, lentement, et la fatigue se fait déjà sentir. Nous sommes nous aussi tétanisés, à la merci du petit sorcier qui d’un coup de bouton peut nous achever. Mais il ne le fera pas. Paskine veut nous voir sortir vivant de cette épopée noise brutale. Après tout, ça n’est que le premier concert. On en ressort quand même exténué, bien honteux d’avoir eu la prétention d’y être préparé simplement parce qu’on l’a subi l’année dernière. Paskine vient de faire un pas en direction des enfers. Il vient de nous en envoyer un morceau.
Nous nous sentîmes soulagés à l’idée de se reposer avec Crypto Tropic. Deuxième erreur que nous commîmes ce soir. Représenté uniquement par la partie Druc Drac du duo pour des raisons que vous connaîtrez en lisant une interview à venir, Monsieur Drac (Druc de son prénom) n’a pas du tout, mais alors pas du tout, envie de nous la jouer « dj set album mix ». Si les éléments de l’album nous sont en partie reconnaissables, ils sont ici étirés à l’extrême, allongés, cloués au pilori, torturés, fragmentés, bref, tout ceci n’a plus grand-chose à voir avec la galette gentille et presque nonchalante que Le Cabanon Records nous a sortie il y a déjà quelques mois. Des mélodies entraînantes il ne reste rien, et le beatwork ne vient que soutenir du bout des doigts des nappes frénétiques assorties des glitchs de circonstance, avant de se déliter complètement et de laisser le champ libre aux chevaux galopants qui viennent percuter le lobe frontal.
Ebahis nous fûmes. Car comme nous l’avouera plus tard Druc (Drac de son nom de famille), tout est pourtant là : les sons et boucles cryptiques de l’album sont ici re-cryptés (ça fait beaucoup de cryptes, on est d’accord, mais je ne fais que paraphraser les dires du moustachu lui-même) pour un résultat beaucoup plus engageant, et demandant beaucoup plus d’effort et d’implication que l’album. Nous fûmes bien en peine de nous extraire de ce live complètement scotchant pour aller faire une interview, et si ce n’était la discussion fort juteuse que nous eûmes avec Paskine, nous serions restés affronter les kicks et vagues lourdes de Druc Cryptotropicovitch Drac. Mais heureusement, nous en vîmes assez pour pouvoir assurer avec joie, allégresse et crème fouettée que oui, Crypto Tropic en live c’est une découverte qui vaut son pesant de fromage de chèvre, et qu’on en aurait bien repris trois quarts d’heure de plus.
Annonce : le paragraphe suivant sera entièrement bruité à la bouche, et passé simple-free.
Trois quarts d’heure, c’est à peu près le temps qu’il nous aura fallu pour redescendre de notre loge perchée, juste à temps pour assister tout penauds au « début de la fin », l’autre nom que l’on donne à Franck Vigroux. Armé de son set Croix, Franck a livré à la salle comble des Instants Chavirés ce qu’il avait en réserve, c’est à dire une pleine caisse de gros Vigroux qui tache. On connaissait (un peu) Franck Vigroux en album, le rendu live ne fait que confirmer, voire accentuer ce que nous avions cru toucher du doigt : point de violence gratuite ici-bas. Passée la barrière « brutalité » et les rafales crues et sans pitié – pas évidentes à outrepasser pour tout le monde, on vous l’accorde – la dentelle et la finesse sonore (si si) qui ossaturent l’amas qui sort des enceintes nous apparaissent, discrètement mais sûrement, tout comme la fameuse croix, point visuel central et hypnotique du set, dont les contours se faisaient littéralement pulvériser à chaque pulsation, sans jamais disparaître complètement. L’effet est total pour qui aura eu le courage de s’approcher un peu de la bête : le front dégarni de Vigroux ne se plisse pas, ses lèvres restent définitivement fermées et immobiles, ses yeux sont fixes, et restent étrangement vagues malgré les coups de butoirs qu’on prend dans le pif. Serait-il totalement hermétique à sa propre musique ? Que nenni, car c’est avec un énervement non dissimulé qu’il vient rompre brutalement sa statique de statue pour fracasser un boitier chelou à sa gauche, dont on commençait à se demander à quoi il servait. Aussitôt, un grésillement, enfin qu’est-ce que je raconte, plutôt l’ignoble intégralité des meuleuses de la planète, se lancent à l’assaut de la petite salle, on chavire mais on reste debout. C’est la guerre mec, c’est sale mais ça donne envie de poutrer du fasciste. On vacille, mais on en redemande. Les fous ouvrent les bras et prennent l’onde de choc en pleine face, les curieux se mettent en retrait mais tendent une oreille attentive, les connards s’enquillent des bières en se hurlant dessus leur soirée de la veille.
Un live un peu fou. Un peu court aussi. Ou disons écourté, parce que quand même, il existe encore des gens en ce bas monde pour se taper le bout de gras pendant les concerts, c’est pas possible ça dis donc. 30 minutes c’est peu, mais ça aura néanmoins suffit aux premiers rangs pour perdre 2/10ème à chaque oreille, aux enfoirés qui parlaient pendant le live de Franck de perdre leurs cordes vocales, et à tous les autres de mieux tâter ce qui pouvait les attendre les deux prochains jours, et de les motiver en conséquence. Merci Francky, c’était bon.
Déjà une soirée de finie, sur les trois programmées. C’était court, certes, mais c’était bel et bien la soirée d’ouverture en petit comité VIP, mise en jambe nécessaire, appréciable et appréciée avant de passer au plat principal. On est globalement d’attaque.
Retrouvez Paskine chez VoxxoV Records, Crypto Tropic chez Le Cabanon Records, Franck Vigroux entre autres chez Cosmo Rhythmatic, et le pape chez Believe Digital.
3 commentaires