Oui, je sais que Beautumn est le projet du russe Alexander Ananyev. Non, je n’ai pas creusé plus que ça ses précédents albums pour autant. Mais en même temps, je ne le connaissais pas avant cette édition sortie chez Infraction dix ans après son précédent opus Northing, je me considère donc à moitié pardonnable (parce qu’il y a quand même un peu de flemme au fond de tout ça). Mais je sais par contre qu’Infraction a déjà sorti quelques pièces assez goûteuses, dont un Along the Mantic Spring de Pausal et la rencontre entre Pleq et Offthesky intitulée A Thousand Fields, qui synthétisent à leur manière le meilleur de l’ambient. Aujourd’hui, on se couvre et on s’invite en contrées plus froides avec Bordeaux.
Formant la bande sonore d’une fin d’automne qui ne s’achève jamais, les neuf instantanés aux couleurs oscillant entre gris et ocre, mouchetés de bleu et de violet, semblent n’appartenir qu’au jour du solstice d’hiver, marquant la transition entre le déclin et l’immobilité. Toujours modestement retenues, les compositions ne se parent que de peu d’artifices, mais c’est cette missive silencieuse au minimalisme qui donne une force suggestive à Bordeaux. Les nappes ambient originellement moelleuses et tempérées sont affaiblies par un filtre glacé de mélancolie hivernale, les transmissions égarées dans les airs et autres entrechocs de quincaillerie bouclent indéfiniment tels des morceaux de souvenirs dont la signification a été ôtée, poursuivant à présent un voyage sans but au bout de la non-existence. On trouvera là un confort dans la tristesse, une beauté dans l’agonie, de l’harmonie dans les dissonances. Un peu plus de révèrb’ dans les basses fréquences et on se croirait bien dans un album dark ambient, genre de prédilection aux personnes en quête d’isolationnisme fataliste et irréversible.
Cependant, peut-être plus que la solitude, c’est la lenteur qui nous enveloppera dans ces morceaux. Autant de déclarations d’amour muettes à la contemplation absente, qui nous perdent dans des pads perçant à peine le brouillard de pulsations blafardes, où des enregistrements timides dressent les poils sur notre échine comme le givre nous pique les extrémités. Pinacle personnel de cet album, la piste donnant son nom à l’œuvre : les incursions sporadiques et fantomatiques d’un violon ont l’air de briller une dernière fois dans Bordeaux, nous offrant un chant du cygne de ceux qui se gravent dans nos sillons intérieurs, une de ces rencontres furtives qui marquent l’âme à jamais. Un mélange de tendresse et de spleen. Un équilibre instable entre regret et espoir. C’est aussi fragile que c’est touchant, et c’est surtout diablement beau.
Ces 48 minutes explorant les ultimes moments de vie avant la stase hivernale résonnent profondément malgré l’apparence simple (mais pas simpliste) de Bordeaux. Elles impliquent une fausse épure de la rigueur hivernale et du repli sur soi, mais sous-entendent une vraie invitation à la patience et au cocooning. Car à l’image de la pochette, même si c’est une nature battue par le blizzard qu’on y voit, il faut surtout y deviner les instants de vie qui s’y terrent profondément, attendant leur appel pour recommencer un autre cycle.
Un joli digipak qui sublimera votre audiothèque peut se trouver ici, chères lectrices et chers lecteurs.
Dotflac