Flâneur discret des paysages flottants de l’ambient, je connais mieux Tim Martin pour ses travaux en collaboration avec Ian Hawgood, Clem Leek et Dan Norbury dans le groupe Black Elk, qui ont sorti quelques recueils live d’échantillons “modern classical” crépusculaire sur Koen Music, une paire d’années en arrière, dont un Sketches II étonnamment touchant. Il a pourtant aussi publié un certain nombre de pièces solo sous l’alias Maps and Diagrams dans plusieurs crèmeries estimées du genre, mais c’est en cette année de grâce 2016 que je décide de le découvrir réellement, le temps pour lui de s’arrêter en France chez VoxxoV Records.
Delta, c’est une île imaginaire où des souvenirs trop vieux et des émotions oubliées viennent s’échouer sur ses rivages érodés. Un lieu de recueillement polychromatique où les pensées en perdition se rencontrent, s’entrechoquent et s’accrochent d’autant plus qu’elles s’opposent. 12 séquences déroulant de manière inattendue un flot d’images et de sentiments dont les particularités semblent inaccordables, mais qui s’en remettront aux hasards de l’entropie qui les anime pour se télescoper et se parer de nouvelles couleurs nacrées. On croise en effet toutes sortes de sons dans ce sanctuaire pour bouts de vie déchus : on pensera parfois à l’enfance dans l’innocence et l’optimisme de certaines mélodies acoustiques (Zinc), d’autres moments plus dissonants seront réminiscents d’une vie déjà burinée par les infortunes (Toixoi). Les instants d’éclaircies hyalines pénétrant le coton des nuages (Spherical Angles) danseront régulièrement avec une brume brouillant la distance, aussi granuleuse que curieusement réconfortante (Pacific Union). Les ondulations existentielles de l’eau et de l’air se remettront périodiquement en phase pour vibrer de concert avant de reprendre leur propre chemin dans des morceaux dilués entre des mers nébuleuses (South Bend) et des atmosphères aquatiques (Delta 3).
La cohésion dans le désaccord, la beauté dans la différence. Une forme de dénouement trouvée dans ces associations aléatoires d’éléments inachevés. En découlent d’ailleurs une spontanéité qui donne à Delta ce goût de reviens-y inexplicable : chaque lecture apporte ses surprises, et on n’a jamais vraiment l’impression d’entendre deux fois la même œuvre. Plus encore, la versatilité des émotions transmises par cet album rend son écoute pertinente en proie à la joie comme à la nostalgie, et on peut lui demander autant de contrarier leur équilibre en nous que de le rétablir à la moindre requête. Atteindre cette polyvalence d’intentions se précède souvent d’un parcours accidenté sur lequel il est facile de trébucher ; cependant, les compositions hors du temps de Maps and Diagrams, mélangeant savamment les touches électroacoustiques ombrageuses et les harmonies électroniques poussiéreuses, y parviennent machinalement. Comme si les fragments de vie, éparpillés sur cette île réservée aux choses dont la raison d’être a été arrachée, y découvraient enfin le sens de leur présence. Le hasard comme ultime tuteur pour ne pas finir dans l’oubli et briller ardemment contre toute attente. Transcender son passé décomposé pour écrire un futur imparfait.
Delta, c’est une lumière là où ne semblent régner que les ténèbres. C’est aussi la révélation inespérée dans l’indifférence programmée. C’est les opposés qui s’attirent, des moitiés qui forment par deux plus que des touts. Mais Delta, je dirais que c’est surtout des délicatesses ingénues qui, dans leur sincérité et leur simplicité, toucheront avec une profondeur inversement proportionnelle les personnes qui y goûteront.
Et… Hop ! Par ici le pestacle.
Dotflac