Cette année, comme tous les ans, le 1er Mai était synonyme de Journée Internationale des Travailleurs. L’occasion pour beaucoup d’entre-nous de descendre dans la rue pour commémorer l’apparition (ou la disparition, on ne sait plus trop) d’avancées sociales majeures, fruits de plus d’un siècle de revendications. Emmaillotée dans une non-urgence étatique, les festivités françaises de 2016 étaient variées, on comptait ainsi la fête de la merguez, la fête de la bière, la fête des jeux de mots pourris, la fête debout, la fête de la lacrymo, la fête du tonfa, la fête des grenades, la fête des perquisitions, bref, la fête du slip.
Mais toutes ces réjouissances ne doivent pas nous laisser oublier que le 1er Mai est également synonyme d’une autre coutume, un peu plus récente, celle des fameux Teknivals du 1er Mai qui, moyennant batailles d’autorisations et de communiqués divers, continuent de s’émanciper dans nos campagnes, année après année. Héritage d’une fin de second millénaire marquée par l’explosion et l’exposition progressive d’une scène « électro » florissante, entre jungle, drum’n’bass, hardteck, psytrance et j’en passe. Toi, qui est né(e) dans un camtar, souviens t’en…
Souviens t’en, comme Sophia Loizou, qui de son Singulacra tire toute la puissance et la faiblesse que l’on peut attendre d’une mémoire en manque d’oxygène. Entre rêve et rave, Singulacra est une complainte onirique, à la pointe du sound-design contemporain, teintée de résurgences, aux rythmes saccadés qui fleurent bon, tantôt la cave humide, tantôt la jachère picarde.
Simulacre singulier d’une époque faussement révolue, le nouvel album de Sophia Loizou explore les facéties d’un mouvement de contestation en perte de souffle, écrasé sous un ambient lourd et omnipotent, mais toujours présent. Culte des « ancêtres », souviens t’en, et à leurs sonorités caractéristiques en voie d’extinction, urgence oblige.
On touche du doigt ces dernières pulsations encore palpables à travers quelques somptueuses pistes, raffinées, et remarquablement dosées, telles que Divine Interferance ou Artificial Infinite. Bien que sélective, la mémoire nous ramène également parfois vers des recoins un peu moins dignes, et que l’on aurait préféré laisser au passé, comme les « female vocal » de Silver Nemesis.
Et au milieu de tout ça, on s’égare, on flâne, on s’endort puis reprend connaissance entre une nappe lointaine qui enfle et assomme (The Voices of Time) et un souvenir perdu de presque rien (Singularity is Near). A la fois critique et hommage de la mémoire en tant qu’arme dangereuse mais indispensable, Sophia Loizou signe avec Singulacra un vrai chef d’œuvre de musique expérimentale, un incontournable de 2016. Paru chez Kathexis, et orné d’une version physique tout aussi magnifique. Ne l’oublie pas.
Adrien