Si le titre de l’album de Tunç Çakır ne fait pas dans l’originalité, il titille néanmoins les graines de geeks qui sommeillent en nous. Référence non-masquée aux acronymes VCO, VCA, VCF et autres VCjesaispasquoi qui fleurissent le jargon des électroniciens, notamment en musique analogique, ce Voltage Controlled Music n’a d’autres ambitions que d’annoncer la couleur : Tunç Çakır met les mains dans le cambouis et triture du hardware sans vergogne. Si la trajectoire exacte du producteur turque nous est inconnue, un coup d’œil à son CV révèle un stakhanoviste du son, touchant à tout sans relâche depuis le début des années 2000 : percussions, arrangements, collaborations diverses, installations, sound design, productions, et même vibraphone.
Malgré tout cela, Voltage Controlled Music est bel et bien son premier album, paru fin septembre chez Wic Recordings. Et histoire de bien enfoncer le clou, le perspicace Tunç Çakır démarre cet album avec Start Point. Et une vidéo en bonus.
Alors les pointilleux dans le fond auront évidemment remarqué : on est pas dans l’analogique pur et dur, le Machinedrum d’Elektron et le MicroKorg c’est pas vraiment de l’analogique, toussa. Certes, l’utilisation d’outils digitaux et d’analogie virtuelle ne lui pose aucun problème. Chacun son école, ce débat peut nous mener bien loin, et je propose donc de l’abréger tout de suite. Tunç Çakır semble avant tout être un amoureux du matos et un collectionneur de synthés, en atteste la présence du diabolique RE-201 de chez Roland et sa reverb à bande magnétique, mi-grand classique mi-pièce de musée.
Si la séquence de départ parait bien brute de décoffrage, la ligne mélodique du morceau se met tranquillement en place, dans un espace sonore un peu vide, comme une soirée à laquelle tu serais arrivé trop tôt. On sent qu’il y a du potentiel, et on se demande bien où le chaste doigté de Tunç va nous mener. Case après case, l’espace sonore se rempli, la ligne de basse se corse et Start Point atteint son apogée, dans un IDM downtempo aux doux relents de progressive. Un truc classique, simple et accrocheur, qui reste dans le crâne et hameçonne.
Une petite mélodie légère de quatre minutes trente qu’il ne faudra pas considérer comme représentative du travail de Tunç Çakır. En témoignent les pavés qui suivent, et vers lesquels les amateurs de noirceur et/ou de mélancolie devront davantage se tourner. Pour l’ambient, on ira voir du côté de Blue Room, duo avec LudoWic (fondateur du label Wic Recordings). Pièce sans prétentions, dans la plus pure tradition du style, brillante de sa symphonie phasée, petite douceur tout en synthèse qui, lourde de ses 11 minutes, aura bien eu le temps de balayer l’introduction. Un ambient à la Boards of Canada, influence que l’on retrouve également dans le titre Smile, ou de manière plus étoffée, dans l’excellent Ssg.
Toujours dans un tempo flirtant avec les 60bpm, Tunç Çakır tombe littéralement dans la narration, et construit une pièce charismatique, avec sa personnalité, son histoire et ses travers. Attention : point culminant de l’album, et petite claque en perspective. (version live ici). Celles et ceux pour qui ces démonstrations mélodiques manquent cruellement d’abstraction ne repartiront néanmoins pas bredouilles. En effet, Tunç a également pensé à vous, et votre salut se trouvera dans les titres Chaos et Dark Days. Le premier est un hybride, mêlant les ingrédients déjà cités avec un semblant de polyrythmie, cascade mathématique difficile à suivre pour les non-initiés. Un morceau qui se construit comme un puzzle, créant à chaque instant l’illusion de se perdre, mais sans jamais vraiment perdre le fil. Dark Days ouvre quand à lui grand la porte de l’expérimental pur et simple, et là, évidemment, il faut un s’accrocher un peu plus. Si l’on peut penser avoir toucher (à juste titre) les tréfonds de Voltage Controlled Music, avec un Tunç Çakır en train de craquer son slip sans sommation, l’évolution de l’environnement sonore prend forme, disons presque une structure, instable et inconfortable, certes, mais palpable.
En seulement six pistes, Tunç Çakır semble avoir fait le tour de la question. De quelle question me direz vous ? Je ne sais pas, mais ce Voltage Controlled Music pèse de tout son poids, et appuie bien fort sur la corde addictive de la synthèse sonore.
Adrien