Amateur de dark ambient et de drone à tendances minimalistes à mes heures perdues, j’ai été très heureux de découvrir par hasard la discographie de Thomas Köner en ce début d’année. Les autres amateurs de dark ambient et de drone à tendances minimalistes pourront me répondre « T’as hiberné en Haute-Saône pendant ces 20 dernières années ou quoi ? », et ils auraient peut-être raison, vu l’importance du monsieur dans son domaine. Mais évidemment, vous savez où vous lisez cette chronique, et vous savez aussi que les commentaires insipides du genre, on les fait chauffer avec du fromage à raclette premier prix de chez Carrouf et on les digère sans aucun souci.
Donc après l’avoir découvert avec le fascinant monolithe sonore qu’est Daikan, sorti sur l’estimé label Mille Plateaux en 2002, j’ai rapidement développé une boulimie könerienne et dévoré l’intégralité de sa longue discographie aux sauces glacées et aux saupoudrages sous-graves dépeignant des lieux inhospitaliers, avec des souvenirs particulièrement savoureux de son influent Permafrost chez feu-Barooni, des relents mélodiques de Nuuk ou plus récemment son ode à la basse fréquence et à l’isolation en terres arctiques pour Touch avec Novaya Zemlya. Et à peine remis de ce dernier, je me retrouve déjà début septembre pour la discrète sortie digitale Cloître, toujours chez Touch et en collaboration avec Jana Winderen.
24 ans de musique rattrapés en environ huit mois, j’étais repu. Et cette satisfaction a bien failli me faire louper une sortie chez les germaniques de Denovali Records dont je n’ai eu aucun écho (ça arrive) : je me suis forcément jeté dessus sans me faire prier. Découvrons alors ce tiento de la neige et voyons ce que Köner nous offre dans une création résolument différente de ses précédentes explorations soniques.
L’album, se présentant sous la forme d’une unique piste de 68 minutes, n’est pas la combinaison de basses fréquences pénétrantes et d’éléments aigus venteux à laquelle nous avons été habitués jusque là. Accoutumés aux enregistrements et transformations des sons en des strates sonores éloignées de leurs origines, comme les gongs aliénés sur Nunatak Gongamur ou les puissantes vibrations à peine reconnaissables d’un taiko sur Daikan, Tiento De Las Nieves se révèle être un exercice nouveau pour les fidèles de l’artiste ; on retrouve ici toujours le minimalisme et les ambiances qui dépassent le cercle polaire, mais l’acteur principal est le piano, dans toute sa rondeur et son inflexibilité.
Köner a en effet choisi dans cette pièce d’utiliser l’instrument comme une finalité, et non comme une énième source de sons prêts à être déconstruits et dépossédés de leurs corps, et produit avec cette sortie un travail baignant d’une lumière inhabituelle des paysages immenses aux températures toujours négatives, mais empreints de légèreté. Ivana Neimarevic lâche périodiquement des notes ou des accords dans la tundra immaculée, immédiatement rejoints par de longues lignes harmoniques bicolores qui leur répondent, avant de décliner ensemble, doucement, jusqu’à l’essoufflement et être ranimés par un nouveau cycle de piano. C’est donc sur une construction très simple que s’articule l’ensemble de ce tiento, étalant sur de longues périodes chaque mouvement qui le compose, et nous perdant progressivement dans les contrées nordiques inspirées à l’allemand par l’explorateur polaire Fridtjof Nansen, l’angoisse des engelures et du manque de vivres en moins. Et on touche peut-être là les points plus faibles de cet album.
On connaît Thomas Köner pour ses expérimentations sonores sombres, flirtant sans broncher avec les 20 Hz, et son attention portée au grain sonore au détriment du rythme et de la mélodie, illustrant essentiellement des paysages froids, hostiles et inexplorés ; des expériences infrasonores rarement discontinues que nous trouvons forcément attirantes et excitantes, car intimidantes, sans temps mort, et évoquant l’inconnu. Tiento De La Nieves est aux antipodes de ce qu’il a réalisé jusque là (j’imagine que c’est du coup de l’expérimentation pour lui), tant au niveau de l’atmosphère lumineuse suggérée par les notes de piano sporadiques et les harmonies fuyantes que les (trop) longs espaces séparant deux cycles mélodiques. Le tiento aurait gagné à voir ses intervalles sonores densifiés, voire à passer de 68 minutes à une durée plus raisonnable de 40-45 minutes pour éviter la redondance et les longueurs inhérentes aux caractéristiques de l’œuvre (même vécu avec le Amarok de Francisco López, sorti il y a quelques temps chez Glacial Movements).
Mais comme quoi que je fasse, je suis du genre à toujours voir le bien dans qui m’entoure, je ne jouerai pas l’aigri intraitable sur ce que j’ai écouté et ne descendrai certainement pas complètement ce travail d’un artiste que je respecte et admire (j’ai cru entendre « couille molle » au fond de la salle ? ). Je ne renie pas ce tiento minimaliste dans la discographie de l’allemand, car malgré une accessibilité bien plus aisée que pas mal d’autres de ses albums et une simplicité surprenante flirtant un peu trop avec le chiant, la démarche profonde dénote une envie toujours présente de parcourir des terrains musicaux inexplorés par le musicien. Je serais simplement intéressé d’entendre ce qu’il pourrait produire dans ce domaine par la suite, si jamais il s’y remet, espérant juste moins de silences et plus d’expérimentation. En attendant, je me relance Novaya Zemlya.
Et comme je publie cette chronique a posteriori, plutôt que de vous diriger vers la mi-molle de Tiento De Las Nieves, j’en profiterai pour vous orienter sans hésiter vers sa délicieuse suite Tiento De La Luz, en disant que j’avais raison d’y croire.
Dotflac