Voilà, ça y est, c’est fini. L’onde de choc est passée. Plus rien à voir, circulez. Vous pouvez retourner à vos feux de cheminées agrémentés d’un gentil Lou Reed, pour vous remettre de vos pétées dominicales. La semaine suivante a commencé avec un goût amer, celui de la grolsch qui remonte encore par soubresauts, comme les envolées de Richard Devine, les masses de magma mouvantes de Paskine. La première des réussites de l’équipe du Transient aura été de créer un moment convivial et hors du temps, au milieu du mois le plus chiant de l’année. Mais ne t’inquiète pas, lecteur, Tartine est là pour t’accompagner dans le moment douloureux qu’est la redescente post-satellisation, et pour t’abreuver de réminiscences en nombre suffisant pour freiner ton inexorable chute, avant que tu ne t’éclates la tronche contre le ciment trempé de Saint-Ouen, au pied des gueules hilares de la sécu des Mains-d’Oeuvres, dont le zèle n’avait d’égal que la prévoyance du staff en papier hygiénique, ce qui fut incontestablement plus appréciable, et a fortiori apprécié.
Bon, cette fois-ci, pas de contrainte littéraire à la con, pas de « retour sur la dixième édition du Transient« , on a déjà bien assez de mal comme ça à développer nos phrases un peu plus sérieusement que « kikou lol c’était krobien hihihi #pétée #transient », alors on va essayer d’être un peu sérieux. Du moins dans les limites que les lois de la biophysique moderne nous imposent, puisque nos pérégrinations de gratte-papiers névrosés au travers des différents étages, salles, expos, et coloris de bracelets des Mains-d’Oeuvres auront eu raison de notre légendaire assiduité. Nos premières excuses vont donc à ces artistes délaissés par le Tartine Crou, ainsi qu’à leurs familles. Nous ne les oublions pas.A gauche, l’oeuvre d’Olivier Ratsi, à droite, un échantillon non représentatif de celle d’Amélie Petit-Moreau, éléments essentiels de nos séances de lutte mentale avec nous-même.
TRDLX
Il faut dire que la soirée du vendredi avait déjà comme prétention de nous en mettre plein la gueule avec sa programmation de l’espace. Réunir TRDLX et Richard Devine lors de la même soirée à Saint-Ouen, c’était un peu comme inviter Kim Shapiron et Wim Wenders au théâtre Gérard Phillipe à Saint-Denis pour discuter cadrage et lumières. A ceci près que Kim Shapiron est un con. Mais on s’en cogne. Au final, l’émulation et la soupe de pois cassés aidant, on a bien flatulé de plaisir en matant les contorsions de Boris Haladjian et Thibaud Csukonyi. Bien qu’éclairés comme des manches à balais fichés dans le trou d’balle d’un hipster, ils furent supportés par un VJing tout en sobre efficacité, se mariant parfaitement avec les ondulations de leurs corps et de leur son. D’abord « gentil » (tout ceci est relatif bien sûr), laissant une large place aux silences et aux rythmiques déconstruites et lentes, puis venant s’accélérer et prendre gentiment mais sûrement plus d’ampleur, plus de capacité percussive (surtout quand ils ont monté le son, en fait). Les heureux initiés qui connaissaient l’album furent surpris, les autres aussi d’ailleurs. Une jolie intro pour trois jours qui s’annonçait alléchants.
Ocœur
Tout fraichement débarqués de notre première expérience live du week-end, c’est à nouveau un petit français pas totalement inconnu qui s’installe devant nous. Pas vraiment d’a priori, on avait bien écouté les petits sons de Ocœur calmement à la maison, il nous restait donc à le voir à l’œuvre. Pas de grosse surprise de ce côté-ci, le live fonctionne, douceur enveloppante, fidèle à l’album à l’extrême comme pour dire « on ne change pas une équipe qui gagne ». Tout l’univers d’une galette de 10 centimètres déployé dans les dix-sept dimensions, la pièce, le temps, l’espace, le son, et l’image. L’image justement, celle de Hieros Gamos, le compère VJ de Ocœur. Pas de quoi casser trois pattes à un confit de canard selon certains, sans pour autant être mauvais, d’aucuns auront en vain cherché le lien avec la prestation sonore. Pas de quoi gâcher le spectacle malgré tout, on applaudit, on remplit son godet et on part fumer une clope en attendant la suite.
Richard Devine
Punition suprême pour toi qui, Ô miséricordieux, ne sait reconnaître dans cet entremêlât bruitesque les prouesses techniques de celui dont le niveau de geekerie sonore n’a d’égale que la hauteur du col de son k-way. Richard Devine, de son vrai nom Richard Devine, ne nous fait pas l’affront de se cacher derrière un éhonté pseudonyme, tout comme Marcel et son Orchestre ou Pierre Beregovoy. L’apanage des grands, donc. Richard Devine est à la musique électronique ce que John Hoyland est à la peinture industrielle. Du moins c’est un peu ce qu’auront ressenti les néophytes au cours d’une véritable compétition de boucherie auditive qu’il aura menée seul face au public. Lourde séance de péfli total pour les uns, jouissance masochiste pour les autres, Richard Devine boucle la programmation de cette première soirée dans un mélange de tympans perforés, de regards ébahis et de réanimations cardio-pulmonaires. N’empêche. Péfli total ou adhésion sans réserve, personne ne pourra nier le génie et l’inventivité avec lequel Devine nous maîtrise tous. L’atlantiste pousse même le vice jusqu’à conclure son set avec le sourire jusqu’aux oreilles et le selfie avec le public, authentiquement heureux comme un gosse devant l’audience trop faible pour la pointure qu’il est, mais avide. Le sourire et la sympathie, éléments essentiels de la pétée monumentale qu’on a prise en ce vendredi saint.
Lumisokea
Preuve est faite qu’efficacité rime parfois avec simplicité, Lumisokea a su tirer son épingle du jeu en ce week-end pourtant riche en émotions. Armés de simples faisceaux de lumière, d’une machine à fumée et – évidemment – d’une couette musicale triple épaisseur, l’expérience menée in situ aura su transcender une bonne partie de l’auditoire. La musique passe crème, les guiboles se dénouent, les premières gouttes de sueur commencent à perler, les jeux de lumières anéantissent les dimensions de la pièce, le tout formant une mise en bouche parfaite pour cette seconde soirée placée sous le signe de la « techno ». La salle n’était qu’à moitié remplie en ce début de samedi soir, tant pis pour les abstinents et tant mieux pour nous, on n’hésitera pas à repasser.
Somaticae
Moment un peu surréaliste que ce set de Somaticae. Il faut dire qu’on en attendait beaucoup, peut-être un peu trop, peut-être avions-nous cédé au groupie-isme ambiant qui enveloppe la maison In Paradisum et son mystérieux mais remarqué Mondkopf. Adulées ou détestées, il faut dire que leur sorties laissent rarement indifférents, certains criant au génie, d’autres à l’imposture. Néanmoins, Somaticae étant celui qui se rapprochait le plus de l’unanimité, y compris au sein de la rédaction fort réduite de Tartine, et c’est avec une excitation toute chaste que nous nous préparions à une petite tuerie du samedi soir. Au final, un mec surexcité sur scène, pour un public quelque peu dubitatif face à une puissance frontale certes à l’image de ce que nous espérions, mais d’une intensité moindre qu’attendue. La faute à un volume qui aurait pu être poussé un peu plus ? Un moment gentiment agréable en tous cas, supporté par un VJing de toute beauté. Mention spéciale aux quelques minutes où le garçon est devenu lui-même son public le plus assidu.
Kangding Ray
A peine 20 minutes après avoir interviewé celui que nous chroniquions en début d’année, Kangding Ray a continué son petit bonhomme de chemin, tranquillement, jusqu’à la scène du Transient, pour mettre en application les concepts sur lesquels nous venions de nous épancher durant près de trois quarts d’heure, à savoir (entre autres) l’adaptation de sa musique en live. Succédant à Plaster dont nous n’assisterons qu’au finish (on va pas s’mentir, on sait pas vraiment ce que ça a donné. Mais ça avait l’air pas trop mal. A priori. Enfin on pense.) c’est une facette encore inconnue de l’artiste que nous découvrons. Volte-face habile de celui qui porte haut les teintes les plus sombres de la techno hexagonalo-exilo-berlinoise, c’est un Kangding Ray clubber qui mit l’ambiance dans cette grande bâtisse des Mains d’Oeuvres reconvertie l’espace d’une heure en boîte de nuit. Surpris sans pour autant être déçus, nous maintenons l’attention le temps d’un set qui aura visiblement plu à une proportion non négligeable de spectateurs. Rarement autant de petits petons auront sautillé simultanément au cours du week-end, récompense certaine pour Kangding Ray dans sa version 2.0. On pourra néanmoins regretter l’absence de la torture du rythme, l’aisance avec laquelle il se joue des codes technoïdes dans Solens Arc, pour mieux nous en libérer. Martelage du tempo pour mieux nous faire ressentir l’instant présent ? Kangding Ray aura au moins eu le mérite de ne pas perdre son identité, en dépit d’une partie non négligeable de son intérêt.
Paskine
Succédant à Graal que nous ne connaissions pas, et que nous ne connaissons toujours pas pour cause d’interview, Paskine faisait partie de nos mascottes du week-end. Ayant décortiqué Nimrod en long en large et en travers il y a déjà plusieurs mois il nous fallait bien le voir en live un jour ou l’autre pour pouvoir prétendre au rang de groupie de premier ordre. C’était donc chose faite ce samedi soir durant lequel visuels géométriques et écrans de fumée ont laissé place à la pénombre la plus totale et aux vrombissements aussi pesants qu’une croziflette aux diots après un jeûne de 6 jours. Inclassable devant l’éternel, Paskine a fait trembler les tympans d’une salle en pleine éruption volcanique, ambiance pachydermique où le temps semble s’être arrêté. Depuis combien de temps sommes nous assis ici ? On ne sait pas, mais on espère que ça va durer encore un peu, happé par les vas-et-vient de l’être rachitique à peine éclairé, presque aussi oppressant que le magma qu’il nous inflige. Jusqu’à l’irruption soudaine d’un guitariste en mocassins. Loin de nous l’idée de dénigrer le talent de ce dernier, mais le changement d’ambiance fut difficile à avaler. Nous étions partis bien trop loin dans la paskinerie, la subduction était ardue. Mention très spéciale malgré tout.
Nonotak Studio
Preuve est faite que complexité ne rime pas forcément avec efficacité. Armés d’une installation scénique prometteuse, c’était plein d’entrain que nous allions gaiement assister à l’une des dernières découvertes du week-end. Enfermés dans leur dispositif de tissu, le duo Nonotak Studio nous a livré une prestation mi-figue mi-choux de Bruxelles. Le rendu n’est pas spécialement mauvais (notamment la partie visuelle), mais à comparer les déhanchés névrosés sur scène et les regards dubitatifs dans la salle il faut croire que l’ambiance se trouvait en réalité à l’intérieur du prisme lumineux. Peut-être auraient-ils fait meilleure impression auprès du public amateur de rythmiques saccadées du samedi, peut-être que nos bonnes âmes étaient encore engourdies par la prestation de Paskine, peut-être enfin étaient-ils tout simplement mauvais. Ils auront plu à certain, en auront fait vomir d’autres. Loin d’avoir fait l’unanimité par leur prestation scénique ils auront néanmoins mis tout le monde d’accord sur un point : faire un set de 20 minutes et laisser un trou de trois quarts d’heure dans la programmation alors qu’il ne reste plus qu’un seul artiste sur la line-up, c’était un tantinet relou.
Fennesz
Les plus téméraires auront donc tenu trois jours, ou plutôt trois soirées, à travers la techno, l’ambient, l’IDM et l’Indus, les effets visuels divers, les nuages de fumée toxique, la Grolsch en abondance, les quiches et les donuts. Pour récompenser tous ces valeureux marathoniens du son, les organisateurs avaient réservé une récompense de taille, celui qui aura clôturé le Transient Festival de la meilleure façon qui soit. Christian Fennesz, comme à la maison. Ce que le terme « nappe » a de plus profond, ce que le genre « drone » porte de plus atmosphérique. Drapé de rouge et de fumée, le barbare à la carrure de guide de haute montagne (expression copyrightée) déroule, rodé, ses vagues électriques, ses crêtes dont on ne sait plus très bien si ce sont celles des marées douces ou de la montagne crûment découpée. Chacun choisit, assis ou allongés, les yeux grands ouverts, ou plus souvent doucement fermés, l’image qui sied le mieux à sa satellisation. C’est en tous cas le sourire aux lèvres que les plus téméraires du Transient auront assisté – ou disons plutôt vécu – l’un des moments phares du festival. Un finish tout en beauté, une expérience difficilement décryptable à l’écrit tant la pression des ondes fennesziennes sur nos tympans semblaient atteindre une quantité bien plus importante de nos organes. On en ressort sourds. Mais surtout muets. Même à réécouter les albums à fond les ballons ça ne revient pas, alors à quoi bon ? Chapeau bas. Et encore merci.
Comment conclure ? En trois jours, nous sommes passés d’une IDM novatrice et réellement emballante avec les petits TRDLX et le grand Devine, supportés par le vénérable Arovane, dont nous n’avons entendu presque que du bien (à défaut de son set), à une techno indus certes un peu en deça de nos attentes, mais rattrapée par la mise en orbite finale de nos sens déjà bien meurtris, entièrement du fait de Paskine et de Fennesz. Un pari un peu fou, à la base, que de créer une cohérence et réunir un même public trois jours de suite sur des thématiques aussi éloignées. Mais pari qui nous semble réussi, même si les atmosphères étaient délicieusement différentes pendant les trois jours, et la quiche réconfortante. Une cohérence appuyée par les installations visuelles dans lesquelles nous avons gentiment erré, cherchant un peu de réconfort, y trouvant souvent un inconfort appréciable. On a longtemps cherché Ulysse en méditant les propos des interviewés, que vous pourrez bientôt lire sur Tartine. Au final, la jeune équipe de Sin Chromatic, à qui l’on souhaite une pérennité méritée, a jeté une joli pavé dans la mare poisseuse du petit monde des organisateurs d’évènements sur la capitale. Un pavé teinté d’exigence, d’un amour du son expérimentateur, nappeur de fumée ou qualitativement percutant. Un pavé nommé Transient.
La rédaction de Tartine vous salue bien bas. Le titre de l’article fait référence à l’une des installations de l’expo, « Searching for Ulysses », de Fabien Zocco.
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