Ocoeur : « L’objectif pour moi, c’est la sphère »

Ocoeur faisait partie de ces quelques artistes dont nous maitrisions à peu près l’ouvrage avant de venir nous jeter dans la gueule du loup du Transient Festival 2014 en novembre dernier. Maigre repère dans l’excellent évènement que nous nous apprêtions à couvrir armés de nos appareils photos et de nos bières, il ouvrira la marche du festival dès le vendredi soir (juste après Trdlx) ainsi que la série d’interviews que nous avions soigneusement concoctés pour l’occasion. Non contents de monopoliser le temps précieux de ces artistes, c’est dès la sortie de son set que nous sommes allés lui poser quelques questions à chaud pour mieux tâter du bout du doigt ce qui se trame exactement dans la tête de celui qui venait de nous plonger durant près d’une heure au beau milieu de ce qu’il appelle sa « sphère ».

Bon alors Ocoeur, comment ça s’est passé ?

Ça s’est très bien passé, je suis très content du live qu’on a fait avec Jérémie [NDLR : Hieros Gamos], j’ai senti que les gens étaient très présents. On a essayé de faire quelque chose d’assez immersif, c’est la troisième édition et j’ai senti que les gens étaient dans le truc, une espèce de sphère qu’on a voulu créer avec Jérémie et j’en suis très content.

T’as déjà eu des retours sur tes performances ?

Oui, jusqu’à maintenant je n’ai eu que des bons retours, les gens me disent que ça sonne bien, et ça me fait plaisir parce que je passe beaucoup de temps sur la qualité de son. J’essaie de faire en sorte que ça ne soit pas agressif, que ça soit clair, qu’on entende tout, qu’il y ait à la fois les textures, les synthés, la phase de rythmique.

Quelle est ton impression pour le moment sur la première édition de ce festival ?

Très bonne impression. Il y a une très bonne programmation surtout, on a eu un très bon accueil, et j’espère qu’il y aura d’autres éditions.

Nous on a déjà prévu qu’il y ait d’autres éditions… tu répondras présent pour le dixième anniversaire en 2024 ?

Oui bien sûr, évidement !

Transient Festival, Hieros Gamos, Mains d'Oeuvres

C’est un festival un peu novateur, avec des styles musicaux habituellement réservés aux petites salles obscures, surtout sur Paris. Alors, qu’est-ce que ça fait de faire partie de cette équipe de pionniers ?

Sans parler de moi je suis assez content de voir qu’en France on commence à programmer des artistes comme Arovane, Richard Devine ou Kangding Ray. Il y a de plus en plus de programmations dans ce type de musiques expérimentales et j’ai l’impression que ça intéresse les gens.

Et parmi tous les artistes programmés ce week-end, est-ce qu’il y en a certains avec qui tu aimerais collaborer ?

Arovane. C’est pas exactement une collaboration mais il m’a demandé de faire un remix pour mon morceau Astral Projection du premier album, et ça n’a pas vraiment abouti. J’adore sa musique, et il a fait un très bon remix, mais il ne collait pas avec le reste de l’EP Memento que j’ai sorti avec Ben Lukas Boysen et Elise Mélinand. Donc j’ai préféré mettre ça de côté pour le moment. C’est le seul gars avec qui j’ai tenté une collaboration, mais je ne suis pas encore très à l’aise avec ça.

Vu qu’on est un peu sur des musiques expérimentales et novatrices, à quoi ressemblerait selon toi le musicien de demain, et quelle serait sa musique ?

En fait pour moi il y a une évolution logique depuis de nombreuses années, et je ne peux pas dire qu’il y ait une musique de demain, c’est juste qu’il y a de plus en plus d’artistes qui se mettent en selle, et j’ai la sensation que c’est en train d’aboutir sur quelque chose. Dans le domaine électronique surtout, j’ai un peu cette sensation que c’est en train d’exploser, vraiment. Après je ne peux pas dire qu’il y ait une musique de demain, parce que je ne sais absolument pas ce que ce sera.

Est-ce que cela pourrait être le cas du côté immersif dont tu parlais tout à l’heure ?

Éventuellement oui. Je vais citer Murcof parce que c’est le dernier live que j’ai vu récemment, avec AntiVJ, et je me suis dit « ok, on peut vraiment faire des trucs complètement dingues en terme d’immersion ». Les gens sont assis, c’est comme au cinéma et là il se passe quelque chose. Donc dans la musique de demain là y’a vraiment quelque chose, sur ce côté visuel, sur ce côté immersion, et je pense que c’est vraiment en train d’exploser.

Et justement qu’est-ce que le visuel apporte à ta performance live ?

Comme je disais, j’ai envie de créer une espèce de sphère, de moment où les gens se sentent ailleurs. Ça fait 6 ans que je bosse avec Jérémie et ce que ça apporte à mes lives c’est ce côté atmosphérique. Les gens sont englobés, imprégnés d’une image. C’est une espèce d’extériorisation de la musique.

T’as pas peur que les gens se concentrent plus sur l’image que sur la musique ?

Non, il y a un très bon équilibre, je trouve que ça se passe bien. Que les gens se concentrent ou pas sur la musique, de toutes façons ils en sont imprégnés malgré eux. C’est comme au cinéma, quand tu vois un bon film. Moi je prête vraiment attention à la bande sonore. Ça c’est un truc qui m’inspire depuis très longtemps, dans l’avenir c’est un projet que j’aimerais faire, que les gens soient assis et qu’ils décollent, qu’il y ait un juste milieu.

Transient Festival, Mains d'Oeuvres, Hieros Gamos

Sur ces questions là tu serais un peu en opposition par rapport à un mec comme Kanding Ray qui est très attaché à la dimension visuelle, mais par contre quand il bosse en live il préfère qu’il n’y ait pas de visuel, parce qu’il veut que le son induise cette puissance et imprime des images dans les esprits sans forcément qu’il y ait besoin d’images externes.

Je ne suis absolument pas en opposition, au contraire je trouve que c’est une très bonne idée, en tous cas je respecte son point de vue. Pour l’instant je reste attaché à l’aspect visuel mais on essaie de le faire évoluer justement. On aimerait bien mettre au point un show de lights visuel, avec des barres LED sur les côtés, des structures, etc. Ça apporte une grosse énergie, c’est plus abstrait.

Question un peu plus technique, n5MD c’est une grande maison, il y a beaucoup de gens, qu’est-ce que ça t’apporte une grande structure comme celle là dans ton processus de création ?

Alors déjà c’est la première fois que je suis labelisé. J’avais fait quelques tracks avant, mais je ne trouvais pas que c’était suffisamment abouti pour aller démarcher des labels. Donc au final ça m’apporte surtout de la visibilité, je suis content de voir que grâce à ce label que j’adore c’est diffusé, les gens découvrent, c’est une porte ouverte et les gens peuvent entrer dans mon monde. Et ça marche aussi dans l’autre sens avec n5MD, je me retrouve dans leur univers, on a un très bon contact.

Et au niveau mastering…

Ça c’est moi. Je fais absolument tout, mixage, mastering.

Les visuels aussi ?

Oui et non, disons que l’artwork de l’album c’est moi qui m’en occupe. On a repris un visuel de l’ancien live qu’on avait joué au Mira Festival à Barcelone, le visage avec les structures filaires, ça vient du visuel de Hieros Gamos.

Pourquoi tu fais tout tout seul ? Par envie ?

Pour l’instant je me vois mal collaborer avec quelqu’un, j’ai un univers qui m’appartient et j’ai du mal à faire rentrer des gens dedans. Je veux bien essayer, peut-être même sur des parties classiques, avoir des instrus, faire entrer des violoncelles, des choses comme ça, mais pas plus.

Ça rejoint un peu la question sur laquelle j’allais venir : tu as un univers musical super bien défini et dans lequel t’as l’air pas mal à l’aise. Est-ce que tu as prévu ou pas d’évoluer vers d’autres styles musicaux ?

Peut-être pas vers d’autres styles musicaux, peut-être pas en terme d’évolution, rien de programmé en tous cas. Je considère que chaque pièce que je fais est en rapport avec une humeur présente. Par exemple peut-être que mon prochain album prendra une tournure un peu néo-classique.

C’est Ben Lukas Boysen qui t’as donné envie ?

Non, c’est un truc que je veux faire depuis très longtemps. Memento avait déjà ce côté néo-classique par exemple, et je me sentais très à l’aise avec ça.

Hieros Gamos, Transient Festival, Mains d'Oeuvres

Tu arrives à vivre de ta musique ?

Je suis infographiste, je bosse aussi à côté.

Et quelle part cela te prend dans ton quotidien ?

Je ne bosse pas à plein temps, je bosse quand j’ai du boulot. Ça dépend des clients, j’essaie de jongler entre les deux. C’est pas forcément évident mais dès que j’ai du temps de libre j’essaie de me remettre dedans.

Est-ce que tu envisages ta musique comme tu envisages ton boulot ?

Non, jamais, je ne considère pas la musique comme un travail. Je serais très content si je pouvais en vivre mais en tous cas ce n’est pas un but en soit. Je n’ai pas du tout envie de me forcer à faire de la musique pour vendre.

C’est quoi la suite pour toi ?

Comme je te disais j’aimerais concevoir quelque chose de plus intime, moins nerveux, plus introspectif. Peut-être pas un EP, plutôt un album, peut-être pas l’année prochaine… on verra !

Toujours avec une place pour les textures etc. ?

Oui ça j’y tiens toujours, ça donne un côté environnemental. Je suis inspiré par d’autres gens, Max Richter et Ben Lukas Boysen par exemple, qui ont trouvé un son très lourd, qui reste très riche avec ces tons mixés, ces textures derrière qui donnent l’impression d’être dans un décor, un monde ouvert, vraiment je trouve ça énorme. Il y a une ambiance cinématographique, c’est presque de la musique 4D, t’es dedans.

Chez toi c’est presque granuleux à certains moments, y’a des bruits de frottement, etc.

Pour moi tout ce qui est textural renvoie à un sentiment de contact, qu’il y a quelque chose sur toi. Il y a un son que j’utilise beaucoup c’est le son de neige par exemple, que je retrafique derrière. Ce craquement quand tu marches dans la neige, j’adore ça. J’utilise également beaucoup la texture du vinyle.

J’ai une question un peu foireuse mais je vais quand même te la poser…

Tu es sûr ?

Ouais, on s’en fout. J’ai l’impression que dans tout ce qui est programmé durant ces trois jours, tu fais le son le plus « gentil », quelque chose d’agréable et de pas perturbant à entendre. J’ai l’impression qu’il y a une tendance dans ces musiques IDM, drone/ambient, voir techno, à aller vers de plus en plus de noirceur, de mal-être, et toi j’ai l’impression que tu es à contre-courant de ça. Qu’est-ce que tu en penses ?

Je ne sais pas, mais c’est pas une question foireuse du tout ! Chacun a son ressenti, moi je n’ai pas l’impression de faire de la musique triste. J’accorde une grosse importance à la mélodie, j’ai envie que ça transporte.

En tous cas tu cherches pas à provoquer un sentiment ?

Non, c’est mon sentiment à moi, je cherche pas à provoquer, je veux que chacun puisse ressentir, j’essaie de donner carte blanche à tout le monde. C’est un peu la facilité de dire ça mais c’est vrai.

Quand j’écoute la musique de Kangding Ray ou de Trdlx par exemple, je ne me sens pas à l’aise. J’adore ça, je trouve ça vachement bien, mais je ne me sens pas à l’aise. Par contre quand j’écoute ta musique, je me sens à l’aise, c’est plus léger, et je trouve que tu es peut-être le seul dans toute la programmation de ce festival qui arrive à provoquer ce sentiment là.

Mais j’en suis très heureux, j’essaie pas de véhiculer quelque chose de noir de toute façon, c’est pas mon but. L’objectif pour moi c’est la sphère. Je n’envisage pas ma musique comme quelque chose de triste, de noir.

Tu la vois comment alors ? Ton monde, ton univers, etc. ?

Ça c’est top secret, je ne veux pas influencer les gens.

Transient Festival, Hieros Gamos, Mains d'Oeuvres

A Parallel Life, la dernière production de Ocoeur, est disponible chez n5MD.

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