Arboretum, discrète entreprise berlinoise, a déjà fait parler d’elle cette année en offrant deux EPs captivants, se balançant entre une techno tribale et des textures poussiéreuses. Rares et intéressantes, ces sorties se voient complétées aujourd’hui d’une série d’albums ambitieuse aux antipodes de leurs racines, intitulée Hanami. L’artiste l’inaugurant est Fabio Perletta, sous son pseudonyme Øe ; actuel boss du labo d’expérimentations minimalistes Farmacia901, il est un peu le cousin européen glitché d’un Yann Novak ou moins abstrait d’un Richard Chartier sous leurs labels respectifs. Il nous livre aujourd’hui son interprétation musicale du terme japonais désignant la contemplation et l’appréciation de la beauté des fleurs en début de printemps, période logiquement choisie par Arboretum pour sortir son édition annuelle de la série Hanami (reste à voir si dans ces conditions, Unseed ne sera pas la seule). Et c’est avec candeur et volupté que l’on va observer les jardins japonais dessinés par l’italien se réveiller, oubliant momentanément que l’équinoxe automnal frappe déjà à nos portes.
Tirant en partie leurs origines de son précédent album Transfer, paru en 2012 chez les nippons de Murmur Records, les samples aux sources bien réelles se transcendent pour créer des microcosmes équilibrés entre digitalisme et organicité. Ici, la nature servant de base de travail à Perletta ne s’oppose pas aux manipulations électroniques du monsieur, mais en ressort au contraire magnifiée, cristallisée dans chaque détail pénétrant nos conduits auditifs lors de cinq compositions épidermiques. Entre pads molletonnés et évènements soniques immaculés, on déambule sous les cerisiers aux milles nuances de rose, on observe les oiseaux se perdre au milieu des fleurs qui tombent sous l’action d’une bise tempérée, on frissonne à l’écho des gouttes d’eau résonnant dans les suikinkutsu, mystérieux instruments séculaires typiques de ces régions orientales. Cliché à mort peut-être dans nos pauvres esprits occidentaux, mais pourtant pas si éloigné du Japon actuel à l’approche du hanami, où sans aller jusqu’à l’intégrale kimono + getas en récitant des haïkus, on retrouve un peuple appréciant simplement se retrouver en famille, dans les jardins, lors de l’éclosion des bourgeons dans les arbres (souvent avec du saké maison sous le coude, paraît-il).
On sent d’ailleurs bien la fascination de l’artiste pour cet aspect de la culture nipponne traitant de son rapport avec l’environnement et de son respect des traditions, tout en humilité. Ambiance intimiste et altération du flux temporel sont de mise dans l’album, particulièrement durant la pièce centrale Charm, Hanami qui soustrait l’esprit au corps en s’affranchissant des micro-éléments, guidant les sens vers une forme d’absolu pas si éloigné des visions de Chihei Hatakeyama ou Yui Onodera. Mais globalement, physique et spirituel resteront unis sous la douce averse texturale initiée par Øe, semblant laver les impuretés les plus tenaces et exacerbant notre perception immédiate. Sans efforts d’imagination particuliers, les sons nous portent au Japon lorsque la nature s’exalte, et tournent l’écoute en une séance de méditation zen impromptue. Je vous l’ai dit, candeur et volupté les amis.
D’autres s’y sont certes déjà essayés dans ce style, et avec succès, comme Taylor Deupree ou l’écurie Home Normal qui partagent eux-mêmes des liens profonds avec le Pays du Soleil Levant (et qui auraient d’ailleurs très bien pu être les publicateurs d’Unseed). Mais avoir ses bonnes adresses sans vouloir regarder ailleurs régulièrement, c’est une attitude de vieux con que j’essaye d’adopter le plus tard possible. Et même si cet album ne semble rien inventer de particulier, il est immédiat, rafraîchissant et se savoure en boucle sans indigestion. Et je ne lui en demande pas plus. Gageons qu’Arboretum nous surprendra encore dans le futur, comme le label persiste à le faire.
Outre Unseed, visitez le Bandcamp d’Arboretum pour vous en mettre plein les pavillons avec la techno ultra-texturée de Mogano, Honzo ou Drøp.
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