Entre découverte de trésors du passé réédités comme The Peregrine de Lawrence English ou l’album éponyme de Hotel Neon, et de nouvelles compositions séduisantes telles Purity de Wolf Maps ou Subsiding de Siavash Amini, 2015 aura été pour moi une année délicieuse en guitares dronées par des passages successifs dans des pédales à effets, logiciels de synthèse granulaire et autres joyeusetés analogiques/numériques. On pourra rajouter à cette sélection d’artistes Aidan Baker, insatiable compositeur à la discographie aussi étoffée qu’inégale, touchant à plein de choses, avec plein de gens, et un peu partout. Récemment, on retiendra en solo son interprétation acoustique des territoires glacés Aneira chez Glacial Movements, ou encore sa collaboration de la sombritude sauvage Brick Mask avec les excellents Erik K. Skodvin et Andrea Belfi sous le nom B/B/S/. Il passe en cette fin d’année chez Dronarivm pour un album aux ambitions cette fois-ci hélio-excentriques.
Ecliptic Plane, bien qu’il n’y fasse pas référence, se veut être pour moi un voyage au bout du système solaire, mais il nous mènera surtout au-delà. Un voyage en solitaire où les mélodies distantes se dissoudront dans l’éternité simulée des boucles de guitares traitées. Un voyage sans relâchement où les pistes mixées ne nous laisseront même pas le luxe de faire une pause dans notre aller simple vers la transcendance. Mais en a-t-on vraiment besoin ? Durant l’écoute, les sons toujours tendres et chaleureux poussent instinctivement à une forme de méditation qui élude la réalité, et les répétitions discrètement modulées en fonction du temps polarisent notre esprit de manière unidirectionnelle, en mouvance permanente vers des territoires plus éloignés.
On suivra d’ailleurs un parcours presque tout tracé par les titres explicites, pénétrant des frontières impossibles sans effort notable. L’esprit, transformé en particules élémentaires portées par le vent solaire, ne saurait rencontrer un obstacle à son ultime exploration. Chargé positivement par les deux premières pistes, dont Termination Shock qui n’est pas sans me rappeler l’intro spatiale d’un certain Echoes de Pink Floyd, on laisse les bourrasques de plasma nous pousser aux limites de la ceinture de Kuiper pour enfin communier avec la musique, en balance parfaite entre la lueur timide du Soleil et l’obscurité insondable qui s’apprête à nous accueillir. Mais malgré la froideur des lieux et le relatif dépouillement sonore qui s’approprient la fin de l’album, le vide est un nid paradoxalement confortable ; le zéphyr stellaire s’évanouit en pulsations de basses fréquences, laissant des mélodies rémanentes faire face à leur destin incertain dans un champ dilué de nucléons abrasifs. Et quand l’astre solaire n’est plus qu’un point unidimensionnel à l’horizon cosmique, avouant sa défaite face à la force centrifuge qui nous projette dans l’ailleurs inexploré, l’espoir que notre voyage n’en est qu’à son commencement renaît à la fin de Heliotail, annonçant à travers son thème mélodique final réminiscent de l’ouverture, l’approche lente mais déterminée d’une autre étoile.
Car notre odyssée que l’on pensait unidirectionnelle et spatiale était en fait un cycle de notre intimité. Nous avions prévu de toucher le bout de l’univers, mais nous avons en fait atteint le plancher de notre âme. Et que reste-t-il à faire lorsque nous avons purifié nos canaux synaptiques de toute pensée accessoire et aperçu les couleurs aveuglantes de notre cœur ? Je sais que je continuerai à suivre la ligne tracée devant moi sur l’anneau de Möbius de mon existence, et à recommencer inlassablement l’expérience, en essayant de dévier un peu ma route à chaque boucle. Un peu comme l’écoute d’Ecliptic Plane, où les mêmes boucles sonores qui se succèdent semblent imperceptiblement changer à chaque nouvelle itération, gagnant en détail sans perdre en profondeur.
Très peu d’exemplaires physiques étaient prévus, mais vous pourrez vous rattraper avec le digital du côté de chez Dronarivm.
Dotflac