Comme à l’accoutumée, je me pare de mes plus beaux attributs de mec candide pour écrire une chronique. Car comme à l’accoutumée, je ne connais à peu près rien de l’artiste dont je vais vous parler aujourd’hui. À défaut d’être intéressant à savoir, ça a au moins le mérite d’être honnête, et ça me fait une amorce servie sur un plateau pour vous parler d’un album qui me plaît. Histoire de prouver que j’ai quand même fait l’effort de bûcher, je pourrai vous dire que derrière Tape Loop Orchestra se cache en fait un seul homme (comme quoi, Bersarin Quartett n’a pas le monopole) passionné par les possibilités uniques des bandes magnétiques et des effets du temps sur elles ; y a pas que William Basinski (et Tomonari Nozaki) dans la vie. Il a même déjà sorti un autre travail en 2012 chez les gars de Facture, affiliés à Fluid Audio, avant d’y faire paraître son Go Straight Towards the Light of All That You Love qui nous émeut tout récemment.
La musique basée sur l’utilisation de bandes semble toujours graviter autour d’un thème principal : on y apercevra toujours une fascination certaine du déclin progressif de ce matériel fragile, dont les itérations des boucles initiales sombreront inéluctablement dans les insondables océans de leur lente destruction. De la répétition imparfaite au dépérissement paradoxalement insufflateur d’une seconde vie, de la programmation imaginée à l’aléatoire imaginaire. Une beauté de l’entropie sublimée par le souffle caractéristique du medium et sa chaleur reconnaissable entre toutes, donnant l’impression qu’on est face à des objets sonores qui sont chargés d’histoire, burinés par les années. Et même si un certain nombre de musiciens s’y sont essayé sans révolutionner le genre, d’autres (comme ceux cités plus haut) arrivent à élever leur art en une sorte d’hommage silencieux au temps, où les émotions provoquées par les sons deviennent presque accessoires, car leur premier et unique but est d’exister avant d’inexorablement décliner. Andrew Hargreaves se place aussi sur ce créneau, et Go Straight Towards the Light of All That You Love ne déroge pas à la règle, racontant une odyssée de la temporalité des plus immédiates.
Une histoire d’ombres et de lumières qui se télescopent, d’espoirs évanescents produits spontanément d’un pyrrhonisme inné, de flottements faussement hasardeux qui pénètrent les interstices décousus entre chaque instant. Les opposés s’attirent puis s’étirent, tout comme les passions qui explosent et jaillissent en gerbes d’étincelles aveuglantes, au travers des deux longs titres de la version vinyle (qui ne devrait pas être très différente de la version CD qui sort en parallèle). Passant par une contemplation béate aux accents nostalgiques du délicieux désordre qui semble nous entourer, une fracture spontanée se manifeste au milieu de Go Straight Towards the Light, avec l’apparition d’une voix éthérée émergeant visiblement du néant. Un phare au milieu de la nuit, qui épousera notre âme un peu plus à chaque vague sonique et nous accompagnera jusque dans Of All That You Love, avant de laisser place aux résurgences d’un passé rayonnant dans les lignes mélodiques d’un Mellotron oublié. Le decrescendo final se meut en cordes dépourvues de textures, rejoignant le thème entamé au départ de l’album mais avec une silhouette moins abstraite, mieux définie ; la conclusion évoque l’éternel recommencement d’un cycle, mais murmure à l’oreille de l’auditeur attentif de s’écarter légèrement de sa trajectoire précédente à chaque nouveau passage. Une invitation de Tape Loop Orchestra à se laisser guider par ses émotions en se détachant du paramètre temporel, et à suivre son instinct sans se soucier des conséquences de nos choix et de nos envies. Une musique qui, comme elle, nous convie à simplement exister, à aborder les évènements tels qu’ils sont sans s’attarder dessus, puis à les intégrer à un schéma impénétrable bien plus grand avec comme point de fuite cette lumière immaculée qu’on sait, sans trop savoir pourquoi, bienfaisante et nécessaire.
Go Straight Towards the Light of All That You Love, c’est une édition ambient éclatante, demandant à ses auditeurs de se laisser éblouir pour laisser leur destin les guider à travers ses intervalles obscurs mais jamais menaçants. C’est une intrigante composition, étrangement réconfortante, qui nous mènera en territoires de sérénité au rythme de ses mouvements et modulations doux, parfois douceâtres. Une réponse muette et universelle aux interrogations inutilement complexes qui nous obsèdent.
Comme pour Hotel Neon et leur Remnants, l’édition limitée du CD et l’édition ultra-limitée du vinyle se sont écoulées avant même la date de sortie, et se revendent désormais à des prix à peine acceptables. Et comme je ne sais pas où vous diriger légalement pour trouver du digital… Je vous laisserai chercher vous-mêmes d’autres endroits, petits filous.
Dotflac