Je ne me mouille pas de trop en affirmant que le duo formé par Paul Purgas et James Ginzburg fait partie de nos pêchés mignons, chez Tartine. Emptyset, c’est deux gars qui ont eu la bonne idée au bon moment, se disant que bricoler du feedback sauce bass-music-rhythmic-noise-machin-truc dans des endroits bizarres avec une dose généreuse de rienàfoutrisme, ça serait marrant. Et depuis les quelques années qui nous séparent de leurs sorties, force est de constater que Demiurge ou Recur n’ont absolument rien perdu de leur pertinence et de leur superbe. C’est donc à la fois avec plaisir et appréhension, après lecture du dossier de presse, qu’on accueille Borders chez les éclectiques Thrill Jockey, quatre ans quand même après leur détour par Raster-Noton (on oubliera Signal et sa bonne idée, sur le papier).
Très focalisée sur les relations que le son entretient avec les espaces sonores qu’il remplit, la démarche artistique d’Emptyset n’a cessé de voir plus grand dans sa soif d’expérimentation, allant du confinement d’un studio jusqu’à des conversations avec l’ionosphère (ouais, vraiment), en passant même par une mine médiévale et une centrale nucléaire désaffectée. Il semble qu’il était temps de se concentrer à nouveau sur l’essentiel, à savoir les artistes eux-mêmes, ainsi qu’un instrument à cordes et un autre à percussion construits pour l’occasion. Soyez rassurés, l’aridité et la radicalité sont toujours au rendez-vous, mais la dimension humaine se rajoute désormais à ces caractéristiques ; et après pas mal d’écoutes, on peut conjecturer que c’est un tournant périlleux dans une musique qui atteignait des sommets d’abstraction (et de génie aussi, un peu) auparavant. Et alors, coup de poker ou fumisterie éhontée ?
Je vous répondrai certainement un peu des deux, mes bonnes gens. On appréciera la volonté qu’Emptyset déploie pour s’éloigner de sa trilogie originelle, en incluant dans leurs sonorités analogiques extraterrestres une improvisation contrôlée presque organique. Les gimmicks de leur sound design abrasif à bout portant est donc rejoint par des cordes métalliques hypertendues entre des murs de bruit blancs, aux vibrations soumises aux secousses sismiques des kicks étouffés par l’oxygène en combustion dans l’air ambiant. Ça râpe cycliquement le pharynx dans Body ou Axis, ça débouche les voies aériennes supérieures dans Border et Retrieve et ça culbute en 2-step à travers le harassant Descent. Des bonnes idées parsèment définitivement le skeud, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Eh bien, lorsqu’un coup d’œil vers le passé se fait ressentir et qu’on écoute les compositions un peu paresseuses et manquant cruellement de relief sur Across ou Speak, ou qu’on se mord la langue pour ne pas crier au carton rouge dans la tentative injustifiable de riff au début de Dissolve (finissant du même coup l’album sur une grosse incertitude), on se dit que tout le potentiel de Borders n’a pas été relâché, ou bien qu’il a été volontairement bridé, au choix. La confusion est semée dans les cerveaux malades qui écoutent ce genre de sons, et titubent avec hésitation entre la moitié inspirée des morceaux et l’autre qui fait office de remplissage maladroit. Mais que retenir de cette expérience déroutante ?
Qu’elle sera loin de faire l’unanimité. Je ne botte cependant pas en touche avec Emptyset, et préfère voir en Borders un tremplin vers un prochain travail bien plus abouti. J’avais déjà espéré, à l’époque du chiant Tiento de las Nieves sorti par Thomas Köner, que l’allemand poursuivrait ses explorations au piano, la longueur en moins et l’inspiration en plus ; Tiento de la Luz ne m’a pas fait mentir en 2016, et s’est même hissé au rang de mes sorties ambient les plus essentielles de l’année passée. Je prédis désormais, candide et optimiste, le même destin pour Emptyset, utilisant Borders comme une version bêta de leur futur album qui va casser la baraque. James et Paul, ne me faites pas mentir s’il vous plaît.
Vous pourrez trouver l’album là, tout simplement.
Dotflac
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