Ça commence à devenir compliqué de chroniquer du Paskine. D’abord parce que le champ lexical tend à s’amenuiser, ensuite parce qu’on aimerait juste voir ce mec à la place qu’il mérite, c’est à dire aux Présences Electroniques avec une spatialisation de gueux et un public qui sait ce qui l’attend. Et enfin parce que dire du bien d’un album de chez VoxxoV sur Tartine fait désormais quasiment partie du domaine du conflit d’intérêt.
Des conflits, c’est d’ailleurs la moindre des choses que l’on souhaite aux multiples personnalités qui sommeillent dans le crâne de Paskine, car sans cela alors on voit mal ce qui pourrait expliquer qu’il nous chie un mur de noise aussi, euh. Cru. Disons.
Que dire de Shapes of Collapses ? Que c’est l’œuvre la plus radicale de Paskine ? Assurément. Mais en même temps on dit ça à chaque fois. Qu’il ne faut pas le mettre entre toutes les oreilles ? Moui. On s’en doute. Que la déconstruction atteint son paroxysme (ajoute ici la métaphore qui te sied le mieux) ? Bah oui, c’est marqué dessus.
Une fois qu’on a dit tout ça, ma foi, le chroniqueur habitué à traîner son pauvre vocable dans les arcanes connues des rythmes définis et des drones habituels se sent presque dépourvu. C’est bien pour ça d’ailleurs que ce disque est si fascinant (vous aurez remarqué la subtile approche de l’éloge qui s’en vient).
Je pose ici déjà en quasi-préambule que je ne parlerai en aucun cas de la technique sous-jacente à cet album. Le mec est bien trop loin en orbite pour que je puisse prétendre expliquer quoi que ce soit à ce qui se passe derrière cette galette en termes de créations d’instruments.
Reste quoi ? Si tu lis ce texte jusqu’ici c’est que tu as déjà écouté l’album, et qu’il te titille. Il n’y a donc aucun enjeu. La seule chose, c’est que tu cherches probablement un sens à ces 12 morceaux. Je ne t’en donnerai aucun, je n’en ai pas. Cet album n’a pas de sens, n’a pas d’entrée, pas de sortie, pas de signification. Rien d’autre que la matière brute qui le compose, et les réactions épidermiques qu’il provoquera, et ça, c’est indescriptible. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il faut s’y obstiner, si la moindre once de curiosité est encore là à la première écoute. Elle peut ne pas y être. C’est pas grave. Mais si oui, alors mange-le, encore et encore, car au fil des écoutes (mes colocs pleurent), et contrairement à ce que son titre suggère, une construction se fait jour. Des éléments, des différentes formes de l’effondrement, du chaos pur en somme, naissent des patterns, des harmonies, des ensembles cohérents et habités, qui créeront, éventuellement, des réactions d’humeur.
Ce Shapes of Collapses est l’album le plus charnel qu’il m’ait été donné d’entendre depuis longtemps. Car il trace dans le crâne des sillons qui ne répondent pas aux schémas traditionnels de rétribution hormonale. C’est un peu l’anti-Pavlov en somme. Alors évidemment, se farcir du Eric Holm ou du Tricoli au petit dèj depuis l’enfance aide un peu à creuser ce genre de mécanismes de rétribution, faut pas se voiler. Mais ça n’est pas suffisant, sur cet opus, Paskine n’épargne rien, et ne laisse peu de temps pour s’installer dans une habitude : les morceaux sont courts, et radicalement différents, alternant murs de noise implacables et sautillements à la Bret Schneider, dans un presque silence qui n’a rien de rassurant (évidemment). Tes yeux pleureront sur Be Llachoa. Ton cœur sera saisi d’une angoisse infinie sur Ballast Entitled. Tes muscles se crisperont sur Twain Twain. Tu finiras par comprendre que ton corps fait aussi partie de la matière que Paskine s’évertue à tordre, à travailler, à pétrire, à collapser.
En gros, tu vas manger. Mais je ne me ferai pas le chantre d’un sado-masochisme précieux et élitiste, on s’en fout. Tu sens un petit titillement ? Je t’invite à continuer, voire à t’acharner. Tu trouves ça aussi harmonieux qu’une machine à laver en mode « éco » ? Passe ton chemin, personne ne t’en voudra. Mais comme toute immersion dans la radicalité, si tu y prêtes le flanc, elle saura se montrer rétributrice, et ce ne sera jamais comme tu l’attends, même pour l’auditeur chevronné. Peut-être même qu’un matin, devant ta machine à laver, tu te diras qu’il y a comme des harmonies tentantes, avant de crier à l’easy-listening et de finir ton café, outré, en écoutant RTL.
En attendant, Paskine n’est définitivement plus de ce monde. Mais il est bien quelque part, et depuis son chez lui, il t’invite à quitter le tiens. N’hésite pas, tu pourrais être surpris.
The Shapes of Collapses c’est toujours sur VoxxoV Records. Le CD est bô. Sinon, j’ai toujours une dizaine de copies de Nimrod qui traînent chez moi. Je fais un prix de gros. Envoyez-moi un mail à parcequepaskine@mourir.org avec « j’aime l’andouillette » en objet.
Ehoarn