Kangding Ray – Hyper Opal Mantis | Effets primaires

À sa manière, Cory Arcane semblait clore une époque pour Kangding Ray. Certains y ont trouvé leur compte, mais je n’en ai pas fait partie, préférant de loin la classe humble et vigoureuse d’un Or ou les frictions calculées d’un Solens Arc à l’aspect plus aseptisé et lisse de sa dernière édition chez Raster-Noton. Je vous laisse débattre de ce point de vue dans les commentaires, comme d’habitude. Fin d’une époque donc, qui promettait en filigranes une ouvertures à tous les possibles, et c’est peut-être bien pour ça que l’on retrouve Hyper Opal Mantis sur le qualitatif Stroboscopic Artefacts, qui hébergeait déjà quelques EPs de l’artiste et déballe là un triple-vinyle à l’essence moins abstraite et définitivement immédiate, dans la pure tradition du label berlinois.

« Club-friendly » serait excessivement réducteur pour parler d’Hyper Opal Mantis, car la narration et les concepts s’y rapportant y sont toujours intimement liés, comme à chaque œuvre de Kangding Ray. Mais il y a un côté primaire, presque bestial dans cette nouvelle musique, donnant la simple envie d’oublier tout ce qui est hors de notre sphère intime pour saigner lentement dans le sillon sans fond creusé par les locomotives rythmiques et communier avec des reptiles sifflants dressés face à nous en position défensive, nous affranchissant des masques du quotidien pour se recalibrer sur l’instant et sur l’essentiel. C’est d’ailleurs la volonté à peine cachée du musicien, parlant du monde réel comme d’un rêve récurrent qui nous empêche de rester ancrés dans nos nouvelles réalités virtuelles, dénonçant la simpletisation uniformisée des esprits et l’étouffement contrôlé des vrais problèmes, et proposant dix morceaux pour réveiller dans un baroud d’honneur les consciences primordiales endormies derrière les nuages du présent. Dix mirages hypnotiques traitant le mal par le mal, allumant un contre-feu à l’acétone pour se fracasser gaiement sur les mystifications brûlantes de l’actualité et nous sevrer instantanément de la torpeur dans une transe irrésistible.

Hyper Opal Mantis est une expérience intra-corporelle et extra-sensorielle, où les compositions à l’orthogonalité variable naissent et croissent en volume restreint pour se convertir en agents psychotropiques à effet exponentiel. On y ressent les doutes qu’elles combattent et les mystères qu’elles dévoilent : la fleur d’une mélopée onirique contre le fusil des martèlements et cisaillements lourds dans Lone Pyramids, la binarité vacillante de Purple Phase ou les implacables fractures métronomiques qui se frottent aux attaques de crotale dans l’impérial Onde Mantis sont quelques exemples des tensions sourdes que Kangding Ray met ici à jour, dans son style géométrique et impeccablement produit qui lui sied tant. Il dévoile cependant une certaine urgence dans le besoin de résoudre les perturbations, grâce à un traitement rythmique exemplaire dans d’autres morceaux qui roulent sur tout ce qu’ils croisent, à l’instar du catalyseur d’énergie Rubi ou de la mandale en 4×4 à bout portant Epsilon, qui rétame à lui seul tout ce que j’ai pu ressentir sur l’ensemble de Cory Arcane. Le head-banging sous stroboscopie auriculaire contre de l’apathie collective, pourquoi pas ? Secouer la tête sur une musique enivrante pour se soustraire à l’environnement immédiat est un réflexe musculo-squelettique que l’Homme a acquis depuis longtemps, et la communion des sens qui en résulte lui permet d’envisager son monde avec un point de vue différent, presque spécifique à cet état de transe acoustique. Peut-être pas le point de vue idéal, mais ça, Kangding Ray le sait, car il semble plus intéressé par l’infinité de parcours, bons ou mauvais, qu’on pourrait choisir de pratiquer pour changer notre perception, plutôt que de nous montrer bêtement l’hypothétique issue salvatrice. La musique au service de l’ouverture d’esprit, l’extase fréquentielle à celui de la prise de recul. Un retour charnel aux sources du rythme pour se resynchroniser avec soi-même dans un monde qui nous dépasse sans qu’on s’en rende compte.

Si on écarte l’acidité trop prononcée d’Outremer et la résurgence trance de mes plus gros traumatismes d’eurodance des années 90 dans Laniakea, l’objet du jour est une sévère poutre de la part de David Letellier, un pilonnage psychédélique et frénétique à la nuque en remède à une anesthésie cérébrale silencieuse, la naissance d’un désir irrépressible de se déhancher jusqu’à la crampe pour se rappeler qui l’on est dans nos retranchements. Hyper Opal Mantis ouvrira les chakras aussi bien sous les lumières noires d’une piste de danse qu’à travers votre casque hi-fi, bien calé au fond d’un fauteuil dans la pénombre d’une nuit pluvieuse. Un objet universel qui remet Kangding Ray en force dans le game, et profile encore de belles choses pour la suite.

Tous les formats de votre vie (sauf la cassette, faut pas déconner) par ici, sur le site de Stroboscopic Artefacts qui propose aussi la série inratable des Monad. À bon entendeur.

Dotflac

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