Lawrence English – Cruel Optimism | Couches d’ambivalence

cruel-optimismÇa fait déjà plus d’une décennie que Lawrence English nous sauce de son ambient qui n’aurait désormais aucune honte à figurer au panthéon du genre, et il est difficile de ne pas conseiller aux curieux l’exploration exhaustive de sa discographie déjà bien fournie, bien que pas toujours homogène. Il peut-être par contre intéressant de la débuter par son Wilderness of Mirrors qui a mis tout le monde d’accord en 2014, d’une rare maîtrise dans les domaines de la saturation / distorsion harmonique / plein de trucs techniques de meublage, mais surtout à la dimension psychologique tant affectante qu’affectée ; une rose noire qui grandit sous une éternelle éclipse solaire que je vous conseille très vivement, vous l’aurez compris. Après The Peregrine (lui aussi indispensable) inspiré par la nouvelle du même nom de J.A. Baker, et Wilderness of Mirrors puisant ses origines dans le poème Gerontion de T.S. Eliot, c’est maintenant le dernier né Cruel Optimism et son nom évocateur provenant du livre éponyme de l’américaine Lauren Berlant qui s’inspire d’une œuvre existante pour y trouver de nouvelles réflexions dans le miroir des yeux.

De la forme de son titre à ses ficelles existentielles les plus intimes, tout dans cet album transpire le paradoxe. Ou, plus justement, tout y transpire l’ambivalence. Car la puissance ne s’oppose pas à l’apaisement mais le chérit, la distorsion exponentielle nous donne l’impression de chavirer dans les limbes alors qu’elle ne cherche qu’à nous déséquilibrer au bord du précipice pour mieux stimuler notre attention, les effondrements harmoniques semblent se destiner à la singularité mais se révèlent vecteurs de renaissance perpétuelle. Ambivalence aussi dans le nom du disque, où la réalisation d’un présent toxique est plus que jamais à l’origine de toutes sortes d’avenirs incertains, mais surtout une motivation inflexible à cette idée que l’indignation peut planter les graines robustes de perspectives moins fatalistes, que tabler sur le soulèvement global de nations unies est le meilleur pari sur le futur dans des temps pourtant isolationnistes. Une conviction du dialogue et du rassemblement retrouvée dans l’âme même de Cruel Optimism qui, contrairement aux précédents travaux d’English, est issu d’un effort communautaire inédit, sans jamais perdre en cohésion. Ambivalence jusque dans la pochette, où une tornade à l’envers esquisse possiblement une analogie distante à notre monde brutal et sans repères ; mais les plus lucides reconnaîtront pourtant un montage éhonté, une fumisterie si grossière qu’on hésite à la mettre en doute.

Et c’est en dix mouvements hauts en contraste qu’on retrouve la science du calque en éternelle évolution de l’australien, claquant le beignet au début de chaque face avec les flèches de lumière de Hard Rain et les lames de fond nous percutant impitoyablement dans Object of Projection, dans une pure volonté de retour à la réalité violente, dépliant, superposant et étirant les sons jusqu’à brouiller l’horizon dans un magma bouillonnant de textures au bord de l’apoptose, puis caressant les téméraires dans le calme suivant la tempête. L’artiste interpelle par la force et pousse à la considération et la réflexion dans la parcimonie à travers un style désormais unique, bien que les morceaux les plus débridés ne soient pas forcément les plus denses acoustiquement : Crow repoussera les nuages gris de son vent surnaturel sans tomber dans la facilité des écarts d’amplitude, et la dissonance et le dulcimer réminiscents de 2014 dans Negative Drone n’auront besoin que de se répondre pour émerger en une pièce à l’énergie potentielle à peine calculable. Mais que ça soit en choc frontal ou en envolées texturales, chaque note de Cruel Optimism suinte le refus des maux qu’on veut nous inoculer, chaque mandale saturée crie à l’incompréhension de sa situation et appelle la raison face au déterminisme. Le sublime duo de clôture Somnambulist / Moribund Territories conclut l’album en marchant contre un vent aride qui assèche la cornée et brûle la trachée, habité de cet espoir profond que l’oasis de rédemption se trouve quelque part au-delà des mers de dunes battues par le sirocco, invisible jusqu’à ce qu’on la touche du bout des lèvres.

Comme la quête de cette oasis, Cruel Optimism ne nous garantit pas la réponse ou le salut à son issue, mais nous explique à sa manière que si rien ne se gagne facilement, la victoire n’en est que plus belle. Les âges qui nous hébergent ne resteront troubles que si l’on choisit de s’y complaire ou de s’y résigner, et Lawrence English crée à son échelle une œuvre qui refuse l’inéluctable et demande à nos consciences de se réveiller. Un objet de projection se fragmentant sur nous avec le désir intime de se refléter vers nos semblables dans une résonance des harmoniques sans fin. Et même si je lui préférerai personnellement Wilderness of Mirrors ou The Peregrine, Cruel Optimism est loin d’être dispensable, et reste une expérience hors du commun qui s’inscrit parmi les plus belles sorties de l’artiste.

Vinyle, CD ou digital HD, choisissez ce que vous voulez, mais choisissez.

Dotflac

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