Pessimist – Pessimist | Soupe d’hydrocarbures

Même dans un genre que l’on croit mort parce qu’on n’en entend plus parler, y a des gens qui ont des éclairs de lucidité et prouvent aux sceptiques qu’ils ne devraient pas l’être autant. On aurait pu le dire de la jungle et de certains de ses rejetons directs, plus vraiment d’actualité depuis que l’hégémonie de l’amen break a cédé le pas aux machins-step pas nécessairement recommandables, pour la plupart. Pourtant, Kristian Jabs creuse depuis quelques années un sillon parallèle qui puise ses inspirations dans ce passé multi-culturel qu’il n’a peut-être pas vu naître, mais au moins grandir autour de lui au berceau de ses amours (et du sien), la bien-nommée Bristol. Et il paraîtrait même qu’il a fait parler de lui avec des EPs divers et variés (sûrement pour ça que je m’y suis jamais intéressé), le menant finalement à mériter son installation pour son premier long format aux côtés de Prurient, Raime et Black Rain chez Blackest Ever Black.

La première chose qui saute aux oreilles avant même de réellement plonger dans l’album, c’est la facilité et le naturel que Pessimist affiche en jouant avec les codes, effaçant sans faute les frontières a priori opaques entre jungle et drum’n’bass d’un côté et techno et influences industrielles de l’autre. Contre toute attente, la noirceur et l’implacabilité des derniers se mélange à la perfection avec la débauche rythmique des premiers, et on se fait gentiment inviter à prendre le volant d’une muscle car blindée pour avaler le bitume durant la nuit sans étoiles qui s’annonce. De là, on distinguera deux chapitres distincts d’un même livre sur les pouvoirs de l’obscurité, répartis sur un disque chacun. D’abord, l’attente et l’inquiétude. L’impatience et le malaise. La solitude apparente troublée par des formes évoluant dans nos angles morts aussi. L’architecture de la ville qui nous héberge semble avoir digéré toute forme de vie familière pour ne nous laisser que les géants de béton et d’acier comme compagnons d’infortune. Les courants d’air soulèvent une poussière qui ne retombe jamais dans des paysages urbains aussi froids et taillés à la serpe que la musique qui les crée. Des grondements distants résonnent difficilement dans l’atmosphère poisseuse, des déplacements d’air dans l’ombre font frémir l’échine. L’oreille se tend pour deviner ce qui se tapit au-delà du brouillard, l’horizon n’est plus qu’un spectre de lui-même dérivé en teintes de bleus bientôt submergées par une vague de pétrole.

Puis la tension se libère enfin à l’apparition des structures rythmiques lourdes et bradycardes au milieu de Bloom, relâchant une énergie qui déforme le terrain sans le fracturer dans ses obsessions mi-jungle mi-drum’n’bass, faisant voguer le morphing des basses fréquences le long des gratte-ciel dont les façades vitrées se vrillent et convulsent douloureusement sans jamais exploser, même dans le tortueux Spirals. Une version cauchemardesque de la réalité où l’on a échoué dès qu’on a accueilli la brume sale de Pessimist dans nos esgourdes, et qu’on décide d’accepter et de dompter à la charnière du LP, dans le dub kilométrique et aérien de Glued. Ne faire qu’un avec sa peur, passer de l’autre côté du miroir d’obsidienne et atteindre la félicité dans l’inattendu. Le second chapitre de Pessimist se veut fondamentalement plus rythmé pour marquer notre passage d’observateur à acteur de la situation. On lance une attaque frontale et l’adversaire invisible y répond par un cri de guerre menant autant à une débauche de techno rocailleuse baignant dans l’acide (Peter Hitchens) qu’à du jumper post-apocalyptique (Through the Fog) pour danser sous une pluie de cendres aux ordres inintelligibles d’une voix d’outre-tombe, qui pourrait sortir tout droit des mêmes dimensions démoniaques que le Always Offended Never Ashamed de Kerridge. C’est alors que l’on se rend compte que la colère cède au plaisir, que l’improbable fait place à la nécessité. Est-ce là le pouvoir de ce disque, dont l’équilibre instable entre des genres pas forcément évidents à faire cohabiter suscite d’abord la méfiance avant de nous convertir à ses obscurs rituels sans prévenir ?

Produit pour être écouté d’un bloc du début à la fin afin d’en extraire toute la paranoïa jusqu’à la moelle, Pessimist laissera quand même leur chance à ceux qui espèrent un jour que les rayons du soleil leur réchauffent le dos dans la transition finale vaporeuse d’Outro. Mais en vrai, cet album ne vous souhaite que d’arriver à faire un avec ses ténèbres hostiles, car s’il ressemble à une chimère informe issue d’un passé alternatif, n’oubliez pas que la nuit en camouflera les traits pour que croyiez à juste titre qu’il est des plus futuristes.

Vous trouverez de tout par ici, dès le 25 août.

Dotflac

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