Jusque là en 2017, j’avais surtout entendu parler de Raster-Noton parce que le label changeait de nom suite à la séparation de Carsten Nicolai de l’entreprise deux fois décennale, s’appelant désormais Raster-Media. Rien de plus qu’un fait divers parmi d’autres. Et puis sans vraiment prévenir, une nouvelle collaboration anonyme (enfin pas vraiment, car des espions à l’Atonal fraîchement terminé nous ont rapporté des informations fiables du live salué par les spectateurs, mais on nous a dit qu’à la moindre révélation publique, les mafias germano-soviétiques nous rendraient une visite de courtoisie) voit le jour fin août ; n’ayant rien à attendre de personnes dont on ne connaît pas les faits d’armes passés mais bien réels, on a tout le loisir de laisser la curiosité s’immiscer dans le mystère de Belief Defect. Fort bien nous en a pris.
Avant même d’entrer entièrement dans cet album, des signes nous font dire qu’on s’y sentira bien : au-delà du malaise ambiant dont on recausera, que les nihilistes du dimanche que nous sommes affectionnent en particulier, les travaux présentés sous-entendent sans l’ombre d’un doute que le duo du jour porte un amour profond à toute une époque musicale qui cimente les fondations soutenant Decadent Yet Depraved. Une forme de synthèse ultime de leurs influences respectives, dont on devinera certains traits appartenant à un passé pas si distant ni hors de propos que ça, avec des lignes synthétiques au teint rétro-futuriste ou des rythmiques fermement ancrées dans le spectre inférieur du downtempo qu’on ne trouve malheureusement pas assez actuellement. On croirait presque assister à la naissance du rejeton d’un plan à trois entre la force de frappe lente et poisseuse de Ohm Resistance, le désespoir fataliste de In Paradisum et la précision chirurgicale du sound design cher à Raster. Mais mieux que ça, Belief Defect surpasse ses maîtres et propose un produit valant plus que la somme de ses parties, un objet hypothétiquement composé à l’aube du troisième millénaire avec les outils disponibles là-bas, mais bénéficiant des méthodes de production actuelles. Un manifeste issu d’une ligne temporelle parallèle à la nôtre où une guerre de grande envergure a pris place et n’a laissé que des paysages stériles surplombés par les nuages opaques d’un hiver nucléaire.
Un présent alternatif peuplé d’individus que les radiations résiduelles, l’absence de lumière et la perte de repères moraux et dogmatiques ont inéluctablement modelé en réceptacles fissurés, laissant lentement couler leur essence humaine dans les anfractuosités infertiles du monde qu’une poignée de mégalomanes ont choisi de leur léguer. L’âge de l’Homme arrive à son terme et la machine compte bien en profiter pour rebondir et infiltrer les esprits dans un parasitage délicieusement dérangeant qui émerge à travers Decadent Yet Depraved. Les souvenirs sont progressivement recouverts par des crassiers fumants, les corps se font écorcher en silence par des feuillets de textures grain 20 et se font matraquer l’hypocondre droit par des coups de Rangers renforcées, les voix maternelles et paternelles si rassurantes ne sont plus que des gaz volatils qui prennent feu au contact de l’air et s’évanouissent en volutes opaques dans l’oubli. L’Homme pourrait se battre et se raccrocher à ses dernières vraies possessions, mais pourquoi encore espérer une rédemption qu’il n’a jamais mérité après une apocalypse que la majorité n’a jamais souhaité ? Pour qui devrait-il se dresser alors qu’il a déjà un pied au-dessus de l’abysse ? Les condamnés à l’exil se résignent à ne plus croire en rien, et les idoles du passé ne sont déjà plus que des masques déchus qui ont compris que leur avenir se trouve désormais ailleurs.
Belief Defect revient nous voir à ce moment avec Decadent Yet Depraved, qui pourrait presque s’inscrire dans notre présent comme un avertissement. Nous avons les moyens de nous détruire intégralement plusieurs fois, mais nous rendons-nous compte que cette éventualité n’a jamais été aussi proche de nous ? En qui et quoi devons-nous croire en ces temps de désinformation et de mystification éhontées ? Tant de questions que vous pourrez vous poser (ou pas) à l’écoute de ce disque. Mais plus pragmatiquement, même si une paire de morceaux n’évite pas certains poncifs de genres déjà bien explorés jusqu’à aujourd’hui, Belief Defect fout une belle manchette à ceux qui n’en attendaient rien et squattera probablement des bilans de fin d’année en toute légitimité.
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Dotflac