Otto Lindholm est un mec surveillé gentiment depuis l’apparition discrète de son premier LP l’année dernière. Au lieu de choisir la facilité et de vous embrouiller sur le fait qu’il joue de la contrebasse et que donc on doit se sentir obligés d’en parler, j’exprimerai plutôt toute ma sympathie à l’égard des artistes qui mettent en valeur des instruments classiques parfois oubliés injustement au-delà des éternels violons et pianos, souvent relégués au second plan derrière leurs petits frères. La contrebasse et le violoncelle en font partie, et c’est pas Yair Elazar Glotman, Mohammad ou Koenraad Ecker qui prouveront le contraire ; Otto Lindholm se situe à quelque part dans les interstices qui les séparent, et si sa sortie éponyme en 2016 était à peine trop monochromatique dans ses dépictions, Alter s’ouvre à de nouvelles combinaisons d’imaginaires stochastiques.
L’émergence des reliefs sur la toile du belge est la première partie du travail. Elle se manifeste ici par les étreintes affectueuses de l’improvisation, celle qui fait la part belle aux erreurs, pardonne les notes fougueuses et laisse l’archet briser les silences suspendus avec ses craquements. Embrasser l’imperfection afin d’affirmer sa singularité parmi les anonymes et sa faillibilité dans l’horloge trop bien réglée de ce monde, et ne pas l’ignorer au risque de lisser les dénivelés et d’ôter l’essence fondamentalement mouvementée de l’existence de chaque chose. Une ligne directrice qui infuse Alter d’une certaine spontanéité, impliquant sans trop de détours qu’on est ici témoin d’une forme de sincérité et de vérité originelles. Comment mieux persuader et séduire un public qu’en lui révélant ses sublimes travers, quelle meilleure rançon de l’honnêteté que la suspension de l’incrédulité ?
Une fois les fondations fixées au cadre, il ne reste plus qu’à Lindholm de peindre les collines et les dépressions de couleurs aux tons pastels, de laisser les émotions de l’instant imbiber le papier en une danse liquide magnifiquement imprévisible. Les gerbes vermeil de colère sur le crépuscule d’acier, le cobalt des incertitudes qui pleut sur la lavande agitée de paysages ralentis, jusqu’à se diluer dans l’or rassurant du lendemain en promesses incertaines ; le musicien applique ses couleurs comme il semble expier des souvenirs qu’il n’a pas tous vécus, mais en exprime les vibrations profondes avec une acuité dont il ne connaît pas lui-même les origines. Il ressort alors de cet album une fluidité et une universalité inattendues, sa forme dépendant de la manière dont on appliquera les aquarelles sauvages, dont on les laissera couler ou se mélanger, se fixer ou se diluer, se déposer ou exploser en une parfaite expression de la beauté de l’entropie. Puis on se déplacera sur les différents niveaux que chaque morceau camoufle en son sein, pouvant librement choisir de rester voguer en territoires connus à la surface, ou de céder aux appels sourds de l’instrument tantôt bestial, tantôt amical, qui invite surtout ses auditeurs à en explorer les méandres profonds pour se perdre. Et éventuellement se retrouver.
Les différentes facettes volontairement données à Alter ne sont pas tant une finalité qu’un vecteur pour se confronter à nos propres sources de lumière, ainsi qu’aux zones d’ombre qu’elles provoquent nécessairement pour préserver l’équilibre précaire qui nous anime tous. Un voyage impressionniste qui, à défaut d’être une peinture immobile, réfléchira en reliefs et en teintes l’âme de son observateur sans le lui souffler, et lui insufflera en échange les réminiscences de tous ses prédécesseurs. Une œuvre en perpétuelle évolution délimitée par son créateur et nourrie par son public.
Un peu de digital par-ci, un peu de vinyle par-là, et c’est chez Gizeh Records que ça se passe.
Dotflac
Merci beaucoup pour cette belle découverte, j’en reste au digital pour le moment, cela me permettant d’écouter tout cela dans ma voiture !
Le plaisir est pour nous (et l’artiste), de rien !