Foresteppe – Mæta | Fonction transverse

Étant fasciné depuis longtemps par le fantastique pouvoir de suggestion de l’enregistrement sur bandes magnétiques, j’ai accueilli cet été dans la plus grande joie une succession d’albums de ce genre, des croisières spectrales de Kirill Mazhai à la plus récente itération de la série dédiée à la lumière de Tape Loop Orchestra (dont on reparlera en détails très bientôt), en passant par la ré-édition étendue du trop sous-estimé A Turn of Breath par Ian William Craig. Il y a également dans ce lot de perles récentes Foresteppe, artiste russe officiant en Sibérie profonde et sortant chez Eilean Rec. un Mæta qui, s’il fleure bon la naïveté infantile, pourrait bien être au fond son travail le plus abouti à ce jour.

J’associe très souvent l’utilisation des bandes magnétiques en musique au sentiment de mélancolie qui semble empreindre chaque boucle qui se répète imparfaitement jusqu’à s’effondrer ultimement sous le poids de sa précieuse fragilité. J’apprécie beaucoup ces sensations paradoxales qui mélangent le déterminisme fatal auquel est soumis le matériel et son accès virtuel à l’éternité grâce à l’enregistrement numérique de ses derniers soubresauts. Mais là où ce type de musique est majoritairement utilisé pour purger des peurs, des folies, de la colère ou de l’affliction (écoutez la dlp 4 de William Basinski ou The Hallowed Receiver de Valerio Trioli et vous m’en direz des nouvelles), Foresteppe choisit d’ignorer la tristesse et les aigreurs de l’âge adulte. Et sans cela, la mélancolie inhérente aux sons qu’il explore se transforme en nostalgie la plus pure, la plus innocente. Et donc aussi la plus inoffensive et la plus efficace. Mæta est un jeune adulte qui s’est affranchi des maux de son monde, qui a décidé de vivre dans la lumière et de se rappeler de son enfance, de ses bons moments et de ses moins bons, mais sans s’accrocher ni s’apitoyer pour ne voir sous ses pieds qu’une courbe ascendante qui rejoint le soleil de mai.

12 polaroids de vie aux bords jaunis, aux couleurs délavées et au grain épaissi qui sentent la candeur d’une enfance révolue mais jamais vraiment oubliée. Le temps aura bien sûr fait son travail et altéré les trames les plus fines de chacune de ces réminiscences, faisant dérailler le flux sonore quand les visages se brouillent et que la lumière faiblit. Mais leur essence reste entièrement préservée dès lors qu’on leur associe les émotions qui nous ont construit et continuent de nous définir des années après leur déroulement. Scènes de vie insouciantes dans s04e06, relâchement nerveux dans des champs de blé et de pissenlits agités par une brise du sud dans s02e19 ou balade crépusculaire au-dessus d’un océan de bouleaux et de mélèzes centenaires dans s02e12, chaque extrait de cette enfance partiellement vécue, partiellement ré-inventée est une invitation sans retenue à embrasser le passé sans s’y fixer, à savoir d’où l’on vient pour mieux entrevoir où l’on se rend. Egor Klochikhin nous indique la voie pour franchir les nombreux écueils menant aux gigantesques steppes boisées qui l’ont vu grandir, et nous montre qu’au lieu d’y voir seulement un chemin dangereux et instable, il suffit de dépasser ses peurs et ses doutes pour se rendre compte que la récompense finale vaut bien plus que les éventuelles ecchymoses qui l’accompagneront.

Plonger dans Mæta demandera de passer d’abord au-dessus de la fausse crédulité qui le constitue, traduite par l’utilisation d’instruments inhabituels et des résonances enfantines volontaires de ses entrailles. Mais la forêt se cache ici derrière l’arbre, révélant aux auditeurs patients un petit trésor de délicatesse et d’optimisme, aux rouages maîtrisés bien plus finement que Foresteppe ne le laisse paraître. Une photographie argentique laissée à vieillir au fond d’un tiroir pendant des décennies, ressortie abîmée de son sarcophage de bois et de poussière, mais dont chaque détail revient en mémoire instantanément avec son flot d’endorphines.

Comme souvent avec Eilean Rec., les éditions physiques disparaissent à la vitesse du son. Mais vous pouvez vous consoler avec le digital quand même.

Dotflac

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