Le retour de Scorn après toutes ces années de mise en veille avait de quoi faire peur. Certainement pas à cause de tout ce qu’il a légué aux musiques électroniques dans son sillage, passant par différentes phases très reconnaissables depuis l’aube des années 90, mais toujours fidèles à des dépictions minimalistes et isolationnistes jamais avares en basses fréquences dubbées comme pas deux. Et bien que pas forcément séduit par des premières sorties plus sèches et trip-hopesques qui sortent de ma zone de confort, l’avènement du nouveau millénaire a vu Mick Harris investir les rangs de Hymen Records dans un style à la fois plus élargi et fracturé dans son approche et plus tendu dans son ressenti, augurant l’arrivée des bombes sales absolues Stealth et Refuse; Start Fires, toujours en rotation régulière. Non, ce qui avait de quoi éveiller les craintes d’un flop injuste et décevant tant pour l’artiste que pour Ohm Resistance, c’est l’EP Feather vraiment pas fou sorti en juin qui annonçait l’arrivée prochaine d’un long format tant attendu, et surtout les grosses caisses promotionnelles lâchées successivement après celui-ci qui faisaient monter la sauce à un point que j’ai rarement vu jusqu’à maintenant. On espérait juste que Café Mor soit finalement une bonne surprise et d’une trempe différente de son avant-goût ; vous vous doutez bien que si on en parle, c’est pas pour cracher dessus.
On a mentionné avant l’évolution assez notable des sonorités de Scorn au cours du temps, et on en était resté à des saillies globalement frontales et percussives qui enterrent leurs victimes au fond de tranchées boueuses. Et malgré la longueur du projet, force est de constater que tout en préservant une patte artistique reconnaissable entre toutes, Mick Harris arrive à se renouveler assez pour susciter l’intérêt des habitués et titiller la curiosité des autres qui n’ont pas encore succombé au piège de l’anglais. Déjà avant, sa musique était la seule qui arrivait à étirer le temps avec une aisance effrontée, faisant passer deux minutes de son dub troglodyte pour six minutes d’existence réelle ; un prédateur silencieux qui aspire la vie de sa proie sans lui susciter d’effroi, mais en la séduisant. Désormais, les oscillations gluantes du spectre sonore inférieur et les superpositions cinglantes comme une volée de bois vert des snares, probablement brevetées depuis, côtoient ici des tempos encore ralentis, à la limite de la suffocation, dont le principal effet secondaire après celui de décupler le potentiel destructeur des morceaux, est de laisser les strates ambiantes aux émanations industrielles rouillées s’exprimer pleinement. Le contraste entre les raz-de-marée subhertziens, les kicks distordus et les vapeurs proto-mélodiques infectées a rarement été aussi saisissant par le passé, et la violence patente fait aujourd’hui place à une tension latente des plus jouissives. En toutes proportions gardées, on pourrait voir Café Mor comme une itération plus subtile de Scorn, où le carnage anxiogène d’un Refuse; Start Fires est mesuré pour nous faire sentir en sécurité relative, mais compense sa force en s’insinuant sans prévenir sous la peau et en contaminant nos entrailles avec son encre épaisse.
Plutôt que de se focaliser sur les dénivelés de fréquence et de volume en ravageant tout sur sa route, Café Mor mise sur une illusion de l’équilibre et fait en conséquence ressortir des détails qui à eux seuls rappellent qu’on a affaire à un gazier du genre, qui sait parfaitement quelles ficelles tirer pour graver au burin ses lignes rythmiques dans nos cerveaux anesthésiés : les barrissements apocalyptiques de pachydermes passant au milieu d’un magasin de porcelaine dans Elephant, ce petit break de l’espace à 3:36 durant The Lower the Middle Our Bit, la claque martiale du snare qui parsème Mugwump Tea Room, ou encore un kick qui simule une séance de waterboarding dans du pétrole brut pendant Who Are They Which One ; après avoir subi, on se complaît dans ces territoires instables aux frontières sombres, aux intentions incertaines, à la conviction transfixiante. Un magma d’obsidienne en fusion froide qui bouillonne à l’air humide de paysages stériles. Une musique d’accords clandestins dans une pièce reculée, dit le dossier de presse. Je dirais un album à savourer en solitude en face de la mer d’Irlande au moment du crépuscule, après un voyage à la météo catastrophique, en train de se délecter de rouleaux de homards et de crabes fraîchement pêchés sur un tabouret vermoulu par le sel et les intempéries. Il s’agit juste d’attendre qu’une brume épaisse nous camoufle du reste du monde pour ne faire qu’un avec les volutes fractales anormalement lourdes de condensation, qui viennent étouffer la surface et nous intégrer à leur plan d’existence fantomatique. Voguer entre deux paradigmes pour ne plus appartenir à aucun, oublier d’où l’on vient et ignorer où l’on va pour se placer dans des interstices d’hydrocarbures et de goudron. Là où les esprits se sentent chez eux non pas car ils se trouvent là où ils le souhaitent, mais là où ils le méritent. La prose cinglante de Jason Williamson complète ce tableau avec un flow acide se réverbérant dans les fumées opaques d’un moteur diesel en échappement libre au fond d’une fosse remplie de reptiles albinos. Bruyant, étouffant, âcre. Spontané, non-filtré. Vrai. Un nectar empoisonné de ce qu’il y a à retenir de l’ensemble ; quelle bastosse ce Talk Whiff.
Bien plus de peur que de mal donc. La tracklist réduite permet d’apprécier chaque extrait visqueux de Café Mor sans en perdre une goutte, même un Dulse pas facile à appréhender de prime abord parmi des voisins directs bien plus marquants. Tout le monde n’apprécie pas le virage ultra-dub de Scorn très porté sur les lames de fond à la limite des influences industrielles, tout du moins depuis Stealth. Mais comme il le dirait probablement lui-même, qu’est-ce que ça peut bien lui foutre de plaire ou non tant qu’il fait ce qu’il a envie ? Ne ratez en tous cas cette expérience sous aucun prétexte, vous vous priveriez du genre de saleté dont on aime se laver les oreilles deux fois par jour.
Plein de trucs et de machins par ici, faites-vous plaisir.
Dotflac
Ah Dotflac est là
Une sorte de nouveau psychédélisme planant mais pas dans le ciel.
Certains trouvent que c’est sexuel(Zander?!)
….Impossible d’avoir « une montée »….putain c’est lourd
Bonjour,
oui je suis là.
Bien à vous, Dotflac