Ça faisait tellement longtemps que j’attendais un vrai travail solo de Broken Note que je l’avais quasiment oublié. À deux ou trois apparitions discrètes près sur des compiles, le dernier vrai taquet qu’il nous a mis datait de l’EP Black Mirror, sur le feu-sacro-saint Ad Noiseam. Un format court qui tâchait sévèrement les esgourdes, et qui confirmait encore que Tom Andrews n’avait jamais délaissé son univers sonore si particulier qui avait déjà explosé sur l’anthologie Terminal Static tout simplement magistrale. Et puis récemment, les annonces brèves et successives d’un double LP plein de nouvelles choses m’a rappelé que ce projet existait toujours. M’a aussi rappelé que même si les ziks steppées surfent sur des tendances en dents de scie à l’image des ondes triangulaires qui le peuplent, et que c’est parfois honteux d’admettre publiquement qu’on les aime quand c’est bien fait, y a toujours des exceptions pour confirmer la règle dictée par la majorité. Et mis à part Hecq qui a démoli le genre en 2011 avec Avenger, il faut admettre que le nom qui émerge toujours de ces coins sombres de sons maximalistes, ben c’est Broken Note. Nous voilà donc fin 2019, dans un dernier trimestre qui fait oublier la faible attente qu’on pouvait encore avoir de cette année, avec un de ces retours improbables érigés en ode à la brutalité au goût de reviens-y. Ça se passe chez les tarés de MethLab Recordings, qui enchaîne récemment les belles annonces et pourrait bien se poser comme une plateforme pivotante de l’électronique de pointe dans un futur plus que proche.
Comme on le disait, le dubstep en particulier, ça peut un peu effrayer, parfois écœurer, souvent vous faire attirer des regards de dédain de la part de votre entourage. Bien sûr qu’il y a de la merde dans ce domaine, comme dans tous d’ailleurs, et peut-être un peu plus haut que le bord dans ce cas avec des mecs surmédiatisés trop vite qui arrivent même à lisser un genre pareil. Vous voilà donc sur la mauvaise pente de la personne « spéciale », merde ; mais il faut les pardonner, car ils ne savent pas ce qu’ils disent. Ils n’ont clairement jamais entendu un truc comme Exit the Void. Du dubstep oui, mais qui bénéficie d’une modélisation sonore de psychopathe à faire fondre l’épiderme, d’un savoir-faire fourni et furieux sans égal. Les lignes de basse toxiques comptent parmi les plus sales qui existent et une fois les pieds mis dedans, il sera difficile de s’extirper de leur attraction poisseuse et paradoxalement obsédante. Les percussions sont (dé)structurées de manière incisive et brutale, comme une mécanique rodée uniquement pour asséner des coups bas dans les lombaires après nous avoir fait courber l’échine sous la pression ambiante. Le gimmick des breaks vertigineux est forcément présent, mais leur apparition aléatoire et les changements de rythmes à contre-pied surprennent par leurs amplitudes ; Broken Note nous accompagne dans une ballade visiblement innocente sur ses territoires hypoxiques et gangrenés en nuances de gris, puis se glisse imperceptiblement derrière nous lors d’un instant de syncope dû au manque d’oxygène aspiré dans les intervalles de ses morceaux, et nous pousse dans le dos à chaque reprise cinétique jusqu’à ce qu’on trébuche pour de bon. Un déséquilibre dans les moments de faiblesse pour nous inviter sans nous le demander à sauter de la falaise et s’écorcher sur les parois aiguisées en granite de son interprétation sonique du matraquage, et assez probablement se pulvériser en contrebas avant même de pouvoir prétendre en atteindre le bout.
C’est un peu une musique pour masochistes en fait, car on sait à peu près ce qu’on va trouver au sein d’Exit the Void avant même de le lancer, qu’il offrira une expérience plutôt impitoyable et douloureuse comme on la recherche, aux frontières d’une certaine frange aiguisée du son. Cependant, le vrai sel qu’on y dénichera, celui qu’Andrews saupoudrera sur vos plaies même pas cicatrisées, il se terre dans l’incertitude et la surprise qui seront au rendez-vous à chaque étape du voyage, là où les cuts imprévisibles bousculent, où les tempos s’annihileront ou se conjugueront au gré des attentes de leur public, juste pour faire exactement le contraire. Ces variations constantes, en plus de reléguer le mot « ennui » à l’état de concept trop distant pour être appréhendé, finissent sans que l’on s’en rende compte par nous faire tomber dans un cercueil camouflé qui semblait vicieusement nous attendre depuis le départ sous une couche de fumée pétrolifère, les kicks enfonçant sans remords les clous dans notre couvercle. Une façon de s’isoler de la masse, de s’extirper du quotidien au mieux chiant, au pire accablant, et d’envoyer bouler les contrariétés qui iront se noyer tranquillement dans les profondeurs visqueuses de l’album pour être réduites au silence. La loi du talion remise au goût du jour, la puissance du son contre le déterminisme oppressant, la liberté de sélectionner sa propre violence pour l’exposer à celles qu’on nous impose.
Bien qu’il soit définitivement un objet du plaisir coupable complètement assumé, par son agressivité, son absence de compromis et, malgré les préjugés auxquels beaucoup pourront céder, tout à fait unique dans son approche, il ne faut pas éluder l’opulence à peine dissimulée du sound design qui bat dans le cœur en charbon d’Exit the Void, ni l’intelligence de la liste de lecture qui ne mise pas que sur des missiles balistiques mais aussi sur des interstices donnant un faux espoir de répit pour mieux mettre ses auditeurs à genoux. Même un Suspect Device trop bas du front, comparé aux autres titres bien plus instables et jouissifs, n’enlèvera rien à cette expérience jusqu’au-boutiste, à apprécier évidemment sur un système ouvert boosté aux stéroïdes et capable d’encaisser sévèrement du hertz. Une grosse mornifle qui fait tendre l’autre joue, sans regret.
Double galette et le reste par là.
Dotflac
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