PYUR – Oratorio for the Underworld | Endogenèse

Autant ça faisait presque deux ans, surtout depuis une année 2016 très riche en limites sonores repoussées, que Subtext commençait à m’emmerder un peu, autant 2019 fut un joli retour aux sorties uniques dans leur approche artistique qui ont fait tout le sel du label à ses débuts, pour mon plus grand plaisir. Y a déjà eu le transcendant Sutarti de Joshua Sabin, chroniqué il y a peu par ici, mais je pourrais aussi aborder le Xin métamorphique ou anticiper sans danger un excellent projet post-Stray Dogs entre Koenraad Ecker et Frederik Meulyzer à venir très bientôt. Celle qui nous intéresse aujourd’hui est un objet sonique non-identifié créé par PYUR, l’alias de Sophie Schnell. Déjà passée par le Berlin Atonal en 2017, nul doute qu’une rencontre avec FIS, dont l’explosif From Patterns to Details reste toujours pertinent, a eu lieu et aura influencé au moins un peu la direction générale prise dans Oratorio for the Underworld, au sound design luxuriant évoquant sans l’émuler ce qu’Oliver Peryman a l’habitude de produire. Mais là où ce dernier semblait être un spectateur souhaitant simplement enregistrer des conversations entre des divinités vivant dans leurs environnements respectifs en surface et dans les étoiles, PYUR se tourne vers une civilisation souterraine insoupçonnée pour en être la messagère exclusive.

Oratorio for the Underworld se dévoile comme une interprétation sonique d’habitants peuplant la théorie de la Terre Creuse, qui imaginent dans leurs rêves la surface de la planète inaccessible depuis des générations, d’après les histoires d’anciens explorateurs déformées par des siècles de transmission orale. Elles parlent d’une lumière incandescente et aveuglante qui brille la journée puis s’éteint de façon cyclique pour réémerger de l’autre côté d’une ligne entre terre et vide, de lucioles immobiles constellant une voûte obscure qui surplombe ce monde inconnu, de plantes aux tailles, couleurs et variétés inimaginables dans l’obscurité de la croûte terrestre, d’une hiérarchie de créatures improbables dont l’équilibre précaire de l’harmonie est compensé par sa beauté exotique. D’un peuple aussi, qui tente de dominer le reste, et croit même y arriver. PYUR transmet cette vision romantisée de notre monde en nuances intenses et vivaces qu’on ne connaît pas à l’air libre ; pas un reflet de la réalité, mais juste une hypothèse débridée de ce qui peut y exister. Un rêve lucide alimenté par les récits millénaires des derniers éclaireurs à être revenus de là-haut avant que les passages entre le monde au-dessus et Agartha soient définitivement scellés suite à des mouvements tectoniques stochastiques. La manifestation intense aussi de l’envie, voire de la jalousie, que ces êtres ont envers leurs aïeux, ultimes chanceux à avoir eu l’occasion de traverser les routes originelles qui perçaient la surface, et de ramener connaissances et trésors d’un macrocosme qu’ils savent réel, mais ne peuvent désormais que fantasmer.

Et l’écho de ces fantasmes se convertit en saillies texturales pulsatiles quasi-animales, en mélodies aux inspirations proto-classiques habitées par un imaginaire débordant, en rythmes tribaux aux relents chamaniques qui incitent à une transe cathartique pour mieux explorer ses propres ombres. Les apparitions diaphanes de voix évasives s’étirent en filaments lumineux qui tissent des liens entre PYUR et ce peuple supposé, serrant les auditeurs dans des compositions à caractère organique hautement contrastées. L’ensemble est peut-être également une traduction de la solitude prolongée durant laquelle Sophie Schnell a majoritairement composé l’album, pour se permettre d’écouter les silences les plus bruyants qui résonnent imperceptiblement et en permanence au fond de l’âme, et les utiliser comme moteur créatif pour envoyer au monde une invitation psychoactive à voyager vers l’inconnu, entre expérience de pensée et saut de la foi. Plonger dans les profondeurs imaginaires d’Agartha, ce serait alors de donner à l’esprit la possibilité de partir là où les environnements rassurants nous retiennent habituellement, de creuser le psyché à la recherche incertaine de réponses, et de découvrir ultimement dans cette solitude réparatrice une méthode d’expression et d’extériorisation universelle.

Se tourner vers les abysses pour apprécier à sa juste valeur les cieux, focaliser sa fibre créative noctambule pour qu’elle explose à la lumière diurne, et enfin se renfermer momentanément sur soi pour mieux s’accepter et s’épanouir à la vue de tous, c’est possiblement ce qu’Oratorio for the Underworld veut transmettre. Ou pas, car après tout, le disque ne fait qu’offrir à son public un catalyseur pour tenter d’évoluer dans ses propres méandres, et il ne tient qu’à vous de choisir ce que vous voudrez bien partager avec lui.

Et si ce voyage onirique vous plaît, sachez que vous pourrez le prolonger de 27 minutes si vous prenez l’album sur le Bandcamp de Subtext, qui propose exclusivement sept morceaux supplémentaires et une des plus jolies pochettes de cette année, en plus du CD.

Dotflac

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