Valerio Tricoli – Say Goodbye to the Wind | Montée des cendres

Say Goodbye To The WindÇa faisait un moment que j’avais en tête cette chronique, mais j’avoue avoir été un peu intimidé à l’idée de devoir présenter Valerio Tricoli et Shelter Press. Juste pour recontextualiser, l’italien manie le Revox comme personne ne le pourrait autrement, créant des univers distordus en réflexion du soi et de toutes ses incarnations plus ou moins malades. Puis je me suis souvenu que j’avais parlé de Clonic Earth il y a quelques années, me permettant déjà d’éviter de me répéter malencontreusement ; le reste, on en recause après. À côté de ça, Shelter Press est pour moi un des secrets les mieux gardés de la musique électronique en France, avec une vision de l’art électroacoustique presque toujours en avance sur son temps. Et quand le label regarde en arrière, c’est uniquement pour remettre à flot des compositions introuvables du GRM ; pas vraiment de la complaisance donc, mais plutôt un hommage à ces précurseurs qui étaient trop loin dans le turfu et continuent d’influer des gens encore aujourd’hui, comme Tricoli qui publie son premier travail chez Shelter Press. La boucle est bouclée, sans jeu de mots.

Say Goodbye to the Wind est pour moi la suite parfaite de Clonic Earth dans ce qu’il présente. On vient en effet du Feu, de sa dualité entre source de lumière et fin destructrice, de ses crachats incandescents auxquels on ne sait pas s’il vaut mieux attribuer un pouvoir créateur ou oblitérant. Ces ambivalences se retrouvent aujourd’hui carbonisées en cendres s’élevant à basse altitude, balayées par le vent, autre élément lui aussi aux multiples personnalités. Les nombreux mouvements des trois compositions kilométriques sont intimement liés aux flux non-laminaires qui sont autant une impulsion éternelle de changement qu’un moyen de disperser les scories vaporisées de Tricoli. On y perçoit une organicité omniprésente grâce au jeu tentaculaire de l’artiste sur ses bandes magnétiques et des enregistrements somatiques qui semblent prendre notre température directement au plus profond de la psyché. Mais l’autre côté du miroir, c’est un sentiment dérangeant, modulaire et quasiment inhumain. Toujours fidèle à un certain point de vue occulte sur la vie, il y a la sensation durable d’observer un être pas tout à fait vivant tenter de renaître de ses propres restes, tel un phénix virtuellement immortel.

Mais la différence est que l’organogenèse de cet être est imparfaite. Une erreur tératogène dans un cycle infini de trépas et de renaissance. Un mutant alimenté aux discours cryptiques murmurés pendant sa gestation, de variétés dystopiques, absurdes ou carrément hérétiques. On perçoit les grouillements de cette chose qui ne devrait pas exister, élevée aux dissonances permanentes et amplitudes nauséeuses. Les gazouillements émulés traversent les bruits blancs en se brûlant la rétine, les adultes l’ayant enfanté semblent bloqués dans une répétition absconse de souvenirs oubliés qui majorent la folie ambiante. Les pulsations sous un épiderme de charbon se réverbèrent dans des silences assourdissants, les textures et la spatialisation nous projettent dans une quatrième dimension toujours intégrale aux travaux du musicien : le temps. Ralenti, accéléré, distordu, surchargé ou soulagé de tout superflu, rien n’est laissé au hasard dans des compositions délicatement asphyxiantes et malaisantes où le glissement de chaque seconde est esclave du doigté s’occupant des bandes magnétiques. Une mise au monde avortée donc, où le spectre de l’hésitation se manifeste face à cette chimère : doit-on laisser cet embryon de nouvelle vie, issu de milliers d’autres avant elle, subsister et expérimenter à son tour l’existence, ou bien doit-on le brûler pour tenter de lui laisser une nouvelle meilleure chance ? La possibilité de le laisser en étudier les aspects les plus obscurs, ou appliquer une forme d’eugénisme en anéantissant soi-même cette itération aberrante ?

Comme l’expérience des hémisphères de Magdebourg, finalement, qu’est-ce qui est le plus fort ? La pression de l’air extérieur ou le vide maintenu à l’intérieur ? Même en connaissant la réponse, le doute s’insinue dans les entrailles, faisant réfléchir sur la fausse nature de ce que l’on pense être et la force de ce qui n’est pas. Car ce qui sépare ces deux états si antagonistes, la présence et l’absence, la vie et la mort, ce n’est qu’un fin joint de graisse faisant le pont fragile entre ces réalités. Deux univers dont la frontière n’est finalement pas beaucoup plus que rien. Et c’est ce que Say Goodbye to the Wind nous raconte, que tout ce que l’on pense détenir n’est jamais vraiment loin de disparaître en un coup malencontreux de vent, signifiant aussi que tout ce qui va arriver n’est que porteur de changement. La boucle est bouclée.

Du CD et du digital HD, masterisé comme toujours par Rashad Becker, ça passe juste ici.

Dotflac

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