Roly Porter a fait un sacré pari. Là où son premier album Aftertime avait choisi l’inconfort intime, le repli sur soi pour mieux explorer les contradictions internes et râcler le moindre recoin de nos cerveaux en une introspection douloureuse, Life cycle of a massive star annonce un changement d’échelle, une expansion drastique, qui peut, de prime abord, paraître un peu pompeux. Le titre, la pochette de l’album… on se demande si Roly Porter ne serait pas tombé dans la facilité de la grandiloquence.
Bon, on lance quand même le truc, et puis finalement tout doute est dissipé dès la première minute de Cloud. Pas besoin de 25 écoutes, pas besoin d’attendre le développement de l’album, pas besoin d’attendre qu’il se mette en place, pas besoin de préparer l’auditeur, pas besoin de l’attirer vers un état propice à lui faire passer le message. Non, Roly Porter nous met directement dans le bain, et c’est dès la première écoute des toutes premières minutes du tout premier morceau que l’on ressent, dans sa chair, que Life cycle of a massive star est un grand, un très grand album.
Je vais essayer d’être à peu près scientifiquement exact.
A T+2 minutes, j’ai une boule dans la poitrine qui se forme et qui refuse de partir. Une humeur, une gêne qui ne fait que grossir au fur et à mesure que les couches s’accumulent et que les beats violent mes sensibilités avec la froideur d’un producteur de digital hardcore russe (mais avec beaucoup plus de finesse, évidemment).
A T+4, l’aliénation me donne envie de hurler à la face du monde toute la haine qu’on puisse exprimer.
A T+6, les dommages sont tels que j’ai envie de fracasser tous mes biens et d’y foutre le feu, comme parasité par je ne sais quel organisme qui aurait pris contrôle de mon cerveau.
A T+7, Roly me libère du rythme infernal pour laisser mon esprit enfin divaguer sur les vagues des vents stellaires qui s’échappent de sa « massive star ». Et franchement, c’est tranquille, comparé à ce qu’on vient de se manger.
A T+8, une autre forme d’inconfort, moins violent, s’est emparé de mon corps, et je me rappelle que ce morceau monstrueusement suggestif n’est que le premier de l’album, et que je vais en chier au moins autant que je vais y prendre du plaisir, c’est-à-dire globalement beaucoup.
Petit, tes mots seront vains
Impossible de ne pas faire une review « morceau par morceau ». J’aurais aimé un propos général, des mots assez puissants pour englober la totalité de l’album, mais face à ces cinq morceaux élégamment indépendants les uns des autres, et aussi emprunts, chacun, de leur identité propre, le chroniqueur amateur se sent minuscule. Impossible d’englober quelque chose d’aussi massif avec quelques mots de vocabulaire, et chaque morceau pourrait faire l’objet d’un article à lui tout seul.
Et c’est bien là la puissance magistrale de Roly Porter : lorsque celui-ci suggère Gravity (aucun lien, Sandra Bullock est fille unique), on ne peut que se sentir minuscule, écrasé par la pesanteur de l’atmosphère qui impose son diktat au morceau. Et puis c’est qu’il n’y va pas à demi-mot du dos de la cuillère, le sagouin. Les corps et les esprits sont broyés par les forces de marées gargantuesques suggérées par ce morceau pourtant dépourvu de percus. Pendant huit minutes, les allées et venues des cordes, des basses, des bruissements et autres raclements métalliques achèvent nos oreilles déjà mises à l’épreuve par Cloud, en les malaxant comme une étoile malaxe sans pitié les planètes imprudentes qui s’approchent de trop près. Une pesanteur implacable est à l’œuvre dans nos crânes, une pesanteur qui laisse entrevoir les mécanismes physiques grandioses qui régissent cet univers. Et Roly, ce salaud, l’écrit à merveille. Mais il ne s’agit pas que d’implacable et de soumission du corps et de l’esprit aux forces magistrales que dessinent l’artiste, les deux dernières minutes du morceau laissent penser que toutes ces forces, toute cette mécanique qui nous dépasse peut aussi être créatrice. Elle créée le mouvement, la danse céleste des étoiles les unes autour des autres et tout ceci dans un ballet général où la rotation, le cycle, est omniprésent. Le « cycle d’une étoile massive », c’est d’abord le mouvement.
Le cycle, c’est aussi celui de la vie et de la mort, et ces deux-là sont rarement aussi intriqués qu’à ces échelles cosmiques, quand tout est une histoire d’équilibres et de perturbations. Birth commence à juste titre par un cataclysme, par la mort, celle d’une étoile en fin de vie qui va bousculer son univers environnant par une explosion, dernier baroud d’honneur qui signe sa fin, explosion de grandiloquence hautement théâtrale. C’est par, et à cause de cette bousculade qu’un équilibre est rompu, et que les particules commencent à nouveau à tournoyer, à s’entrechoquer, à s’associer, et qu’une nouvelle étoile émerge, petit à petit. Vie et mort ne sont jamais autant liées qu’au-dessus de nos têtes, et encore une fois, Roly Porter dessine cette succession céleste en un ballet sublime, fait de cordes, de rythmes croissants et prenant l’ampleur nécessaire à la suggestion de la naissance de quelque chose d’aussi monstrueux. Ce morceau magnifique pourrait accompagner des images de la Nasa dans un film de Terrence Malick, si l’un comme l’autre étaient à la hauteur du son de Roly. Mais ce morceau est totalement auto-suffisant, il se passe d’images car il en créée.
Sequence est aussi plein que le vide. C’est-à-dire constellé de particules qui se font et se défont instantanément, à l’abri du regard humain. Le bourdonnement du vide, le bruit de fond imperceptible à nos êtres de chair tant qu’ils ne sont pas bardés d’instruments de mesure complexes. Sequence met en scène ce bourdonnement tantôt rassurant, tantôt inquiétant, cet espèce de toile de fond dans laquelle nous aimerions tant nous lover, pour nous arracher à la pesanteur qui nous cloue au sol.
Maîtriser la physique, jongler avec les étoiles
Giant est l’acte qui vient clore le space-opera. et celui qui opère la synthèse parfaite entre la cinématique enclenchée depuis le départ et les sonorités plus « Roly-Porterienne » qu’on appréciait sur Aftertime. Ce que l’on craignait, et pourtant que l’on attendait aussi le plus sur l’album précédent (cf. Corrin), ces gerbes inattendues et destructurées, venant collisionner nos tympans en ordre dispersé et sans cohérence, alternant les silences et les nappes, sont ici autant de façons de figurer le caractère imprévisible et violent d’une étoile massive dont on s’approche d’un peu trop près. Jusqu’ici l’être était relativement calme, il va maintenant s’enfoncer dans une colère, dans une tempête d’ondes qui nous emportera, nous balaiera, nous perdra corps et biens. C’est enfin cela, le cycle de l’étoile massive : l’alternance des colères, des éruptions et des moments de calme entre les tempêtes.
Que dire de plus ? Roly Porter se frotte à des concepts et des thématiques hautement casse-gueule, mais sans jamais tomber dans la surenchère (contrairement à ce pauvre article). Il côtoie les hautes sphères et les étoiles sans se vautrer comme Icare. Il arrive à peindre son tableau et à proposer sa vision de l’univers (rien que ça) sans se prendre pour Dieu. Avec Life cycle of a massive star, le musicien est plus cinématographique que beaucoup de cinéastes ne l’ont été en essayant de rendre compte du gigantisme et de la majesté de l’espace. Bien que nettement plus accessible et populiste qu’Aftertime, il garde son identité propre, et le lien avec l’album précédent est maintenu. Roly Porter sait être exactement équilibré dans les durées, en prenant le temps de développer son propos tout en s’arrêtant précisément avant que ne s’évanouisse l’humilité nécessaire. Pour toutes ces raisons, cet album est proche, très proche, de la perfection.
Si tant est qu’on y soit sensible, Life cycle of a massive star propose une magnifique vision de l’espace, où l’inconfort, la peur et la soumission (inhérents à notre condition d’humain minuscule face au vide et aux créatures monumentales qui le peuplent) côtoient la beauté des danses spatiales et l’agréable du remous des marées stellaires. La peur, l’horreur, la mort, ne sont jamais autant liés au confort, à la beauté, à la vie, que dans l’espace. Le disque saisit et joue sur ce lien à merveille. Roly Porter a parfaitement compris la raison du vertige, de notre fascination historique pour cet « endroit » qui est en même temps la limite de nos corps et de notre physique, nos convoitises, notre peur profonde. Et, enfin, une source inépuisable de créations artistiques.
Ehoarn
Life cycle of a massive star, de Roly Porter, est disponible sur son label Subtext (en compagnie d’autres tueries comme son premier album Aftertime, ou encore les joyeusetés d’Emptyset) (allez-y) (vraiment)
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