Entre deux orgies caloriques en bonne et due forme, le ouèbe fleurit de nombreux « tops » et « bests », c’est la saison du gavage des intestins et des oreilles. Sous prétexte qu’il fait froid, on se gave de patates pour soit-disant réchauffer les coeurs et les esprits. Mon cul. Chez Tartine, plutôt que de vous faire un top sur vingt pauvres articles, qui serait de toutes façons bien loin d’être représentatif d’une certaine exhaustivité ou même d’une éventuelle ligne éditoriale, on a décidé de vous parler de la musique dont on ne vous a pas parlé cette année. Celle sur laquelle on aurait bien aimé s’épancher comme un vieux clacos, mais bon, étant donné notre productivité proche de celle d’un mi-temps syndiqué de la CAF…
Bon, on va pas y inclure les trucs qu’on vient de découvrir dans les tops des concurrents-collègues, ce serait vraiment malhonnête, même si on en a quand même très envie. Mais vous y trouverez quand même quelques petites choses, des petits trucs glanés en grattant l’infini du net aux « grosses » productions que nous n’avons pas eu le courage d’affronter. Ne vous inquiétez pas, chers lecteurs, nous n’allons pas perturber vos vacances au ski avec de grandes phrases solennelles sur la clôture de cette année faste et musicalement riche et blah blah bleuuuarrg. Cet hiver aura au moins eu le mérite de nous faire nous rendre compte que merde, c’est quand même dommage, on avait dit qu’on parlerait de tous ces trucs et on l’a pas fait. Alors voilà. Bonne fondue les enfants.
Et on commence avec ce petit gars sorti d’on ne sait plus vraiment où. Probablement d’une de ces soirées comme tant d’autres, pendant laquelle notre préféré hipster japanophile (ou nippophage, c’est selon) nous a encore une fois sorti un de ses désormais fameux « mec, écoute ça mec, c’est le nouveau Aphex Twin, ok, ok ? ». Bon. Vous comprendrez aisément qu’après de telles affirmations, il est plus que souhaitable de conserver l’anonymat de notre ami bien au chaud sous nos aisselles. N’empêche, Max, je sais pas si H4N est le nouveau Aphex Twin, mais en tous cas, je comprends totalement, maintenant, quand tu disais « basse de bad-ass ». Profitez-en, c’est téléchargeable gratuitement sur son Soundcloud… jusqu’à ce qu’un label signe ce petit génie, et sincèrement, ce serait mérité.
Harnes Kretzer (Fluttery Records)
Sans transition, Harnes Kretzer fut une belle surprise, cette année, dans la catégorie piano poids plume. Foin d’orchestration grandiloquente, pas de gros rythmes, pas de sonorités acerbes. Chez Harnes, tout est une question de nostalgie et de calme. Piano, ambient et field recording sont ses outils pour explorer les infinies facettes de la tristesse. Et ça tombe bien, il vient de sortir un nouvel album.
Boards of Canada – Tomorrow’s Harvest (Warp Records)
Tout le monde en a parlé… sauf nous. Huit longues et désertiques années d’absence depuis The Campfire Headphase, huit ans sans nouveautés de la part de Boards of Canada, et malgré cela un retour à la fois fidèle et étonnant. Baignant dans un univers de portes avions, de tempêtes de sable et de fractales, Tomorrow’s Harvest faisait partie des bonnes nouvelles de cette année. On a cherché à faire original pour le choix de l’unique extrait qui sera donc publié sous notre bannière, mais finalement ce bon vieux Reach for the Dead est tellement croustillant qu’on aura pas réussi à s’en empêcher.
B/B/S/ – Brick Mask (Miasmah Records)
C’est un peu l’arlésienne. La chronique qui ne viendra jamais. Oui, c’est sûr maintenant, car j’ai beau l’écouter, j’en reste bouche bée à chaque fois. Andrea Belfi, Aidan Baker et Erik Skodvin associent leurs talents pour nous sortir 4 morceaux qui tournent en boucle depuis des mois dans toute la rédaction de Tartine. ‘fin dans mon salon quoi. Bref. Quoi dire ? B/B/S/, c’est des hauts-le-cœur, des frissons, des envies de taper contre les murs, c’est l’éveil du corps et des sens grâce à une batterie et deux guitares. C’est comme Actimel, mais en mieux. C’est beau et puissant comme du Godspeed You! Black Emperor, sans avoir à s’énerver et à électriser le bouzin. Et à trois, pas à douze. B/B/S/, c’est la force tranquille, le soft power, le charisme de papa, l’aura de Morgan Freeman, la sagesse de Mitterrand et la coolitude de Chirac qui fraude le tromé. Quand le doigt divin de B/B/S/ pointe sur tes oreilles, petit être, tu t’assois, tu écoutes, et tu jouis. C’est tout.
Stavros Gasparatos – Seven (Ad Noiseam)
Stavros Gasparatos est, s’il en était besoin, une énième preuve de la présence incontournable de la scène grecque dans le paysage des musiques électros (-acoustiques). Stavros a su, sans un faux pas, sans fausse modestie ni égocentrisme débordant, s’approprier un mythe classique voire complètement suranné, en le réinventant totalement. Seul le temps nous dira si sa version des sept péchés capitaux fera office de pierre angulaire, mais on peut d’ores-et-déjà saluer l’audace des assemblages et la finesse du résultats. Les outils sont variés et parfaitement dosés, les cordes et les glitchs servent le propos et se sauvent mutuellement de l’enfermement.
Dan Friel – Total Folklore (Thrill Jockey)
Il ne fait pas l’unanimité au sein de la rédaction de Tartine de Contrebasse, mais l’usage (et l’abus) du droit de véto permet malgré tout de vous en parler. Loin d’avoir exploré en détails son album Total Folklore, cet extrait Thumper aura malgré tout suffit à marquer les esprits. Purement mélodique pour certains, absolument inaudible pour les autres, autant vous dire que ce n’est pas avec la sono 2x5W de votre eeePC que vous profiterez le mieux de ce que Dan a à vous offrir.
DJ Hidden – Enclosed (Ad Noiseam)
On ne présente plus DJ Hidden. L’homme qui évolue de Semiomime à The Outside Agency avec son collègue Eye-D jouit d’une solide réputation, amplement méritée, tant par la qualité de son travail que par sa variance. Un album de DJ Hidden est toujours très attendu, et il est suffisamment rare d’être aussi bon tout en étant aussi peu surprenant pour que nous nous extasions devant l’objet. Enclosed est un album massif, léché, maîtrisé de bout en bout, et qui ne laisse aucune place au hasard. La musique de Noel Wessels transpire propre et clair, mais tatane quand même sévèrement. Si Enclosed n’est pas un monument, c’est son auteur qui l’est, et chaque album, peu importe le nom sous lequel il est produit, participe à assoir l’autorité et le sérieux de DJ Hidden dans son domaine. Alors, évidemment, c’est replacé dans son contexte qu’Enclosed prend toute sa saveur et sa cohérence, c’est à dire après avoir écouté Semiomime et avant d’écouter The Outside Agency.
Ruby My Dear – Form (Ad Noiseam)
C’est un peu une mascotte, un chouchou, un leitmotiv sans fin sur Tartine de Contrebasse. Et pourtant, un élan de pudeur (ou de flemme ?) nous a vraisemblablement empêché de vous parler du dernier Ruby My Dear d’avantage que dans le cadre d’un vulgaire son du jour. Ou peut-être ne trouvions-nous plus de mots inédits pour vous dire que Form est tout ce qu’on peut attendre de Ruby ? Un breakcore pur, sautillant comme un mioche indomptable, irrévérencieux et acerbe, explorant le spectre des possibles entre trip-hop et hardcore, le tout agrémenté d’une bonne tranche de dadaïsme, un album de Ruby, c’est un voyage dont on ne revient jamais indemne. Mais que voulez-vous. On finit toujours par en redemander. « T’as envie d’la confiture ? Bah prends toi d’la confiture ».
Karsten Pflum – Sleepwald (Hymen)
Karsten Pflum est un être étrange. Relativement peu connu mais pourtant prolifique, collaborant avec un spectre d’artistes étonnant et sortant des albums éclectiques depuis 10 ans. Le dernier en date, Sleepwald, m’avait bien titillé sans pour autant réussir à caser des mots dessus. Une musique minimaliste dans sa progression mais foisonnante dans ses suggestions et ses composantes, une musique à cheval entre inconforts, atmosphères apaisantes, tensions énervantes, on ne sait plus vraiment si Sleepwald est une invitation au sommeil ou un mauvais rêve dont on se réveille avec une gêne qui s’accroche. Cet album est de toutes façons un objet étrange, qui mérite d’être écouté en entier, un album en même temps éreintant et relaxant, explorant toutes les facettes et toutes les étapes du sommeil, y compris ce qu’il a de plus noir.
C’est avec délectation que nous avions découvert Nebulo en début d’année. Avec Castles, on retrouve la structure qui a fait l’intérêt de Cardiac, ces petites histoires jetées comme autant de constructions éphémères. La recette est la même, le plaisir est là, mais la surprise l’est moins. On ne peut pas se renouveler tous les 6 mois, alors ne boudons pas notre plaisir, dans ce château se cache des trésors d’ingéniosité et de légèreté. Il faut simplement prendre le temps d’explorer toutes les pièces et tous les étages.
Oiseaux-Tempête – Oiseaux-Tempête (Sub Rosa)
Trois musiciens et un photographe pour un projet à 75% hexagonal dont les racines poussent dans l’insurrection socio-économique grecque. Un rock orchestral et magistral comme on en trouve que trop peu en France. Des artistes hors pair venus d’horizons divers se réunissent autours d’un projet ambitieux, un nom de code qui fait mouche et une musique qui n’en finit pas de tourner en boucle sur nos platines. Chapeaux les mecs.
John Lemke – People Do (Denovali)
Comme d’habitude, on arrive jamais à suivre le rythme effréné des sorties de Denovali, alors on est obligé de trier sévère, même si on aimerait prendre le temps d’écouter 148 fois chacune de leurs sorties. Certaines sortent du lot, quand même, et on est un peu mal de pas vous avoir parlé une seule fois de John Lemke. People Do n’est pas un album difficile, ce n’est pas un album qui a besoin d’y revenir encore et encore en se faisant violence pour y gratter quelques secondes de bonheur. People Do est un album immédiatement agréable, et qui n’a pourtant pas vendu sa qualité pour ce faire. Avec une recette électro-acoustique relativement simple, John Lemke arrive tout de même parfaitement à nous raconter ses petites histoires, simplement, sans prétention, sans surenchère.
Saffronkeira – Tourette / Saffronkeira + Mario Massa – Cause and Effect (Denovali)
Deux albums en un peu moins d’un an, Saffronkeira nous a donné de la matière à penser. Avec Tourette, il explorait les méandres de l’esprit malade, rendait superbement ses contradictions et ses peines. L’italien avait parfaitement transcrit les sautes d’humeurs, l’imprévisibilité des tensions face au calme. Tourette est un voyage, un de ces albums qui savent s’approprier leur sujet, pas seulement pour le représenter, mais aussi pour le sublimer. Sur Cause and Effect, on retrouve la recette qui a fait la cohérence de Tourette, enrichie des rondeurs de la trompette de Mario Massa. Elle apporte un niveau de cohérence supplémentaire, un liant qui enrobe la fougue de Saffronkeira et la canalise pour un album dont on ne sait plus vraiment si la lenteur est le chantre de la légèreté ou de la lourdeur. L’ambivalence fonctionne, et le message passe sur nos esprits en les bousculant juste ce qu’il faut. Si ma préférence va indéniablement à Tourette (une histoire personnelle avec la trompette), Mario Massa apporte néanmoins une nouvelle facette aux sons torturés de l’artiste.
Daft Punk – Random Access Memories

Squanto – Every Night Draws the Same Crowd (Fluid Audio)
Je préfère vous prévenir tout de suite : éloignez tout objet contondant, bouteilles d’alcool fort et boites de médocs, et fermez les fenêtres avant d’écouter Squanto. Non, plus sérieusement, c’est vrai que ce n’est pas forcément notre tasse de thé, chez Tartine, mais avec cet album nous voulions quand même souligner le travail du label Fluid Audio, que ce soit le choix des artistes qu’ils produisent (Talvihorros, Field Rotation, Bluhm, Matthew Shaw, etc.) mais aussi en particulier leur attachement à sortir de magnifiques objets. De quoi sérieusement reconsidérer la musique en tant qu’objet. Et puis, bon, avouons-le, Squanto c’est parfait pour un week-end pourri seul à l’appart’ à écrire des articles pour un blog qui n’est pas lu.
Igorrr + Bong-Ra – Pallbearer / Tombs (PRSPCT)
Comme cette fin d’article sent un peu la grosse déprime, on a décidé de caser une p’tite touche vitaminée entre les voix suicidaire de Squanto et les cordes sous Lexomil de William Ryan Fritch. Parce que bon, dans le registre mort / tombe / nécrose, ce 2 titres met les points sur les i à coup de double pédale. Et puis merde, quoi, Bong-Ra et Igorrr qui associent leurs talents de bulldozers, même dans les rêves de partouzes torturées les plus dégueulasses de Tartine, on aurait jamais osé fantasmer ça. Ben voilà. C’est fait. Deux artistes accomplis, ambivalents, deux maitres de l’exploration minutieuse de l’intégralité du spectre de la violence sonore, l’ogre néerlandais et l’éleveur de poulets psychopathe(s) qui copulent salement, ça donne ça :
William Ryan Fritch – The Waiting Room (Lost Tribe Sound)
Après son magnifique Thunder may have ruined the moment, avec Pete Monroe, William Ryan Fritch signe cette année la B.O. d’un petit documentaire dont nous ne verrons probablement jamais la couleur. Fidèle à lui-même, nous livrant un son rond, lancinant et hésitant, de cet album suinte une chaleur humaine rare, une douceur toujours à la limite de la nostalgie, de la tristesse, et de l’optimisme. Loin d’être niais (contrairement à ce pauvre paragraphe), William Ryan Fritch sait nous saisir avec une justesse impressionnante, de toutes ses cordes, frappées ou frottées, dans un style unique et indescriptible.
Laurel Halo – Chance of Rain (Hyperdub)
Avec un style musical pourtant peu représenté sur notre triste page, Laurel Halo n’avait pas toutes ses chances de prime abord. Mais cette demoiselle a du cran, et à y écouter de plus près elle mérite que l’on s’y penche malgré tout, ne serait-ce que brièvement. Pas assez dansant pour les clubbers, trop rythmé pour les amateurs d’expé-dark-ambient-suicide-post-drone, l’américaine aura fait un choix consensuel, et pourtant souvent peu diplomatique. Une atmosphère déroutante, et une musique qui fait du bien.
Palsembleu (Boya Entertainment)
Lui, c’est le canard boiteux du groupe. C’est l’album qui sent la pourriture, la nécrose, celui qui suinte le mal-être et tremble dans les coins. Palsembleu, c’est une espèce de choléra qui ne dit pas son nom, une ode ignoble à la malformation, pas que ça fasse flipper, plutôt un truc écrasant par sa puissance, pourtant dépourvue des artifices habituels des artistes qui se réclament d’une certaine violence. Rien à voir donc avec les pitreries amusantes des Bong-Ra, Igorrr et compagnie, rien à voir avec une violence de spectacle. Non, ici, la noirceur est d’autant plus prenante, d’autant plus dérangeante qu’elle est calme et posée. Palsembleu n’a pas vocation à être universel, mais attirera à lui tous les vrillés qui reviendront fascinés du cauchemar qu’est ce « Malfé », et avec l’envie immédiate de s’y replonger.
Paul Jebanasam – Rites (Subtext)
Vous avez aimé Palsembleu ? On pourrait utiliser le même champ lexical pour Paul Jebanasam. Son Rites, c’est la puissance de Tzolk’in et la froideur de Roly Porter. Je ne sais pas de quel culte il s’agit, mais les rituels de Paulo, y sont pas nets.
The [Law-Rah] Collective – Field of view (Ant-Zen)
Finissons en beauté cet exercice de dédouanage éhonté en parlant d’un album sorti en 2012. The [law-rah] collective, est un OVNI, un projet musical mais pas que, faisant des albums mais pas que, depuis un paquet d’année si l’on en croit leur CV impressionnant. Les néerlandais sortent sur Ant-Zen un objet à la limite de la musicalité, une expérience difficile et troublante, portée entièrement par deux voix et des drones lourds. Le but affiché est évidemment de nous déranger, de jouer avec nos sens et de nous questionner sur la définition même de la musique. J’admets qu’il y a de quoi avoir peur, mais n’ayez crainte, car entre la déclamation et le chant, entre le bruit et la musique, se logent parfois des sons insoupçonnés qui provoquent, donc, des réactions complètement inédites. Pour la peine j’vous colle les vingt minutes du premier morceau. Bim.
Bon, allez, bonne année.
Ehoarn & Adrien
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