Monolog – 2 dots left : virtuose des crudités

adn172Ça y est, Monolog est entré dans « la cour des grands », et c’est toujours intéressant de voir l’évolution de l’œuvre d’un artiste avant / après son passage par la machine de guerre qu’est Ad Noiseam. Oui parce que bon, faut pas se leurrer, Ad Noiseam, c’est quand même de la grosse bertha. Faut pas essayer de nous niaiser avec ces espèces de sorties bizarres, là, qui rentrent pas dans la case « breakcore » ou « bass music » ou « drum’n’bass », genre Stavros Gasparatos ou Semiomime. Ça marche pas avec nous. On sait bien qu’Ad Noiseam est quand même l’environnement propice à l’éclosion des artistes plus bourrins et plus sombres, ne serait-ce que parce que le mastering d’Angelos Liaros sied particulièrement bien à ces genres, ensuite parce que les contacts, ma bonne dame, le carnet d’adresses qui fait qu’on se retrouve avec des collaborations assez alléchantes comme celles que l’on retrouve sur l’album de Fausten, ou, en ce qui concerne cet article, sur le dernier Monolog, 2 dots left.

Bon, non, mais blague à part, et en une seule phrase, on ne cessera de s’extasier devant l’amplitude sonore des sorties estampillées Ad Noiseam, et sincèrement, ya qu’à voir les 4 dernières pour se convaincre de la diversité du catalogue : sortir en deux mois Stavros Gasparatos, puis Monolog, puis Ruby my Dear, puis DJ Hidden, c’est, en soi, un bon gros fuck envoyé à tous les maniaques du collage d’étiquettes. Voilà, c’est dit, donc maintenant on va pouvoir parler musique, un peu.

Rions un peu

Alors, globalement, l’album est structuré de façon assez simple : les trucs un peu plus calmes et lents au début, et puis les trucs un peu plus… pêchus, par la suite. Voilà. C’est pas compliqué.

Bon, vous allez rire, mais… vous voulez rire ? Je sens que vous voulez rire. Allez, je vais vous faire rire. Hé bien moi, je trouve que la musique de Monolog, c’est comme la mélodie hongroise de Schubert. Ça vous fait rire, hein ? Ben n’empêche, c’est peut-être abusé de comparer Monolog à Schubert (pauvre garçon, je suis sûr que ça ne lui est jamais arrivé de toute sa vie), mais je trouve qu’il y a dans ce morceau de Schubert un rythme particulier, une façon de taper sur ce piano qui est presque enfantine. C’est alternant de rapidité et de lenteur, certaines notes sont accentuées et d’autres sont effacées sans qu’on y voit un sens, des silences se glissent là où on ne les attend pas, et tout ça donne l’impression que c’est un gamin qui joue et qui fait ses gammes. On a l’impression d’une mélodie presque enfantine, pas bien calée, un peu aléatoire. Et bien les rythmes de Monolog, ils me font penser à ça. Pas quand il se promène le long des rythmes lents bien caractéristiques d’une bass music lancinante, presque berçante (Mutestates, The Siva, Thecho) (attention, j’ai pas dit confortable), mais quand il s’énerve un peu et adopte des rythmes plus soutenus, plus proches effectivement des rythmes « traditionnels » de la drum’n’bass.

Exemple : lors du premier morceau de ce type sur l’album, Viable, on a accès à un florilège de phrases rythmiques dont je dirais qu’elles sont à trois niveaux de lecture. Le premier niveau de lecture, l’immédiat, étant : « c’est l’bordel ». Oui, bon, effectivement, je vous le concède, ça a l’air totalement bordélique. Je ne vais pas vous faire la honte de préciser l’évidence, chères brebis : ça n’est évidemment pas bordélique, tout ceci est structuré. Alors on fouille un peu, on réécoute le morceau 7 ou 8 fois (si si, allez allez, même vous là-bas au fond hop hop hop), et puis on commence à comprendre qu’effectivement tout ceci possède un langage, ma foi, oulah, bien complexe, mais ! ô surprise, existant. Oui oui. Ya une cohérence là-dessous. Et puis quand on commence à comprendre ça, et bien on arrive au deuxième niveau de lecture, qui est de se dire : « mais… c’est du foutage de gueule, ce rythme, en fait, j’ai jamais vu un truc aussi répétitif et simple ! ». Non, enfin, quand même, n’exagérez pas. D’abord la musique, en général, ça s’entend, ça ne se voit pas, ensuite, je suis certain que vous avez déjà entendu des trucs plus simplistes, si, si, fouillez bien dans votre discothèque du début des années 90. Voilà.

In contretemps we trust

Bon, j’en arrive à l’essence même, le cœur de mon propos, et cette fois-ci ça n’est plus du foutage de gueule : lorsque l’on commence à défricher le son de Monolog (parce que vu la profusion, c’est bien de défrichage dont il s’agit), on peut avoir l’impression troublante que le garçon nous assène des rythmes un peu… brutaux par leur simplicité. Leur crudité. (la « crudité » des rythmes… ça y est, j’suis foutu). Ça fait un peu matraquage tout ça voyez-vous. Mais, et c’est au troisième et dernier niveau de lecture que le grand talent de Monolog se dévoile, il a cette façon bien à lui de nous matraquer la gueule. Une façon presque enfantine de jouer avec les rythmes, presque naïve, de nous asséner ses rythmes et de les couper aussi sec, quand il le souhaite (One Damn Given, Reburn). Ses kicks et ses silences s’organisent totalement à contre-courant de nos schémas de lecture traditionnels. En cela il nous bouscule en se jouant de nous, comme un gamin joue avec sa palette de sons. Sauf que ce gamin est un virtuose.

Virtuose, d’autant plus que la qualité de sa musique ne se résume pas à son talent de beatmaker, mais aussi à la façon qu’il a d’ambiancer ses morceaux. Et c’est là qu’arrive la phrase la plus importante de cette tartine : ce mec inflige à ses auditeurs un traitement des basses qui est simplement le plus hallucinant que j’ai jamais entendu dans ma courte carrière d’amateur de musiques cheloues. C’est grouillant, c’est varié, c’est râpeux, c’est prenant et enveloppant comme peu de gens savent le faire. Voilà, c’est dit, et avec cet article je passe désormais pour une groupie en chaleur.

Petites cordes et grosse double pédale

On va pas s’épancher plus longtemps, parce qu’à force d’être baveux ça finir par être vraiment sale. Je vais quand même parler des collaborations, et en particulier de Aisbear (avec Tone), qui apporte la valeur ajoutée à cet album d’un ensemble déjà très cohérent et très homogène. Cet instrument à cordes dont je ne saurais vous dire le nom est cette petite touche, ce « juste ce qu’il faut » qui ajoute à l’impertinence du monsieur la preuve que des musiques axées sur les basses et les beats ne sont pas forcément incompatibles avec un certain je-ne-sais-quoi de légèreté, et qu’elles savent aussi intégrer des éléments a priori extérieurs. La p’tite cerise sur le gâteau qui prouve, s’il en était besoin, de la maîtrise du garçon. Le morceau avec Dean Rodell est intéressant aussi, car si la collaboration sacrifie un peu les faux enfantillages de Monolog au profit de la structure typique plus classique et carrée de la drum’n’bass de Rodell, il s’intègre totalement au sein de cet album, contribuant à exposer les nombreuses facettes explorées par le Danois. Et puis faut quand même avouer que c’est sacrément efficace.

Bon, j’ai quand même dit beaucoup de conneries dans cet article. J’imagine en avoir perdus beaucoup sur les chemins tortueux de mes comparaisons foireuses. Néanmoins, s’il y a des furieux pour arriver jusqu’à cette conclusion : sachez juste que 2 dots left, de Monolog, est un album qui vous secouera, qui vous retournera, et qui vous achèvera à coups d’impertinence et de violence non suggérée. Voilà. Un album qui vous gavera, qui vous filera la nausée à force de contretemps et de basses grouillantes, mais dont vous ne pourrez plus vous passer. Car vous essaierez, comme moi, à force d’écoutes répétées et effrénées, de comprendre comment ce salaud a su insuffler à une musique aussi sombre et aussi sale autant de légèreté enfantine.

Ehoarn

La rédaction de Tartine vous suggère fortement de dépenser quelques deniers pour une bonne cause en achetant 2 dots left ici

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