Marsen Jules – At GRM | Théorie des cordes

At GRMÀ peine cité en ce millésime 2014 comme participant de la sublime compilation 15 Shades of White de Dronarivm, l’allemand Marsen Jules a pourtant eu une année musicalement chargée. Débutée par les nébuleuses cordes ambient aux personnalités multiples de Beautyfear sur son label Oktaf en janvier, et suivie d’apparitions fugaces chez des gens aussi respectables que Kompakt ou Home Normal, Martin Juhls en a aussi profité pour annoncer sa collaboration au projet cinématographique démesuré AMBIANCÉ, de son pote Anders Weberg, où il s’occupera de créer la bande sonore illustrant les 720 heures de projection (rien que ça) prévues fin 2020. Mais avant d’enquiller sur le mini album qui nous intéresse, petit saut explicatif dans le temps.

2009.

Marsen Jules est présent à Paris aux Qwartz 5, sous son alter ego dub Krill.Minima, et se voit remettre le Qwartz Album pour Urlaub Auf Balkonien. Non content d’avoir obtenu un prix dans cet évènement reconnu dans le milieu de la musique indé qu’est le Qwartz, Jules profite de ce voyage pour entrer deux semaines en résidence dans les studios prestigieux du Groupe de Recherches Musicales de l’INA. Créé en 1958 par le papa de la musique concrète Pierre Schaeffer, le studio continue aujourd’hui son bonhomme de chemin dans les explorations électroacoustiques et propose également ses services aux artistes, conjointement à la recherche. Quoi de mieux pour Marsen Jules que de laisser libre cours à sa fibre créative dans le legs d’un de ses papas spirituels ?

2014.

Nous revoilà donc en novembre, après tout ce name-date-location-dropping bien prétentieux et une ellipse temporelle bien grossière. Suivant quelques diffusions live assez confidentielles du matériel ressorti de sa résidence au GRM, nous retrouvons enfin dans nos oreilles les 35 minutes de musique, suite à cinq années de gestation. Beau bébé, sobrement nommé At GRM.

Ceux qui suivent l’artiste savent qu’il aime les boucles de cordes, et surtout à quel point il aime encore plus les détourner à l’envi de leurs sonorités originelles pour créer une potentielle infinité de variations. Cet album ancré sur les rives du drone pourrait bien se situer au confluent de The Endless Change of Colour chez 12k et de Beautyfear, fusionnant les incalculables strates bourdonnantes et mouvantes du premier et joignant les répétitions violoneuses traitées du second. Le résultat apparaît en deux parties intimement liées par leurs éléments sonores, transportant instantanément notre imaginaire ailleurs. Mais pas juste « un » ailleurs, celui où vous espériez visiter Copacabana parce que vous avez vu une plage de sable blanc tapissée de peaux agréablement basanées sur la carte postale que vous a envoyée votre parrain. Non, là on parle de « l’ » ailleurs, et même « des » ailleurs ; d’autres mondes cachés entre les mondes, d’autres dimensions inaccessibles où le flot du temps s’écoule de manière variable.

Ce diptyque musical a vocation à nous emmener non pas dans une réalité différente, mais plutôt dans les espaces qui séparent ces réalités. Un voyage surréel en suspension dans des interstices spatio-temporels qui nous sont ouverts par les deux parties de cet album. Des épaisseurs de drones éthérés, aux dualités complémentaires, servent de fondations tout au long de l’écoute ; denses mais chaleureux, puissants dans le fond mais doux et moelleux dans la forme, profonds mais aux contours indiscernables, on a l’impression d’être réduits à notre forme spirituelle la plus simple et d’évoluer dans un plasma granité de particules primordiales. À l’image de la couverture de l’album, des flux de couleurs chaudes coexistent avec des courants grisés plus froids, interagissent puis se traversent dans un lieu nébuleux où les lois de la physique ne s’appliquent plus. Et puis, portés par ces colonnes ascendantes de nucléons dronesques, on observe la métamorphose de ce paysage fantaisiste où les gradients de pression et de température créent des déséquilibres. Déséquilibres que l’on ressent à travers les apparitions et disparitions en fondus de nappes de cordes, déformées à la limite de leur identification. Des souffles de (probables) violons et altos qui nous caressent les oreilles et s’évanouissent aussi vite qu’ils sont venus, car leur raison d’être n’est pas d’exister et de persister, mais simplement de rétablir une harmonie éphémère dans la dimension fantasmagorique qui nous accueille.

On a du mal à se sortir de cet album, tant les hauteurs et les variations de sons sont hypnotisantes. Tant le cours du temps est ralenti, jusqu’à douter qu’il s’écoule encore. Tant les éléments perturbateurs que représentent les cordes s’intègrent bien aux plus basses fréquences relaxantes des drones, tels le ressac apaisant des vagues sur une plage de graviers (enfin plutôt les vaguelettes sur la rive du Baggersee en ce qui me concerne). Et au-delà de la composition, il est impossible de ne pas signaler la présence de Taylor Deupree aux commandes du mastering, qui ouvre la scène sonore comme lui seul sait le faire, pour mieux retranscrire ce changement de réalité et de courbure spatio-temporelle sans fin. At GRM a comme seul défaut de ne pas durer assez longtemps, car on souhaiterait bien laisser son imaginaire errer indéfiniment dans ses intervalles complètement hallucinatoires et psychédéliques.

Un album séduisant qui ravira les amateurs donc, tandis que Marsen Jules prépare déjà la sortie de son prochain album Sinfonietta, début décembre, chez ses amis russes de Dronarivm (on ne change pas une équipe qui gagne) et a déjà annoncé Empire of Silence sur son propre label pour début 2015 (et non Glacial Movements, comme initialement prévu). Un artiste à suivre, assurément.

Vous trouverez le disque et/ou sa version digitale directement sur le Bandcamp d’Oktaf, même trois ans après.

Dotflac

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