Transient Festival – petit précis de transhumance des ondes

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Je doute fortement que parmi son maigre lectorat, la Tartine de Contrebasse héberge un fidèle suiveur qui ne lise ni Hartzine, ni Trax, ni SWQW, ni Technikart Magazine, ni dMute, ni Digitalarti, ni SeekSickSound, ni EtherREAL, ou qui n’écoute pas Amplitudes sur Radio Campus Paris. Vous l’aurez compris, la première édition du Transient Festival fait causer dans les chaumières, et ce n’est pas ce misérable blog qui va envoyer la lame de fond médiatique finale accompagnant le tsunami qui déferle depuis quelques semaines déjà sur les crêtes ondulées des ondes diverses et variées, qu’elles se baladent dans les fibres optiques ou sur les fréquences hertziennes.

Alors, plutôt que de répéter une énième fois ce que d’autres ont déjà dit bien mieux que nous, et pour faire acte de contrition par rapport à l’ignoble retard dans lequel nous nous pâmons par sale habitude, nous allons ici même nous soumettre à une contrainte littéraire qui ne sert strictement à rien à part flatter nos égos tout en nous permettant de ne pas faire comme tout le monde.

Nous sommes en 2024. Le taux de chômage atteint 35% dans notre pays sclérosé, et la mère le Penovistein vient de faire changer la constitution pour pouvoir battre le record de longévité de Poutine, mais le désormais fameux Transient a dix ans, et se porte bien. Pour cet anniversaire hautement symbolique, l’équipe du festival a décidé de faire appel aux camarades de la première heure, aux artistes qui ont jeté, lors d’un week-end dégueulasse de Novembre 2014, dans la mare de boue parisienne aux hydrocarbures, le premier pavé du renouveau d’une culture et d’une célébration de la musique électronique exigeante dans une capitale d’Europe de l’Ouest crevant sous les assauts de techno cheap des péniches bourgeoises et cokées. En éclaboussant au passage tous ces putains de hipsters. Tous, emballés par l’idée d’une réunion symbolique des bâtisseurs du désormais mythique Transient, ont répondu à l’appel, et seront là. Qui sont-ils, déjà ? Attention, toute remise en cause de la fictionnalité de cette fiction pourra être passible de rires moqueurs de la part de la rédaction.

Vendredi 14 Novembre, 18h – 00h

TRDLX + Vein

Si désormais Boris Haladjian a quitté son sempiternel sweat trop grand pour enfin assumer sa musculature rachitique dans un costume taillé serré, et que Thibault Csukonyi cache ses rides naissantes sous une barbe fournie, leur son lui n’a pas souffert des assauts des ans, s’enrichissant même à chaque album depuis leur première sortie, en 2014, sur un label alors cryptique, VoxxoV Records. Après le succès phénoménal de leur deuxième production, le duo claque les portes du label qui les a vu naître, pour une sombre histoire de défaut de coupure sur les 3000 exemplaires du digipack. En 2016, tout nous poussait à croire que le duo était sur le point d’exploser en plein vol suite aux ennuis judiciaires répétés avec Vinnie Blandin-Canonne et Mourad Kachroud, les deux autocrates tenant d’une main de fer la maison VoxxoV. Mais c’était sans compter la pugnacité des deux sound-designers qui sortent un inespéré 3e long format chez Tympanik, en split avec Access to Arasaka.

Désormais mondialement reconnus comme la partie avant-gardiste de l’IDM et les représentants d’une branche intellecto-exigeante s’opposant à la mouvance certes numériquement majoritaire des hipsters-suiveurs nostalgiques d’un Aphex Twin désormais grabataire et à moitié sourd, surfant sur la quête stérile et impossible de la recréation de toutes pièces d’une certaine idée du début des années 90.

Depuis 2014, les deux TRDLX explorent les facettes sombres et nostalgiques d’une IDM technique mais pas autiste, nécessitant une réelle implication de l’auditeur tout en cultivant le rapport à l’accessibilité. Au fil des albums, une cohérence s’est construite, une « patte » TRDLX s’est définie. Froideur hivernale, grouillements de machines, emprunts sans vergogne au répertoire Ambient. Les ingrédients restent les mêmes, mais la recherche est constante. Nous vous proposons de relire la chronique de leur premier album, Dystopia, toujours d’actualité dix ans plus tard.

Ocoeur + Hieros Gamos

Avec une fréquence implacable, Ocoeur sort sans relâche un album par an depuis son premier opus, Light as a feather, sorti en 2013 chez n5MD. Explorateur sans relâche d’une electronica légère et joliment nostalgique, toute faite de glitchs doux et de nappes synthétiques, il incarne maintenant une référence solide dans un genre qui peine pourtant toujours à se définir. Peu importe. Ocoeur poursuit son œuvre, construisant au fil des ans et des albums l’édifice de son monde dans lequel il nous plait de venir nous perdre. Un peu de légèreté dans ce monde de brute n’est pourtant pas synonyme de naïveté enchanteresse, et c’est toujours doux-amer qu’on sort d’un chapitre d’Ocoeur. S’il se produit rarement, préférant l’intimité de son studio aux vacarmes des soirées, Franck a accepté de revenir mettre son toucher particulier sur la programmation de cette dixième édition du Transient, comme pour cultiver la nostalgie dont il s’abreuve éhontément pour nourrir ses productions.

Arovane

Producteur discret et exigent, Arovane se montre peu et aime entretenir le suspense autour de ses albums depuis les deux dernières décennies, préférant le qualitatif au quantitatif. Après six longues années de silence, et après avoir juré une énième fois qu’on ne l’y reprendrai plus, il a pourtant à nouveau craqué et nous a gratifié d’un album d’une IDM somptueuse, technique et visionnaire, il y a de cela deux ans déjà. Sans se couper des éléments fondateurs du genre, sans dédaigner la mélodie, le travail de textures est du meilleur effet warpiste, et part dans tous les sens. La synthèse parfaite entre les ambiances généreuses d’Ocoeur et la technicité extrémiste de Richard Devine, pour un crescendo que le festivalier amateur de complexification savourera comme aux meilleures heures de l’expérimentation berlinoise, il y a dix ans, et avant que celle-ci ne s’éteigne à tout jamais.

Richard Devine

Déjà, il y a dix ans, Richard Devine cultivait le mystère. Produisant peu mais juste, donnant peu de concerts et occupant à minima l’espace médiatique, l’ours d’Atlanta passait l’essentiel de son temps à bidouiller ses machines dans sa cave pour nous en sortir une fois toutes les grandes marées de pleine lune des années bissextiles une tuerie d’album de l’espace. Il fracassait les cortex sur l’autel de la démence et mettait tout le monde d’accord une bonne fois, avant d’aller faire les courses de cassoulet en boîte pour les 6 prochaines années et aller s’enterrer dans son abri anti-atomique pour travailler à sa nouvelle recette. Depuis son concert au Transient il y a dix ans, Richard Devine a relevé le niveau du mot mythe, qu’un autre Richard pourtant tout aussi autiste avait bien réussi à saloper. Pas une nouvelle pendant 6 ans après son unique concert en Europe lors de la première édition du Transient, certains l’ont cru mort. Une bande d’illuminés lui a même consacré un reportage à la « Searching for Sugar Man », las. Impossible de trouver Richard. Et puis un beau jour de Janvier 2020, monsieur balance un tweet (souvenez-vous de ce « réseau social » so 2010) et deux semaines plus tard un tsunami de mélasse expérimentato-idmesque traversait l’atlantique pour venir noyer les oreilles pompeuses des amateurs du vieux continent. Personne n’a rien compris, mais encore une fois, tout le monde était d’accord. Exit les sempiternelles rognures d’ongles d’Aphex Twin, exit l’énième retour de Boards of Canada, adios le quadruple album d’Autechre, Richard Devine était bien vivant, il cherchait juste pendant 6 ans comment nous tataner la tronche sévère.

Ce vendredi, il sort de sa grotte. Il saute dans un avion. Et il revient au Transient. Au menu, les textures de beats les plus travaillées depuis l’invention du bruit sur Terre, des structures à faire pâlir l’extrême-amen-breaker de Winnipeg, et un concert entier avec ta tête entre les mains à subir la distance interstellaire que Devine met entre le niveau de qualité de ses sons et celui des raclures que tu vomis sur ta page ouèbe. Pleure, petit, pleure, mais n’oublie pas de regarder le visage de celui qui te maîtrisera en ce vendredi funeste, tu ne le reverras pas avant bien longtemps.

Samedi 15 Novembre, 17h – 00h.

Somaticae

Voilà déjà un bon bout de temps que l’ombre morbide de Somaticae plane chez les disquaires et sur le net. Les auditeurs sensibles tremblent à l’évocation de ce nom impie, tout comme à celui du label qui l’héberge, le mal nommé In Paradisum. Mondkopf et Somaticae cultivent depuis maintenant plus de 13 ans, et avec brio, toutes les possibilités que le mot « mortuaire » peut infliger à une production musicale. Oscillant sans relâche entre techno-indus et indus tout court, entre downtempo et dark-ambient, entre noise et vapeurs toxiques, le grenoblois aime parfois à venir nous titiller la glotte avec ses assauts lourds en live.

Lumisokea

Même si Koenraad Ecker a dû obtenir la nationalité italienne après l’éclatement de feu le plat pays, Lumisokea reste et restera le plus fameux duo italo-belge de l’histoire des musiques inclassables. Volontairement, inclassables. Se jouant des styles et des codes, le leitmotiv seriné jusqu’à la nausée reste le même : induire, provoquer, faire ressentir, toucher, faire toucher. La musique de Lumisokea peut prendre racine dans une techno rude, dans un noise râpeux, dans des rythmes venus des tréfonds des continents chauds, tout est bon pour faire accéder l’auditeur à des sensations inédites. La démarche de recherche est minutieuse, le résultat en est chirurgical, presque psychanalytique. Si en ce samedi, Somaticae et Kangding Ray vous emmèneront sur des chemins balisés mais néanmoins truculents, attendez-vous avec Lumisokea à des sautes d’humeur imprévues.

Plaster

Comme même la Tartine a ses défauts, nous confessons ici même l’intolérable vérité et la faiblesse qui nous rongent. Nous ne connaissons pas Plaster. Le bon côté de l’histoire c’est que la découverte sera totale, qu’ils ont sorti chez des gens globalement fréquentables comme Kvitnu ou Stroboscopic Artefacts, et qu’ils ont collaboré avec de relatives pointures comme Dadub. Ceci n’annonce que du bon, évidemment.

Kangding Ray

Voilà qui devrait ravir les old-schooler de la techno. Nous servant, inlassablement, depuis les années 2000, une certaine idée de la poisseuse noirceur binaire, Kangding Ray est probablement le représentant le plus constant d’un genre qui a périclité, et certainement le seul à s’être maintenu à un tel niveau de production. Rappelez-vous, à la fin des années 2010, le genre techno finit de se consumer sur les cendres de Raster-Noton d’un côté, de la techno de Detroit de l’autre, bouffée par la gentrification de motor city. Le deuil ne passe pas, contrairement aux masses grouillantes de prépubères nés après le 11 septembre qui s’entassent dans les clubs, prêts pour la lobotomisation, les bras ouverts à la médiocrité. Les puristes s’éteignent de chagrin et la noirceur suintante de l’urbain n’est plus représentée dans une musique pourrie jusqu’à la moelle et transformée en produit de consommation encore plus coupé que les poudres qu’on trouve dans les narines des teenagers en rut. Seuls quelques irréductibles savent et peuvent encore répondre à Gui Boratto. Kangding Ray en fait partie, et c’est sans conteste que des centaines de quarantenaires frustrés et nostalgiques pélerineront, les larmes aux yeux, vers la soirée du samedi, afin de convoquer une nouvelle fois les démons aliénant qui sommeillent dans les profondeurs des caves en béton que Kangding Ray sait portraiturer à la perfection.

 

Dimanche 16 Novembre, 18h – 23h.

Graal et Nonotak Studio

Bon, on va pas vous mentir, on ne connait pas plus Graal et Nonotak Studio maintenant qu’il y a dix ans. Leur passage lors de la première édition de ce Transient il y a dix ans avait malheureusement coïncidé avec le passage dans nos corps de substances alors assez peu licites, et la gestion de leur transhumance digestive incertaine avait occupé la majeur partie de notre esprit, plus préoccupé par la santé de nos intestins que par la musique qui nous entourait. Nous en sommes évidemment désolés et nous tâcherons de ne pas réitérer la malheureuse expérience lors cette édition.

Paskine

Paskine est un mystère. Depuis la sortie de son premier et seul long format, Nimrod, chez VoxxoV, plus rien ne nous est parvenu de ce droneux introverti pourtant prometteur. Il avait alors annoncé sa retraite spirituelle à durée indéterminée en Islande, afin de trouver non seulement l’inspiration, mais aussi son quota de field-records chelous, pour nous apporter son, je cite « ultime et dernière création. Celle qui parachèvera ma maigre contribution dans la recherche du drone parfait. Après je me retirerai dans ces contrés glacées pour méditer, coupé du monde et tout objet fonctionnant à l’électricité. » Alors nous, clairement, qu’il se retire ad vitam, on s’en fout. Par contre on aurait bien aimé entendre son « ultime création ». Malheureusement rien n’en est jamais sorti, et il semblerait que Paskine soit décédé lors d’une désespérée tentative de field-recording d’un volcan en éruption, ou qu’il ait trouvé l’amour dans les bras d’un hipster aux gros bras islandais, fan de Bjork. Toujours est-il que l’annonce tardive de sa venue pour la 10e édition du Transient fait des émule. Va-t-on assister au naufrage en direct sur scène d’un loqueteux qui n’a pas touché un interrupteur depuis dix ans ? Va-t-on, au contraire, prendre la plus grosse pétée dronesque de notre misérable existence en contemplant le fruit de dix années de travail acharné d’un esthète de la couche, d’un artiste de la texture, du virtuose du brouillard musical ? Va-t-il au moins répondre à l’appel ? Réponse ce dimanche.

Christian Fennesz

Richard Devine et Christian Fennesz. Toute la symbolique du Transient est là. Réunir deux noms aussi énormes, que pourtant tout oppose. L’autrichien et l’américain restent pourtant confidentiels, connus seulement des initiés (diront certains) ou des extrémistes (diront d’autres) qu’ils élèvent volontiers au rang de légendes. Néanmoins, ces deux-là ont, chacun à leur façon, façonné la musique, marqué d’une pierre blanche l’histoire d’un genre, ou plus probablement l’histoire de la recherche d’un genre. Tous deux expérimentateurs inlassables, tripatouilleurs de génie, distordeurs compulsifs. Là où Devine multiplie les couches et les schémas de percus, Fennesz empile les nappes et torture sa guitare. Plus occupé ces dernières années à faire tourner sa maison Mego qu’à écrire pour lui-même, le passage du cousin germain à Paris fait office d’une exception dont on se délectera mielleusement, surtout qu’il est là pour conclure en beauté une grande édition de ce Transient.

Après cet exercice de style aussi stérile qu’éhonté, il convient de rappeler que les écrits qui précèdent n’ont aucune vocation prémonitoire, et qu’il appartient au lecteur de discerner le vrai du faux. Néanmoins, la pérennité d’une exigence certaine dans la prog, le mélange qu’on imagine d’avance fertile entre les arts « sonores » et les arts « visuels », même si nos compétences limitées nous empêchent d’en parler dignement, le développement d’une réelle culture des musiques expérimentales, dans une capitale qui verse trop souvent soit dans le cheap beauf, soit dans le pompeux bourgeois, sans qu’on puisse forcément distinguer l’un de l’autre, c’est tout ce qu’on souhaite au Transient et à son équipe.

Voilà. La première édition du Transient Festival c’est ce week-end, et il reste encore des préventes. Allez-y. C’est un évènement rare.

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