Ynoji – Kollider. Ou la méthode des trois forces concourantes

ynoji - kolliderOn vous avait déjà touché deux mots du label Xtraplex l’an dernier avec ce bon vieux Sluggart, et il semblerait, au vu des quelques lignes qui suivent, que le petit net-label du plat pays orienté sound-design mériterait amplement une attention un peu plus conséquente. Voilà pour la minute lobbying.

La seconde couche vous sera donc déposée par le susnommé Lucian « Ynoji » Ditulescu, ou Ynoji pour les intimes. C’est avec Kollider que l’on découvre réellement le travail de ce jeune artiste, et c’est finalement pas si mal étant donné qu’à réécouter les deux premiers albums on se convainc assez facilement que son style musical a plutôt évolué dans la bonne direction.

Non réellement mauvais, son Niña posait en 2012 les bases d’une musique clairement bien pensée pour un premier essai, mais encore très imprégnée par ses diverses influences issues des scènes glitch et/ou IDM (Amon Tobin semble être cité fréquemment, pourquoi pas), avec au final des sonorités intéressantes, mais une personnalité encore mal affirmée, et cette fâcheuse impression de déjà-vu. Le réel tournant se faisait quelques mois plus tard seulement avec la sortie de Quemira dans lequel Ynoji commençait un peu à tirer la couverture vers lui à coups de beats dark-ethno-jazzy, ce qui n’était encore à l’époque que les prémices de ce qui nous attendait début 2015.

Avec Kollider, Ynoji enfonce trois clous d’un coup et se crée pour l’occasion une vraie marque de fabrique, et ça saute aux oreilles dès les premières secondes d’Orandjessiness, le premier morceau. Enveloppée dans un martellement organique incessant, la sauce ethnique se noircit, s’intensifie, sans arrêt aux frontières du trip-hop et de la techno, tout en gardant perpétuellement cette structure qu’on ira honteusement qualifier d’IDM à défaut de trouver mieux. Un mélange des genres qui parait certainement complètement nawak dit comme ça, mais la force d’Ynoji c’est justement de donner à ce foutu bordel une tonalité presque instinctive, qui glisse avec une étonnante facilité une fois inséré dans l’oreille moyenne. Non seulement c’est extrêmement plaisant, mais c’est même carrément addictif tant la mainmise sur tes détecteurs de bon son est oppressante.

Ynoji est donc quelqu’un de très doué pour prendre un truc bancal et le rendre beau (j’ai cherché d’autres adjectifs mais ça résume finalement pas mal la situation). Mais les aspects stylistiques sont loin d’être son plus grand tour de maître. Ce qui nous intéresse tout particulièrement (par « nous » entendez « Tartine Crou », après chacun son délire, évidemment) c’est la seconde force d’Ynoji, celle grâce à laquelle il triture les structures de ses morceaux pour en faire des rythmiques improbables. Ça syncope dans tous les sens, et sans même savoir si on écoute du 4 temps, du 7 temps, du 11 temps ou du (putain de) 16 temps et demi, on finit par se rendre compte qu’on s’en fout, parce qu’aussi barrés qui puissent être ces morceaux, rien de dénote, rien ne fait tache, et l’aspect conflictuel des rythmiques bancales sélectionnées ne se laisse apprivoiser que s’il l’on daigne vouloir l’entendre. Dans le cas contraire on aurait bien pu continuer à écouter Kollider en boucle sans jamais s’en rendre compte (sauf éventuellement sur une petite portion d’Otrono pendant laquelle ton métronome interne prend un sérieux coup de biais) tant tout parait si spontané, du début à la fin. Si cela vous intéresse néanmoins d’éplucher certains morceaux, choisissez de préférence Kotano et Krtani.

Et quand il ne s’obstine pas à déstructurer l’espace-temps musical et se décide à revenir vers (un peu) de 4 temps, c’est pour nous livrer des trucs comme Topao qui, personnellement, me ramène aux bonnes heures de All expectations, ce morceaux oufissime d’High Tone issu de leur oufissime dernier album. Un truc planant en somme ? Oui. Mais à bien y regarder ce n’est pas une nouveauté, car la troisième force d’Ynoji c’est finalement de savoir rendre un morceau a priori « agressif » (toutes proportions gardées, hein) complètement planant, et bon nombre de morceaux sur cet album mélangent aisément les deux phases. On a bien essayé d’écouter Kollider à différents moments de la journée, histoire de savoir sur quel fuseau biologique il s’accorde et lui coller une étiquette (chroniqueur maniaque : ON) mais ce truc s’écoute toute la journée, à n’importe quelle heure. Bordel.

Bref, Kollider est un excellent album, et on est peut-être un chouïa à la bourre pour le chroniquer, mais la triple puissance qui s’en dégage anéantit la notion même de difficulté pour la transformer en miel, et en fait au passage l’un des albums de l’année. A écouter (et télécharger) sans modération chez Xtraplex.

Adrien

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