Présumablement fruit d’un hasard des plus simples, les années 2010 ont ramené à nos oreilles occidentales une scène ambient (et genres affiliés) iranienne variée, très active et à la beauté singulière. Porya Hatami et son amour du field recording à bout portant de la nature environnante, Tegh et ses contrastes sonores épidermiques, Siavash Amini et ses gifles expiatrices de drones démesurés… Ou bien Arash Akbari, l’homme du jour, dont le style semble se situer au point de concours de ceux du trio précité. Sa première sortie chez les nantais de Soft est à peine digérée qu’il publie déjà son second album aux antipodes, sur le délicieux label australien Flaming Pines. Et bien qu’on puisse se douter que Vanishing Point ne sera pas radicalement différent de Cracked Echoes avec si peu d’espace entre les deux travaux, je vais essayer de vous persuader que le plus récent n’est pas un ersatz de son grand frère, mais plutôt la suite de l’histoire commencée l’année dernière.
Nous avons débuté, en novembre 2014, l’exploration des ruines littorales d’une civilisation éteinte, mais dont le culte stellaire millénaire résonne encore dans ses corridors fissurés. Un dédale mystérieux, dépeuplé de ses anciens habitants et pourtant bien vivant ; les corps sont à nouveau poussière depuis fort longtemps, mais les esprits bienveillants résident toujours dans les murs érodés de la cité. Une balade où les embruns du temps nous caressent délicatement avant de nous laisser submergés par le firmament, à la fin de Pale Blue.
C’est presque avec les mêmes plaintes de guitare que l’on reprend la narration dans la piste éponyme de Vanishing Point : assis dans une cathédrale ébranlée où les colonnes et les contre-forts soutiennent la voûte céleste, notre seul souhait est maintenant de transcender l’espace et le temps comme les précédents occupants l’ont fait, et de les rejoindre dans leur dimension. Cette projection de notre Terre natale vers les étoiles, d’un repère familier vers un univers inconnu, elle se ressent aisément à travers des compositions globalement plus profondes et des field recordings telluriques plus rares que sur le précédent opus. On distille imperceptiblement sa condition humaine pour n’en conserver que l’essence volatile au rythme des pistes qui s’écoulent.
L’immensité dessinée par les sons caverneux n’est cependant pas l’intérêt principal de l’album, ce sont plutôt leurs contrastes avec des textures argentées au grain sableux qui lui donnent son cachet. Des associations sonores quasi-permanentes évoquant notre fragilité durant ce voyage, où notre conscience semble toujours prête à se dissiper et s’évanouir irréversiblement dans les limbes au moindre courant d’airs, alors que nous nous battons pour rejoindre les constellations. Des statu quo précaires où les strates graves, guitaresques ou synthétiques, cohabitent avec un vent aigu discret comme sur Through the Endless Glade ou Rays from a Dead Star, où des fragments de vie se reflètent dans la noirceur du cosmos dans les Constant Blackness, ou bien où des nappes vaporeuses et des mélodies glitchées nous maintiennent à la limite de l’évaporation spirituelle dans le remarquable You Were Real. La route bordée d’astres que nous parcourons est pavée d’incertitudes, mais la lumière à sa fin suffit à nous convaincre que les risques pris pour la rejoindre sont négligeables.
Pourtant, notre frêle équilibre sera en définitive tenu sans effort, et l’on jouera aisément au funambule entre ciel et terre, passant des nuages aux étoiles filantes avec pour seul point de fuite l’Étoile du Nord. Tout au long de dix chapitres sensibles et haletants, Arash Akbari crée une tension palpable mais délectable, de celles que l’on a presque tous ressenti en quittant le cocon familial pour goûter à l’indépendance ; on a douté avant de se lancer, eu peur des inconnues inévitables qui allaient croiser notre chemin, craint l’absence maternelle que l’on a si souvent redoutée ; mais le besoin de s’affranchir et de se réaliser dépassait ces inquiétudes. Un disque qui tombe à pic entre mes mains, pour tout vous dire.
Quid de l’issue du voyage ? Personnellement, j’attends le prochain album de l’iranien pour savoir s’il continuera sa belle histoire qui n’en est qu’à ses débuts, malgré une maturité qui indiquerait presque le contraire. Mais j’aime à l’imaginer favorable et lumineuse, faite d’échappées en solitaire vers des sphères toujours plus élevées et d’émotions aux échos toujours plus intimes. Nul doute que si ces artistes perses persévèrent sur leur voie actuelle, ils dépasseront rapidement mes espérances.
Quelques skeuds subsistent ici, profitez-en pour découvrir les autres bijoux proposés par Flaming Pines.
Dotflac
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