Triac – Days | Son est lumière

DaysOn connaît bien Line pour ses explorations minimalistes aux frontières de l’audible et ses grands écarts s’appuyant sur les extrêmes du spectre sonore. Un ballet savamment programmé de sinusoïdes oscillantes qui se croisent et sont modulées, appliquant d’imperceptibles mouvements à des compositions qui paraîtront épurées, voire aseptisées aux brasseurs les plus réfractaires. On a pourtant déjà eu droit à des travaux moins opaques par le passé ; et si jusqu’à mi-avril, je devais remonter jusqu’à la dernière collaboration entre William Basinski et le tenancier du label Richard Chartier pour sortir un tant soit peu de l’abstraction des récentes sorties, voilà qu’émerge Days, second album en un an d’un projet italien formé fin 2011 par deux illustres inconnus, j’appelle Marco Seracini aux claviers et Augusto Tatone à la basse, et un habitué de Line et autres labels obscurs du genre, Rossano Polidoro au laptop.

Essentiellement tournés vers la création d’installations audio-visuelles exposant la relation entre les espaces sonores et les environnements dans lesquels ils évoluent, les trois artistes derrière Triac ont attendu mai 2014 pour sortir leur première galette In a Room chez les russes de Laminal. Tout juste un an plus tard, Days présentera forcément des similarités à son prédécesseur, dues à un recul modéré sur celui-ci. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je n’y vois pas un aspect péjoratif, et les discrètes évolutions sonores suffisent à traiter les deux albums comme des entités bien à part, et non Days comme une version extended de In a Room.

Présentant une tracklist volontairement épurée nous forçant à considérer le contenu plutôt que le contenant, la fenêtre temporelle dans laquelle les sept titres nous emmènent dépasse le cadre hebdomadaire qu’on leur identifiera par facilité. Les différents drones, où la patte ex-Tu M’ de Polidoro est omniprésente sans jamais trop s’affirmer, installent une ambiance épurée (linesque quoi) mais toujours teintée d’une brume qui floutera les contours des morceaux, embuera notre esprit et perturbera l’écoulement du temps. Et plutôt qu’une semaine, peut-être bien qu’à l’écoute de Days, notre inconscient aura voyagé une journée, ou bien un an.

Il est en effet facile de se laisser transporter et déboussoler dans l’univers immatériel de ces sept pistes, où les instruments jamais reconnaissables superposent leurs harmoniques et conversent dans une dimension supérieure à la nôtre. Mais c’est pourtant bien à notre niveau que les effets se font ressentir, nous mettant en apesanteur dans un référentiel non-borné créé à partir de fragments de lumière ralentie, de couleurs diffuses et de courants d’air impondérables. Et bien que la substance de ces conversations musicales nous échappe, leur sens général filtre malgré tout au travers de l’écoute, et semble au départ presque intelligible dans Day One et Day Two, où les claviers et la basse traités se font passer pour des voix distantes se perdant dans des paysages embrumés. Ces bribes lumineuses et vivantes vont cependant s’effacer un peu plus à chaque morceau, leur abstraction grandissant tandis que les fréquences s’abaisseront. Et si l’écoulement du temps a beau être variable, il n’en reste pas moins unidirectionnel, et Days va du clair vers l’obscur, de la chaleur vers la fraîcheur, de l’éveil vers le sommeil.

Notre conscience sera d’abord bercée par les sonorités vaporeuses et presque exotiques des deux premières pistes dans un environnement nuageux et diurne, avant d’être graduellement anesthésiée par la torpeur et l’obscurité croissantes qui culmineront dans Day Six et Day Seven, mais toujours dans la légèreté et la bienveillance. Sommes-nous passés en 50 minutes de la candeur d’un lundi matin au spleen dominical, ou bien n’était-ce qu’une journée, du lever de l’astre solaire à sa disparition derrière l’horizon ? Peut-être que les saisons viennent de se succéder, passant de l’optimisme printanier à l’isolement hivernal. Je crois que Days nous propose précisément de vivre les trois (ou plus) simultanément, en mettant en stase notre esprit pour ne sentir que les respirations lentes des boucles ambient et les mouvements aléatoires des instruments filtrés, oubliant toute notion physique inutile à l’expérience.

Cette mise en scène envoûtante qui nous suspend dans des monochromes à la dynamique subtile mais réellement présente, saupoudrée juste ce qu’il faut d’organique, donne à Days ce caractère légèrement en marge des productions habituelles de Line, et lui accordent de ce fait une visibilité bienvenue autant qu’une alternative plus abordable aux réfractaires du microsound.

Les explorateurs de musiques minimalistes pourront retrouver leur kit de survie directement chez Line, et ne devraient avoir aucun mal à y dénicher cette belle édition de Triac.

Dotflac

 

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