Chihei Hatakeyama – Moon Light Reflecting Over Mountains | Stop-motion

Moon Light Reflecting Over MountainsRoom40. Home Normal. Hibernate. Rural Colours. Au-delà d’un name dropping bien sale, les habitués exigeants de pérégrinations atmosphériques reconnaîtront là des gages de qualité dans le genre, des gens qui n’ont plus rien à prouver. Le dénominateur commun à tous ces noms est le nippon Chihei Hatakeyama, sévissant depuis presque une décennie à coups de guitare électrique, claviers et field recordings qui ne garderont souvent qu’une familiarité distante avec leurs sonorités d’origine, après un nombre de passages variable à travers son laptop. Une manière de composer que l’on retrouve beaucoup chez des concitoyens, parfois collaborateurs, comme Hakobune, Tomonari Nozaki, Masaya Ozaki ou Tomoyoshi Date, donnant l’impression immédiate que ces artistes nous ouvrent une lucarne sur leur intimité mais maintiennent leurs souvenirs dans une pénombre suffisante pour ne pas les exposer directement.

Là où les sons des trois premiers vivent sans ambiguïté dans des contrées mystérieuses au brouillard diaphane et éternel, et où le dernier crée des pièces plus concrètes au post-traitement sonore minimal, l’homme derrière White Paddy Mountain se situe à quelque part entre ces deux visions d’un ambient personnel et détaillé, privilégiant régulièrement la texture à l’harmonie. Vraisemblablement sous anabolisants depuis 2012 si j’en crois son curriculum, le nippon sort aujourd’hui son dernier album sur le label de Lawrence English, qu’il a déjà visité deux fois par le passé. Tout écho de Moon Light Reflecting Over Mountains aux travaux de ce dernier serait d’ailleurs tout sauf fortuit.

Paré de son habituel arsenal à base de guitares traitées et d’une sélection d’enregistrements sur le terrain, Hatakeyama s’approprie le temps et le modèle à sa guise, sélectionnant des fragments d’histoires, de son histoire, et les déroulant précautionneusement devant nos yeux en huit mouvements. Mais comme tout être humain, les souvenirs qu’il nous présente ne sont jamais une reproduction fidèle des évènements passés, mais une succession discontinue d’instants clairs liés par des transitions floues ; et plutôt que des descriptions photoréalistes, ce seront des aquarelles mouvantes d’émotions et de couleurs qui nous apparaîtront à l’esprit. Des scènes diluées aux contours variables dont les détails sont finalement dispensables, comme pourrait le suggérer le titre de cet album.

Je m’imagine un soleil, grand, resplendissant, chaud. Ce soleil, c’est la vérité factuelle et immuable, sans truquage de notre cerveau. Évidemment, on ne regarde pas une étoile directement ; aussi préférera-t-on observer une partie de sa lumière se refléter à la surface d’une lune pleine. Mais tout comme le satellite qui n’a ici qu’un rôle de miroir partiel, les faits originels se refléteront dans notre mémoire en des traits de craie tracés sur une ardoise, sujets à l’érosion du temps et à l’interprétation personnelle. Chihei nous permet dans Moon Light Reflecting Over Mountains de deviner les contours de quelques uns de ces éclats d’existence jalousement protégés. Des reflets de lumière sélénique chevauchant des montagnes infranchissables.

Et comme les halos de cette lumière feinte, les guitares du nippon s’étirent et se diluent dans notre subconscient, hésitant entre un caractère dronesque et mélodique, adoptant tantôt une rythmique évidente, tantôt une démarche erratique, mais inspirant toujours des images idylliques et chaleureuses à son spectateur. En fermant les yeux, on ne pourra empêcher des visions exotiques de nous submerger, allant de lointaines îles paradisiaques touchant l’horizon dans Prince of the Sea et Journey to the Imaginary Paradise avec ses nappes sonores psychotropes, jusqu’aux contrées frôlant les nuages de Broken Mirror ou Phantom Voice. Même un extrait de Marseillaise ou le brouhaha urbain ne sauront ruiner cette savoureuse quarantaine de minutes au-delà du réel, où la base intime proposée par l’artiste ne sera finalement qu’un prétexte pour que l’auditeur construise lui-même l’imaginaire qui y est rattaché.

Avec Moon Light Reflecting Over Mountains, Chihei Hatakeyama suggère la contemplation et la procrastination. Une césure aérienne, parfois un brin orageuse quand les sons approchent la saturation, qui ne motive qu’à se prélasser et oublier. Un potentiel d’énergie acinétique qui n’a pour équivalent que sa production méticuleuse, car le tokyoïte nous offre en tout point une de ses œuvres les plus abouties.

 Ça se passe bien sûr chez Room40, label de l’amour s’il en est. Ou chez l’artiste, à vous de voir.

Dotflac

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