J’ai envie aujourd’hui de vous offrir un peu de délicatesse et de clarté, en cette période de l’année toujours plus ou moins synonyme de franche morosité. Et là où la reprise des cours ou du boulot laissent une amertume durable dans la bouche, je vous propose pour compenser une petite gourmandise revigorante sur fond d’ambient exaltant qui va bien. Une collaboration pour être plus précis, inaugurée il y a un peu plus d’un an sur la série anniversaire Elements de Home Normal ; un long format n’était probablement qu’une question de temps, car le presque vétéran du domaine Pleq, habitué des travaux à plusieurs avec des artistes délicieux tels Philippe Lamy, Hakobune, Offthesky ou le groupe The Frozen Vaults, partage avec Giulio Aldinucci un attrait certain pour les sons glitchés, influences classiques contemporaines et autres strates ambient de haute altitude. Mais surtout, le second a sorti fin 2014 son superbe voyage électroacoustique Aer chez les russes de Dronarivm, dont une des têtes pensantes est justement Pleq. Mais c’est chez les australiens de The Long Story Recording Company (qui vont définitivement fermer leurs portes après une dernière sortie vers novembre, cynisme quand tu nous tiens) que les deux musiciens publient leur galette, prouvant si c’est encore nécessaire qu’un travail à deux a souvent plus de valeur que la somme de leurs parties.
Parlons tout de suite du détail qui peut fâcher : quatre pistes dans l’album qui se prend pour un mini en n’atteignant même pas la demi-heure (je ne compte pas les remixes, on y reviendra). Comme certains de mes collègues, c’est un format qui m’irrite passablement, car il en dit assez pour nous faire mordre l’hameçon mais se tait toujours quand on arrive en phase avec la musique ; le syndrome de la mi-molle de l’EP/mini ne fait pas de cadeau aux albuminodéficients dans mon genre. Enfin presque aucun. Après les bonnes surprises du Half Seas Over d’Olan Mill ou du Sycomore de Mogano, j’ai abordé avec moins de méfiance The Prelude to. Et sa brièveté s’est même trouvé être un élément central lors de son écoute (et ça aussi c’est une nouveauté).
Car The Prelude to est finalement un album d’ébauches. On a déjà parlé de son statut de premier « long » format commun aux deux artistes, mais cette impression qu’il est l’origine d’une demi-droite en cours de traçage se manifeste en d’autres points, à commencer par le récit qui nous est raconté. Une histoire à reculons faite de débuts d’histoires, chacune esquissant dans mon imaginaire le commencement d’une des quatre saisons : les chants décousus de l’été se délitent irrémédiablement dans le spleen automnal du duo violon/piano de la piste éponyme, se fondent dans l’irradiation solaire estivale de The Joy of Loneliness et sa muraille sonore orguanique, puis nous retrouvent dans l’euphorie du réveil de la nature sur Resting on Intensity, avant d’échouer et sombrer dans un caverneux et glacial final. Quatre morceaux aux intentions différentes donc, dont les textures évoqueront toujours des images lumineuses mais indistinctes, dont les ambiances mystiques resteront insaisissables. Un assemblage nécessairement lié par les constantes sonores reconnaissables de Pleq et Aldinucci.
Bien que je considère une collaboration réussie lorsque la patte personnelle d’un des artistes est indiscernable au sein d’une œuvre (bon, j’avoue, Connect.Ohm m’a déjà fait mentir chez Ultimae), je dois concéder que même en étant convaincu que les field recordings modulés et les apports de voix/orgues sont du fait de l’italien, expansés à leur tour par le sens aigu du drone dilaté et les touches toujours justes d’instruments classiques du polonais, l’osmose acoustique est indéniable. Les points forts de Giulio Aldinucci gagnent en portée effective et les caractéristiques aériennes de Pleq trouvent un ancrage solide à notre terre en échange. Et c’est en à peine 29 minutes que le duo nous en fait la démonstration, offrant un travail dont la fin qui semble manquer n’attendait que d’être complétée par les réinterprétations libres de trois autres artistes.
Là où le mot « remix » me provoque souvent le même type de réaction allergique que « EP », car beaucoup trop synonyme de meublage gratuit, je dois encore une fois m’avouer vaincu face aux trois pistes qui clôturent l’album. Quand The Green Kingdom transforme le morceau éponyme dans un style Aldinucciesque qui fait boucler les voix hypnagogiques dans une brume diaphane, Christopher Bissonnette fera resplendir Resting on Intensity de la mélancolie vaporeuse bien plus typique de Pleq ; ne reste à Olan Mill qu’à exercer sa magie électronique en sublimant les cordes de The Joy of Loneliness comme il sait si bien le faire, accouchant d’un crescendo pénétrant qui ferait presque de l’ombre à l’original. C’est ce détail là qui est intéressant : les remixes, que je snobe superbement en temps normal, sont ici pertinents et complètent naturellement les quatre morceaux originels pour créer l’album dans son entièreté ; comme s’ils avaient toujours été destinés à figurer sur la tracklist. Enfin des reprises qui n’ont pas un rôle ingrat d’ostéophyte sur un squelette souvent bien assez robuste tout seul.
Un mini qui ne me révulse pas, des remixes de qualité, une chronique presque piste par piste : serais-je en train de changer de bord ? Cela n’a aucune importance ; quand est un album est beau, il faut savoir être bon joueur et se laisser entraîner par ses envies. The Prelude to, qui porte définitivement bien son nom, marque les balbutiements d’une collaboration que je ne peux souhaiter que pérenne pour nos pavillons. Espérons que le titre du disque soit également un indice annonciateur de futurs travaux communs aussi savoureux.
Bien que je ne peux que vous inciter à soutenir les artistes en achetant cet album, je tiens quand même à signaler que comme The Long Story Recording Company a depuis fermé, ses quelques albums dont The Prelude to sont en téléchargement à prix libre sur leur Bandcamp, toujours existant. Aucune excuse pour en rester au streaming donc.
Dotflac