Notre aversion pour les consonnes surnuméraires, et en particulier la multiplication des « r », n’est plus à prouver. Pour autant il serait dommage que l’on s’en tienne à cela et que l’on entame cette fin d’année sans vous toucher deux mots du dernier Rrose. Étiquetée « techno expérimentale », Rrose faisait pourtant partie d’une catégorie d’artistes un peu borderline, le cul entre deux chaises, frappant à la fois – il est vrai – dans un soupçon d’expérimental (ou disons du moins recherché et/ou non conventionnel), ce qui a de fait attiré notre oreille semi-attentive, et à la fois dans ce qui se fait de plus classique et efficace (ou conventionnel, pour reprendre la catégorisation bis) dans l’univers de la techno actuelle pour lui permettre de fouler les planches de la Concrete le mois dernier (ce qui la place par conséquent aux côtés de Kangding Ray). Une position assez consensuelle donc, mais avant tout un équilibre fragile entre le « trop » et le « pas assez » que Rrose parvient cette année à atteindre avec Vanishing Pools.
Habituée au format petit EP de 2-3 pistes, Rrose passe ici la barrière des 30 minutes, réparties en 5 pistes, tout en conservant l’identité visuelle de ces quelques dernières galettes. Un format semi-long qui s’ouvre sur Hole, ode au minimalisme et à l’ondulation. Un premier morceau qui distille un savant mélange de longueurs d’ondes, d’oscillations, d’amplitudes et de périodicité, qui n’est pas sans rappeler le jouissif Undular d’une certaine Caterina Barbieri. Un titre moins poussif et poussé que celui de sa consœur, mais une ouverture suffisamment attrayante pour tâter doucement l’univers de Rrose, à la fois sombre, énergique, et singulier. Une première vague qui passe aussi vite qu’elle est arrivée pour laisser la place à Purge qui, sans transition, nous plonge dès les premières secondes dans un univers un peu plus près du dancefloor. Un dancefloor avec un petit « d » néanmoins au sein duquel les ondes sinusoïdales et les pulsations se superposent dans un mélange de 3 temps et de 4 temps sans pour autant se marcher dessus. Une plongée lente et abyssale vers une perte progressive de repères spatiaux, une gradation géométrique entêtante (ben oui, ça reste bel et bien de la techno, n’est-ce pas) dans l’univers schizophrénique du beat répétitif, rendant l’expérience plus physique tout en conservant en toile de fond les manipulations sonores typiques de l’artiste.
D’une piste à la suivante Rrose déplace sensiblement le curseur entre tranche ferme et nappe infinie, un jeu d’oscillateur dans lequel l’ondulation-même se met à onduler. À ce petit jeu, Curl nous permet de refaire un tour du côté expérimental de l’artiste, une musique acérée au sein de laquelle la rythmique semble n’être là que pour justifier le fait que l’on soit toujours en train d’écouter quelque chose qui se rapproche sensiblement de la techno, bien que ça n’en soit concrètement plus vraiment.
En terme de curseur, Adrift est sans réserve le morceau le plus équilibré. Tout ce qui caractérise la musique de Rrose se trouve ici réuni, chaque ingrédient venant tour à tour tirer la couverture, en faisant au passage (et de manière assez logique) le morceau le plus long de Vanishing Pools.
Le concept du beat reste donc quelque chose de très relatif chez Rrose, et son utilisation est bien souvent différente de ce qui se fait chez la majorité des artistes. Une conception relative donc, sauf sur Undergrowth, le dernier morceau, qui en est totalement démuni. Une piste sans la moindre pulsation que l’on pourrait qualifier d’ambient qui vient prouver, s’il en était besoin, que la frontière entre les univers techno et ambient, aussi différents soient ils, est parfois bien mince et ne tient dans le cas présent qu’à la présence (ou non) d’un simple petit boum boum. Une thématique déjà abordée avec brio par Yair Etziony (oui, encore un Yair) sur son joli Baltia.
Vanishing Pools est disponible sur eaux.ro, où vous trouverez également le très bon For Aquantice sorti à peine deux mois plus tôt, ainsi que le reste de la discographie de Rrose.
Adrien